A la Maison de la Culture de Montauban bel hommage organisé par notre Ami Robert Badinier

UN BEL HOMMAGE A MAURICE SCHUMANN RENDU PAR JACQUES LEGENDRE, ANCIEN MINISTRE ET SENATEUR HONORAIRE.

 Le texte de présentation de la conférence de Jacques Legendre par Robert Badinier, délégué pour le Tarn-et-Garonne des Amitiés Internationales André Malraux, délégué régional Midi-Pyrénées de Mémoire et Espoirs de la Résistance, à l’initiative de ce travail de mémoire.

« … Monsieur le Ministre, nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir aujourd’hui à Montauban pour évoquer la mémoire de Maurice Schumann : une visite qui nous parle pour ainsi dire à plusieurs titres.

Ala fin de l’été 1942, Mgr Théas s’est élevé courageusement contre la persécution des Juifs en rédigeant une lettre sur la dignité de la personne humaine. Sa protestation a eu un tel retentissement qu’elle a été diffusée à Radio Londres. Marie-Rose Gineste, la secrétaire de l’évêque de Montauban a été la messagère de ce refus, celui de l’oppression et de la barbarie. Elle est ici en gros plan en compagnie de Maurice Schumann sur une photo prise en 1955, à l’occasion d’une visite qu’ils avaient effectuée au musée Ingres. La dédicace particulièrement élogieuse que lui a consacrée Maurice Schumann témoigne de l’action exemplaire que cette grande dame de la Résistance a menée dans notre département où elle était responsable de Témoignage chrétien. Maurice Schumann évoquant l’engagement de Pierre Chaillet, le fondateur de ce mouvement de résistance, l’avait qualifié de « notre 18juin spirituel ». La récente réinstallation de la plaque dénominative du Giratoire du  « 64 »a été particulièrement appréciée par tous ceux qui ont contribué à la sauvegarde de ce patrimoine de la résistance spirituelle en Tarn-et-Garonne qui est à la fois historique mais aussi mémoriel pour pouvoir défendre la cause de la résistance à l’inhumain. Il en sera bientôt de même pour la plaque historique.

Mais le lien de Maurice Schumann avec Montauban ne s’arrête pas là. En effet, depuis l’an 2000, la Journée nationale commémorant l’Appel du 18 juin se déroule devant la stèle de la France libre au Mémorial des Combattants du Cours Foucault. Sur ce petit monument ont été insérés des galets que des collégiens montalbanais ont ramené d’un voyage scolaire à l’Île de Sein et sur lesquels ont été gravés les lettres reconstituant un extrait de l’Appel du Général de Gaulle. L’association départementale des lauréats du Concours National  de la Résistance et de la Déportation a pris pendant plusieurs années le relais de cette action éducative.

Cette dynamique mémorielle se perpétue aujourd’hui, en lien avec notre délégation et les associations patriotiques, à travers l’animation pédagogique de la cérémonie de l’Appel du 18 juin. Nous avons proposé en particulier d’y intégrer désormais la lecture de la Préface du Mémorial des Compagnons de la Libération rédigée par le général de Gaulle. Le 18 juin dernier, « Le salut aux vainqueurs » d’ « Honneur etPatrie » a été ainsi le prologue à votre conférence…

Enfin, le 9 novembre prochain, sera inaugurée au conseil départemental une exposition sur les Français libres mise à notre disposition par l’ONAC et dédiée à Hubert Germain, le dernier survivant de l’Ordre de la Libération. Elle fera en même temps écho à une revue de presse sur des  projets d’action éducative sur la Résistance mis en oeuvre avec de nombreux jeunes du département. La conférence que vous nous faites l’honneur de donner aujourd’hui est le coup d’envoi de cet hommage prévu de longue date, mais plusieurs fois reporté en raison du coronavirus et de ses satanés variants…

Nous mesurons la chance que nous avons, grâce à vous, monsieur le Ministre, de faire écho à travers la figure emblématique de Maurice Schumann, à ce temps fort qu’a été la Résistance dans les heures sombres de notre pays.

Maurice Schumann est d’abord dans les mémoires celui qui parlait aux Français depuis Radio-Londres, le porte-parole du général de Gaulle et de la France libre. On sait même qu’il fut l’un des rares Français à débarquer aux côtés des Anglais, sur la plage normande d’Asvelles, le 6 juin 1944, et qu’il prépara alors l’accueil du général à Bayeux, le 14 juin. Cet événement fut décisif pour asseoir la légitimité du général de Gaulle auprès des anglo-américains.

Maurice Schumann, à 34 ans, va alors entamer une longue carrière parlementaire. Il participe à la fondation du MRP et restera député du Nord sans interruption jusqu’en 1973. Plusieurs fois Ministre, élu à l‘Académie française , il devient sénateur du Nord en 1974 et le restera jusqu’à sa mort en 1998. Il a présidé la Commission des Affaires culturelles.

Etudiant en Lettres à Lille, président des Etudiants gaullistes, Jacques Legendre a croisé la route de Maurice Schumann dès les années 1960. Elu député du Nord en 1973, maire de Cambrai en 1977, Secrétaire d’Etat auprès du premier Ministre jusqu’en 1981, Président des maires du Nord, Jacques Legendre entre au Sénat en 1992 aux côtés de Maurice Schumann. Ils ont longtemps travaillé ensemble au Conseil régional du Nord-Pas de Calais, puis au Palais du Luxembourg.

A l’issue de votre conférence, après les échanges avec le public, Elise Durin, professeur d’éducation musicale à l’Institut Théas interprètera le Chant de la Croix de Lorraine. Les Montalbanais vous expriment toute leur reconnaissance pour l’accueil chaleureux que vous avez réservé à notre projet .»

Extraits de la conférence de Jacques Legendre sur Maurice Schumann, le 24 septembre 2021, à la maison de la culture de Montauban, par Joël Haxaire, administrateur des Amitiés Internationales André Malraux.

 

 Ièrepartie : l’épopée de la France libre

 

« A Paris, 10, Place Victor Hugo où il est né, se trouve une plaque commémorative de sa naissance. Le 10 avril 1911 naît ce garçon, le même jour que décède son grand-père maternel, Maurice Michel, dont la fille Thérèse, sa mère, veut que son nouveau-né porte le prénom. Celui de Jacques étant déclaré, il sera donc Schumann Jacques dit Maurice, venu au monde dans un milieu juif libéral très aisé.

Après une enfance dans Paris en guerre, il assiste, ému, avec un esprit patriotique entretenu par sa famille et son institutrice, au défilé du 14 juillet 1919.

Etudes au lycée Janson de Sailly où il cultive son admiration, entre autres pour Victor Hugo et développe se sensibilité sociale. A 17 ans, il adhère à la Ligue d’Action Universitaire Républicaine et Socialiste que préside un certain Pierre Mendès France et s’inscrit à la 16èmrsection de la SFIO, admirateur de Bergson sous l’influence duquel il approfondira sa foi catholique, il obtient en 1928 le prix de philosophie au Concours général, suit, de 1928 à 1930, les cours d’Alain à Henri IV…tout en guérissant miraculeusement d’une très grave hémoptysie.

Parenthèse nécessaire sur la foi de Maurice Schumann : avec la première racine dans l’enfance sous l’influence de sa gouvernante MelleLimanton, confirmée par la lecture de Bergson, accompagnée plus tard par des frères dominicains, cette conversion deviendra plus réfléchie, notamment au contact très précoce, il a 7 ans, avec le père Brodeur, un oratorien qui le baptisera 24 ans plus tard, en 1942, à Birmingham, alors que la guerre battait son plein.

Licencié en philosophie, il a échoué de peu au concours de Normale Sup, il entre très jeune comme journaliste à l’agence Havas, pour laquelle il sera, en 1933, chef adjoint de grand reportage à Londres, puis à Paris, avec éditoriaux, notamment de politique étrangère, paraissant dans plusieurs grands titres de l’époque. Alarmé des faiblesses des démocraties, il écrit, voyage, rencontre beaucoup de personnalités, s’ancre dans ses convictions européennes et soutient en 1936 le Front Populaire. De plus en plus  « social-chrétien » dans sa vie, congrès eucharistiques de 1938 et 1939, comme dans ses écrits, signés Maurice Jacques ou André Sidobre, voisinant avec François Mauriac, Hubert Beuve-Méry, Georges Bidault, Daniel Rops…, il quitte la SFIO en 1935. Antifasciste et antimunichois, il se mobilise au service de Paul Reynaud, dénonce les défaillances, bien sûr l’Anschluss, exalte, devant les menaces, l’empire français, et se révèle peu surpris à l’annonce du pacte germano-soviétique.

La guerre venue, il est engagé volontaire, comme interprète militaire, auprès du Corps Expéditionnaire britannique. Le soir du 18 juin 1940, à Niort, il entend l’appel du général de Gaulle avec le sentiment d’être né ce jour-là. Le 21 juin ; il s’embarque, avec d’autres futurs grands Résistants de Sain-Jean-de Luz pour l’Angleterre et, le 30 juin, rencontre le général de Gaulle à Londres où, engagée dès le 18 juin, Lucie Daniel, qu’il épousera, entre avec bonheur dans sa vie. Affecté à la Radio, Maurice Schumann écrit le texte qui sera lu par Jacques Duchesne lorsque survient la tragédie de Mers el-Kébir, le 3 juillet 1940. Puis, à partir du 17 juillet 1940 et jusqu’à la fin mai 1944, il y prendra la parole plus de mille fois, sans consignes du général, mais das sa ligne, avec  sa voix chaude et vibrante, et ses interventions parfois très marquantes dont certaines citées en référence  pendant cette conférence.

Convoqué par Koenig fin mai 1944, il intègre d’abord pour deux mois l’armée britannique, débarque  à Asnelles à « Gold Beach », où il sera inhumé, puis rejoint Bayeux où de Gaulle se rend le 14 juin. Versé le 3 août à la 2èmeDB, il participe glorieusement aux combats à Paris dont celui de la libération du ministère de la Marine, est cité à l’ordre de la 2èmeDB, rejoint le 25 août, jour inoubliable, le général de Gaulle à l’Hôtel de ville de Paris pour son discours historique.

Nommé à l’Assemblée Consultative provisoire, il assure, non combattant, la liaison avec la 2èmeDB, se déplace dans Strasbourg libérée après avoir épousé Lucie Daniel,et, cofondateur, accepte la présidence du nouveau parti politique, le MRP (Mouvement Républicain Populaire) qu’il assumera jusqu’en 1949. Compagnon de la Libération, Maurice Schumann sera aussi décoré de la Légion d’Honneur.

Nous sommes à l’apogée de sa vie. Maurice Schumann n’a que 34 ans. S’ouvre devant lui une longue carrière, et de parlementair, et d’homme d’État : 23 ans député du Nord, puis 23 ans sénateur du Nord, secrétaire d’État aux Affaires Etrangères de 1951 à 1954, ministre du général de Gaulle en 1962, ministre d’État en 1967-68 puis en 1968-69, et presque quatre ans ministre des Affaires Etrangères entre 1969 et 1973. »

2ème partie : la politique

«  En 1945, au sortir de l’épopée, tout en reprenant son métier de journaliste, il sera directeur politique de  « L’Aube » jusqu’en 1951, commence le temps des déchirements politiques.

Présenté par son parti, le MRP, un temps premier parti de France, aux élections dans le Nord, plus précisément dans la circonscription correspondant à la Flandre française, de Dunkerque à Lille, ses scores iront s’amenuisant, de 41 % en 1945 à 16 % en1956 du fait, entre autres, de son éloignement des positions du général de Gaulle parti du gouvernement dès 1946, de sa concurrence avec le RPF désormais électoralement concurrent … Le MRP convole avec les socialistes et occupe entre 1947 et 1953 le Quai d’Orsay, s’attelant à la réconciliation franco-allemande, aux projets européens, à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, au projet de Communauté Européenne de Défense… Plus tard, pendant la crise de Suez, Maurice Schumann soutiendra Guy Mollet et, en 1958, heureux de fait du retour du général de Gaulle, ne tiendra pas, étant toujours MRP, à entrer au gouvernement. Lorsque, en 1962, Maurice Schumann intègre le gouvernement avec quatre autres MRP, il en démissionnera, en solidarité de Pierre Pflimlin, un mois après, suite à la conférence de presse du général de Gaulle dont l’ambition européenne s’était affichée dans ses limites.

Bien sûr, il ne votera pas la motion de censure du 5 octobre 1962 sur l’élection du Président de la République au suffrage universel, et, aux élections de novembre, Maurice Schumann sera réélu avec investiture MRP… et voix de l’UNR. En 1965, Maurice Schumann conseille le général de Gaulle au second tour de l’élection présidentielle comme, plus tard, dans sa décision de retrait de l’OTAN que de Gaulle lui demande d’aller expliquer à Washington au président Johnson.

Maurice Schumann éprouve ensuite beaucoup de satisfactions dans son poste de ministre d’État chargé de la Recherche Scientifique et des questions atomiques et spatiales qu’il occupe d’avril 1967 à fin mai 1968. Le 30 mai 1968, il participe au défilé grandiose d’appui au général, qui ponctue cette grave crise, « des événements sans lendemain, mais non pas sans avenir », avant de prendre pour treize mois le portefeuille des Affaires Sociales, «  épreuve d’endurance et d’agilité » . Maurice Schumann apportera, le moment venu, son soutien à Georges Pompidou qui, devenu Président, en fera, pour presque quatre ans, son ministre des Affaires Etrangères, avec les dossiers sensibles que l’on sait… Israël, Lybie, URSS, Chine, convertibilité du dollar, voyage tendu aux USA, entrée du Royaume-Uni dans la Communauté Européenne, conférence préparatoire d’Helsinki etc.

Parallèlement, Maurice Schumann, également admirateur de Chateaubriand dont le buste accueille ses visiteurs, poursuit l’écriture. Il a déjà publié de nombreuse fois, en écrivant notamment, après « Les Flots roulant au loin » en 1973, « La mort née de leur propre vie. Péguy, Simone Veil, Gandhi » qui sera édité en 1974 avant « La communication » et d’autres. Elu en mars 1974 à l’Académie Française au siège de Wladimir d’Ormesson, présidant aussi la Fondation de France, Maurice Schumann sera également élu, en septembre 1974, au Sénat dont il sera rapidement vice-président, tout en étant très actif dans son Conseil Régional, dans ce Nord où il aime à se déplacer dans les communes, aller aux foires agricoles, défendre la musique avec Jean-Claude Casadessus, donner des conférences, ce qu’il fera aussi pendant de longues années à travers la France entière. D’ailleurs, il faut rappeler que Maurice Schumann a été  professeur associé à la Faculté libre des Lettres et Sciences Humaines de Lille, également Président de l’Association des écrivains catholiques de langue française, et qu’il a, après 1974, continué à publier régulièrement des ouvrages jusqu’en 1995.

Le 31 mars 1992, c’est lui qui, à 3h du matin, proclame élue, à la Présidence du Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais, Madame Blandin, écologiste soutenue par la gauche, qui en garde un souvenir ému. En 1998, Maurice Schumann, à presque 87 ans, ne se représente pas aux élections sénatoriales. Il meurt le 9 février et rejoint sa dernière demeure à Asnelles dans le Calvados, à deux pas de la plage où il débarqua en juin 1944. Quelques semaines auparavant, Il avait répondu à des journalistes qui lui demandaient ce qu’il voudrait que l’on dise à sa disparition « qu’il est mort, fou de France et catholique romain ».