Vivre au lieu d’exister ou la vie exceptionnelle de Betty Albrecht, Compagnon de la Libération

Par Mireille Albrecht   Auteur : Mireille Albrecht    Éditions : Éditions du ROCHER

Pourquoi le nom de Betty Albrecht est-il tombé dans l’oubli ? Pas ou peu de places ou rues en France portent ce nom : quatre lycées seulement !. Comparé à celui de Jean Moulin, c’est bien peu. Il est vrai que sur 1061 Croix de la Libération attribuées, 6 seulement l’ont été à des femmes ! Qui connaît aujourd’hui l’héroïne qui se cache derrière ce nom ?

Oubliée de la Résistance comme tant d’autres femmes ?

Ce n’est pas une historienne qui écrit, mais sa fille Mireille, pleine d’admiration pour cette femme intelligente, le plus souvent à contre-courant, allant toujours de l’avant parfois aux mépris des conséquences, «…Cet être de vérité et de passion, transmettait la lumière de son âme : c’était cela sa beauté ». Au travers des dix-neuf années qu’elle vécues auprès de sa mère, elle essaye, dans ce livre, de répondre à « l’occultation » d’une femme, féministe des années trente, et qui sera, dans la Résistance, suivant le mot de Claude Bourdet « l’âme de Combat, sans elle, le mouvement n’aurai peut-être pas existé. ». C’est dans le Londres des beaux quartiers, entre 1925 et 1930, mariée à un homme qui jouit à la « City » d’une confortable situation financière, que Betty commence à prendre conscience des difficultés de la classe ouvrière, et celles plus particulières des femmes, « dont les fameuses suffragettes ».

Séparée de son mari, et installer à Paris avec ses enfants, Betty continue de militer dans les mouvements féministes. En 1933 elle est l’auteur d’une revue qui préconise le contrôle des naissances, mesure osée à une époque où l’avortement est interdit et sa pratique punie de prison. En France, durant les années de la montée du nazisme et du fascisme, elle entre dans les comités anti-fascistes qui se créent sous la houlette d’intellectuels et de démocrates. Les amis qui peuplent son salon de la rue de l’Université s’appellent Victor Basch, Jean Perrin, Jean Lurçat le peintre et aussi Blum, Cachin, Thorez, et bien d’autres. Trop indépendante pour être membre du « Parti » elle n’en sera pas moins un « fellow traveller », compagnon de route. Au cours de cette période, elle s’occupe, avec ses amis de la Ligue des Droits de l’homme, de l’accueil des réfugiés du nazisme, procurant logement et travail à tous ceux qui fuient le régime hitlérien, facilitant aussi leur réinsertion et découvrant en même temps, avec leurs récit l’horreur des camps. Elle portera la même sollicitude aux réfugiés Ethiopiens en 1936, puis à ceux venus d’Espagne en 1938/39. En mai 40 à l’entrée des Allemands dans Paris, la vie de cette femme riche et généreuse, qui goûtait à tous les plaisirs de la vie va basculer et abandonner cette existence agréable pour défendre « l’idéal de la liberté », entraînant sa fille, à travers la France, au gré de son parcours de résistante. Avec une extrême pudeur, Mireille, relate les conversations qu’elle eu avec sa mère durant cette période et nous fait relire les lettres que sa mère, « dans sa belle écriture », faisait parvenir à ses enfants lors de leur séparation, lettres où elle communiquait sa vision des valeurs comme « l’amour du travail,…de la culture qui sauvera peut-être le monde, de la beauté de la musique……au point de nous faire oublier, pour quelques instants nos chagrins ». Pour ma mère dit-elle ce fut sans doute la « plus belle période de sa vie », refusant de croire dans les premiers temps à la mort, puis avouant à sa fille plus tard « Je ne verrais pas la victoire, car il y aura une victoire ». C’est avec Henri Fresnay, jeune capitaine breveté d’état-major, avec lequel elle s’était liée d’une profonde amitié avant la guerre, qu’elle fondera l’un des plus importants mouvements de Résistance : « Combat ». Henri et Betty formeront une équipe exceptionnelle, « combattants aux mains nues » déterminée à résister au nazisme au mépris du danger.

Mireille, dans ce livre fait revivre au jour le jour la vie de sa mère, qui le soir «avec la foi du charbonnier, tapant avec trois doigts, sur sa petite Hermès baby » les premiers bulletins d’informations, comme « Les petites Ailes » – puis – « Vérités » – qui cédera la place à – Combat – que les camarades distribueront dans les boîtes aux lettres. Avril 1942 elle est arrêtée une première fois par la police de Vichy, internée à Vals-les-Bains, elle entreprend une grève de la faim avec Emmanuel Mounier, en vue d’obtenir un procès légal. A la prison dans l’attente du verdict elle simule la folie afin d’être internée dans un asile d’où ses compagnons de « Combat » organiseront son évasion, en décembre 1942.

Le 28 avril 1943, elle est de nouveau arrêtée par l’Abwehr, à Mâcons où elle logeait dans un petit appartement loué à la famille Gouze -dont la fille cadette, Danièle deviendra un jour la première Dame de France- Après cette arrestation on perd sa trace.

On ne retrouvera son corps que deux ans plus tard, à la Libération, enterré dans le jardin potager de la prison de Fresnes. Aucune n’archive, aucun témoignage sérieux ne décrit le parcours de Betty entre son arrestation et la découverte de son corps. Son nom ne figure sur aucun registre d’entrée de la prison, et sa fille de rechercher et de s’interroger ?

Certes c’est le « traître Multon » manipulé par Barbie qui fut à l’origine de son arrestation, une femme agent double travaillant à la fois pour le réseau du colonel Groussard et de la Gestapo a-t-elle été complice ?…A la libération curieusement cette femme ne sera pas arrêtée, pourquoi ?… Il y a-t-il eu d’autres complicités dans cette arrestation ?… l’imprudence y a-t-elle jouée un rôle ?…Comment est morte Betty ?…Pour sa fille, « Tôt ou tard la vérité se fera jour… ».

Mireille Albrecht, au travers de son livre, fait revivre une grande dame de la Résistance, une dame dont les vraies valeurs de l’existence s’appellent le courage et la volonté, « vivre conformément à l’honneur et à l’idéal qu’on se fait. » c’est ce qu’elle écrivait à son mari dans sa dernière lettre. Pour Pierre de Bénouville  c’était « une belle épée avec d’inoubliables flammes dans les yeux. », quant à Henri Fresnay dans son livre «  La nuit finira » il écrit : « Elle a tout donné à la Résistance, à la France, son confort, sa liberté, sa famille et maintenant sa vie. »