Destination Auschwitz avec Robert Desnos

Par André Bessieres   Auteur : André Bessieres    Éditions : Éditions l’Harmattan

Il faut remercier André Bessières d’avoir de nouveau « forcé sa mémoire » afin de nous livrer son témoignage à la fois sur l’horreur des camps et sur le calvaire d’un poète dont la poésie voulait faire barrage à la barbarie.

En effet l’auteur, jeune, résistant de 18 ans, fut le compagnon d’infortune et « voisin de paillasse » de celui qu’Aragon, dans un émouvant, poème appelle :

« Robert le Diable,..

celui qui partit de Compiègne accomplir jusqu’au bout sa propre prophétie

là-bas où le destin de notre siècle saigne… ».

Robert Desnos, l’un des poètes du « Surréalisme » et ami d’André Breton est très vite devenu, dès le milieu des années 30, touché par la guerre civile espagnole, antifasciste et militant contre l’antisémitisme, l’ancien pacifiste qu’il était écrit en 1938

« Je chante ce soir non ce que nous devons combattre

Mais ce que nous devons défendre…… ».

Après la « Drôle de guerre » il entre en résistance intellectuelle contre Vichy dirigé par le « Maréchal Ducono » et l’occupant.

Dans l’appartement de la rue Mazarine, avec Youki sa femme, ils reçoivent tous ceux qui partagent leurs idées, Eluard, Picasso et bien d’autres à qui ils font partager leur optimisme.

Il entre ensuite dans le réseau de renseignements « Agir ». Son poste au journal « Aujourd’hui », dirigé par un inconditionnel de la collaboration, Georges Suarez, va lui permettre de fournir de nombreux renseignements aux responsables anglais du réseau. Il rentrera aussi en relation avec le mouvement « Combat » et Jean Bruller, c’est à dire « Vercors » l’un des fondateurs des Editions de Minuit où il signera de son pseudonyme « Pierre Antier » un poème « Ce cœur qui haïssait la guerre » où il clame sa révolte contre Hitler et ses partisans et sa foi pour « Ces cœurs qui haïssaient la guerre… et battaient pour la Liberté ». Il est arrêté, un « triste mardi-gras » neigeux de février 1944 puis quelques jours plus tard transféré au camp d’internement de Royal lieu près de Compiègne.

André Bessières relate minutieusement la vie dans ce camp, antichambre de la déportation, où il fera connaissance avec le poète, « amusé par son excentricité vestimentaire et décontenancé par son humour », dont la nouvelle de l’arrivée dans ces tristes lieux s’est vite répandue.

Desnos y retrouvera quelques connaissances dont Maurice Bourdet du « Poste parisien ».

Plein d’énergie et d’imagination « Robert le Diable » est de toutes les distractions intellectuelles du camp, c’est le poète racontant « le Surréalisme », sa vie et dialoguant avec tous les détenus, s’attirant de Vincent Badie, l’un des 80 qui surent dire non à Pétain, cette phrase : « Mes félicitations pour ces heures d’oubli que vous nous dispensez si généreusement ».

Le 27 avril 1944, à cent vingt par wagon, c’est le départ pour un « hallucinant voyage » vers Auschwitz-Birkenau, quatre mois à peine avant que « le veilleur du Pont au change  n’accueille les armées libératrices ».

Quatre jours plus tard c’est l’arrivée dans ce que l’auteur appelle « les écuries de la mort » ou étonnamment et courageusement Desnos devenu le matricule 185.443 s’essaye à communiquer son optimisme à ses camarades.

Devant l’horreur de ce camp, à la vue de ces milliers de détenus faméliques, et des menaces d’extermination proférées par les « Kapos », pour Desnos et les quelques compagnons qu’il retrouve comme Rémy Roure, une seule idée : « survivre et vivre pour témoigner… ».

Le 14 mai nouveau départ, cette fois-ci pour le camp de Buchenwald où l’enfer est à peu de choses près identique, « où les journées s’écoulent moroses, interminables, parfois interrompues d’incidents….. » avec la faim comme compagne.

Au début juin, Robert Desnos et André Bessières vont être affectés dans le même commando de travail à Flöha en Saxe, dans une usine de production de fuselages d’avions. Peu manuel le poète « déambule » avec un balai dans les ateliers, privilégié par les colis de nourriture de Youki qu’il partage, permettant une bonne mais provisoire survie.

Allongés sur le même châlit, touchante la narration que fait l’auteur de ses dialogues avec le poète, de ses bons mots et de ce rituel où Robert Desnos donne à ses compagnons ses consultations  « Clé des songes » qui annoncent toujours le bonheur futur et la liberté.

Dans le quotidien de Flöha, fin 44, où la faim, le froid, la fatigue et la violence dominent, l’on voit Robert Desnos entraîner ses compagnons à « vivre sa vie d’artiste » avec une verve animatrice et un entrain étonnant.

Avril 45, tandis que les Alliés resserrent leur étau sur l’Allemagne, la faim et les mauvais traitements ont affaibli le poète, tandis qu’une nouvelle tragédie va commencer pour tous les déportés qui vont être jetés par leurs tortionnaires sur les routes allemandes, pour former « les derniers convois de la mort ».

Après trois semaines d’une marche épuisante, le 7 mai, veille de la cessation des combats, le convoi où se traîne Desnos épuisé arrive au camp de Theresienstadt.

Robert Desnos rongé par la fièvre va rentrer à l’hôpital militaire russe où les médicaments font défaut, et « sa flamme » l’abandonnera, au matin du 8 juin 1945.

Une fois encore, merci à André Bessières, pour les deux très forts témoignages qu’il nous donne dans ce livre : celui remarquable et peu connu des dernières années du poète et celui terrible de vérité de l’horreur des camps exauçant ainsi l’un des vœux « du passant de la rue Saint-Martin » : celui de témoigner.