CHOMBART DE LAUWE Marie-José

Auteur de la fiche : Michelle ROUSSEAU-RAMBAUD (http://www.campmauthausen.org/portraits/115)

CHOMBART DE LAUWE Marie-José


Date et lieu de naissance : 31 mai 1923 à Paris

Activité avant la détention : étudiante en médecine à Rennes

Arrêtée en mars 1942 par la Gestapo

Âge au moment de son arrestation : 19 ans

Motif de l’arrestation : activités dans un mouvement de Résistance

Données sur sa détention : prison de la Gestapo à Rennes ; le 23 mai 1942, prison d’Angers ; 17 juillet 1942, prison de La Santé à Paris ; le 12 octobre 1942, Fresnes ; le 26 juillet 1943 prison de Saarbrücken ; 1943 camp central de Ravensbrück : 8 mars 1945, camp central de Mauthausen (matricule n° 2.807)

Activités à la suite de la libération : docteur en psychologie de l’enfant ; travailla au CNRS ; Directrice de laboratoire à la Sorbonne ; membre de nombreuses associations universitaires et de défense des droits humains ; Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Présidente de l’Amicale de Ravensbrück. Nombreuses distinctions et grades honorifiques. Vit en France

Marie-José Chombart de Lauwe naquit le 31 mai 1923 dans le XVIe arrondissement de Paris. Elle entra à la faculté de médecine de Rennes. Chaque semaine, ses parents l’emmenaient à l’Île de Bréhat, où sa mère et son père, qui était médecin, avaient fondé un groupe de reconnaissance nommé La bande à Sidonie, qui, en 1941, fut intégré dans l’organisation de résistance 31 Georges France. Ce réseau était le précurseur du mouvement de résistance Buckmaster1. Son quartier général était situé sur la côte bretonne à Paimpol et Plouha, et était spécialisé dans l’aide aux évadés.

En tant qu’étudiante, Marie-José possédait une carte d’identité qui lui permettait de faire des déplacements au cours desquels elle livrait d’importantes informations sur l’organisation des défenses côtières. En mars 1942, les concepteurs de ce réseau furent arrêtés à Rennes. Dans leurs efforts pour poursuivre le travail, les membres restants de ce groupe prirent contact avec un autre groupe similaire. Mais ils furent trahis par un agent infiltré dans ce groupe. En conséquence, Marie-José, ses parents et quatorze autres de ses amis furent arrêtés.

Elle avait 19 ans quand la Gestapo vint frapper à la porte de sa chambre à Rennes pour l’enfermer dans la prison locale. Le 23 mai 1942, elle fut transférée à la prison d’Angers pour des interrogatoires, prison dans laquelle sa mère était également détenue. Deux mois plus tard, le 17 juillet, elle fut transférée à la prison de la Santé (cellule 40, et plus tard cellule 10). En plus d’elle, les résistantes Marie-Claude Vaillant-Couturier2 et France Bloch Serazin3 étaient détenues dans cette prison.

Le 12 octobre 1942, elle fut transférée à Fresnes (cellule 113, et ensuite 333). Elle fut interrogée au quartier général de la Gestapo rue des Saussaies le 7 janvier, et dans les premiers jours de février. Ce fut à ce moment que les lettres « NN » furent écrites sur la porte de sa cellule – elle fut donc classée en tant que « Nacht und Nebel », une prisonnière dite « Nuit et Brouillard »4. Le 26 juillet, Marie-José fut conduite à Saarbrücken pour quelques jours avant d’être transférée au camp de concentration de Ravensbrück avec sa mère. Elle fut enregistrée sous le matricule 21 706 et assignée à un commando de travail qui avait pour tâche de produire de petites pièces électroniques pour Siemens. Avec d’autres prisonnières « NN« , ainsi que d’autres femmes qui étaient employées comme cobayes pour les pseudoexpériences médicales nazies, elle fut soustraite de ce commando et assignée à différentes baraques pour le transport de la nourriture.

Du fait qu’elle avait fait des études médicales, elle fut déménagée au bloc 11, dans la soi-disant nurserie, un quartier pour les bébés, en septembre 1944. La plupart des nourrissons étaient condamnés ; mais un certain nombre d’entre eux put être sauvé grâce à la solidarité du personnel. Cette expérience a laissé une marque indélébile sur Marie-José :
« Les crimes commis sur les nouveaux-nés étaient presque inimaginables : ou bien ils étaient tués dès la naissance, ou bien on les gardait vivant dans des conditions si mauvaises que la survie au delà de douze mois était improbable.« 

En 1945, comme le camp de concentration de Ravensbrück était surpeuplé et que les troupes alliées avançaient, un transport fut organisé au mois de mars, à destination de Mauthausen – principalement pour les prisonnières « NN« , au nombre desquelles se trouvait Marie-José. 70 à 75 d’entre elles furent entassées dans chaque wagon et le voyage dura trois jours. Après son arrivée à Mauthausen, le train resta à l’arrêt un jour et une nuit avant que les femmes puissent en descendre pour marcher jusqu’au camp qui se trouve approximativement à 5 km de la gare. Elles ne savaient pas ce qui les attendait et elles craignaient le pire. Marie-José décrit ainsi leur arrivée :
« Quand nous vîment le camp, il était comme une forteresse tout illuminée. Après être entrées par le portail, nous avons attendu très longtemps, pleines de crainte, pour prendre une douche. Nous ne savions pas s’il s’agissait d’une chambre à gaz ou non. Mais après la douche, le premier groupe ressortit du bâtiment. A l’intérieur, des détenus hommes épouillèrent le groupe – un acte humiliant pour les femmes. (…) Nous nous sommes mises à courir sur le Nous avons été assignées aux blocs 16, 17 et 18.« 

Marie-José et d’autres détenues « NN » furent sélectionnées pour le travail forcé dans le commando de Amstetten, mais devaient retourner au camp central chaque soir. Au cours des raids aériens des 21 et 22 mars 1945 sur Amstetten, de nombreuses personnes furent tuées ou blessées et Marie-José fut au nombre de celles qui organisèrent une sorte d’infirmerie dans le bloc 16 pour prendre soin des blessées.

Au début du mois d’avril, les femmes des blocs 16, 17 et 18 furent déménagées dans une grange à foin dans laquelle elles n’avaient ni eau courante ni toilettes. Il n’y avait que très peu de place et la nourriture était encore plus pauvre que dans le camp principal. De nombreuses femmes contractèrent la tuberculose, le typhus et des diarrhées chroniques accompagnés de fortes fièvres et de douleurs abdominales. Marie-José elle-même tomba malade. Mais elle fit usage de ses compétences médicales pour soigner les malades et les blessées. Ce fut une période très difficile :
« Des jours sans fin s’écoulèrent et nous avions le sentiment d’avoir été entraînées dans une détérioration qui ne devait pas s’interrompre. Les Alliés avançaient, mais arriveraient-ils à temps pour nous secourir ? Les SS n’allaient-ils pas nous exterminer, juste à temps pour empêcher notre libération… ? Nous étions submergées de peur.« 

En fin de compte, Marie-José Chombart de Lauwe et sa mère furent confiées à la Croix Rouge le 22 avril 19455 et rapatriées en France. Elle avait à peine 22 ans. Son père ne revint pas. Il était mort au camp de concentration de Buchenwald. Son retour fut loin d’être gai :
« Nous devions retrouver notre identité perdue, lâcher les vannes afin de laisser derrière nous le monde du camp de concentration et nous mettre à revivre, et retrouver la sorte de vie normale dont nous avions été arrachées. Sans nous en apercevoir, nous étions toujours en train de porter le fardeau de nos amis disparus, et, ce qui était encore plus lourd, le reflet du mal que ceux qui nous accueillaient au retour pouvaient percevoir à notre apparence.« 


Après la guerre, Marie-José repris ses études et obtint son doctorat en psychologie de l’enfant. Elle fit la connaissance du sociologue Paul-Henry Chombart de Lauwe, un pionnier dans cette discipline. Ils se marièrent. Lui-même avait été un combattant de la Résistance et pilote dans la Royal Air Force.

Cinq ans après la libération, elle témoigna au procès tenu à Rastadt contre Fritz Suhen, l’ancien commandant du camp de concentration de Ravensbrück.

En 1954, elle fut recrutée au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) où on lui confia un groupe d’enfants inadaptés. Comme Directrice de recherche en psychologie sociale, elle se spécialisa dans les domaines de l’enfance et de l’adolescence et dirigea un séminaire de psychologie sociale pour des doctorants à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à la Sorbonne.

A l’occasion de la guerre d’Algérie, René Mirande et elle-même prirent position publiquement contre l’usage de la torture. Dans les années 1980, elle publia deux livres politiques sur la démocratie, le fascisme et l’extrémisme.

Marie-José Chombart de Lauwe est présidente de l’Amicale de Ravensbrück et, depuis 1982, membre de la Ligue des Droits de l’Homme où elle représente la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes). En sa qualité de membre du conseil de la FNDIRP, elle donne des enseignements aux jeunes, en particulier sur la mémoire de la Déportation, et elle visite d’innombrables écoles.

Entre 1988 et 1991, Marie-José Chombart de Lauwe fut membre du Comité national consultatif d’éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, qui fut fondé par le Professeur Jean Bernard, ancien combattant de la Résistance. Elle se consacra aussi au combat pour les droits de l’enfance qui aboutit à la convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant de 1989.

Mais, avant tout, elle travaille pour la commission médicale et sociale de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation qui fait des recherches sur les conséquences de la déportation sur la santé des déportés et sur les thérapies possibles. Les leçons qu’elle en tire sont susceptibles d’être transposées aux soins médicaux à la suite de catastrophes dans les pays en développement. En 1996, elle accepta de succéder à Marie-Claude Vaillant-Couturier, qui étant sérieusement malade, comme présidente de cette fondation.

Marie-José Chombart de Lauwe a reçu de nombreux prix et titres honorifiques. Ses mémoires, sous le titre Toute une vie de Résistance, furent publiées en 2000.