Raymond Aubrac

Raymond Aubrac

Raymond Aubrac évoque le « couple unique » qu’il formait avec Lucie dans la Résistance lyonnaise au sein du mouvement Libération-sud.

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Durée : 10:57

  1. Les premières rencontres de Lucie Aubrac

Quand Lucie rentre de Clermont, elle apporte un élément complémentaire, elle a rencontré un vieil ami que je connais très bien, il s’appelle Jean Cavaillès, un philosophe, et au hasard d’une rencontre à une terrasse de café de la place de Jaude, elle a fait la connaissance d’autres personnages dont un certain Emmanuel d’Astier de La Vigerie, journaliste, Zérapha, un militant de la LICA, et le secrétaire de rédaction du journal La Montagne, Rochon, et la conversation tourne autour de cette idée : Tout ce qui se passe dans ce pays est intolérable, il faut faire quelque chose.

Et d’Astier dit « mais moi j’y pense aussi, nous sommes en train de créer la Dernière Colonne et la Dernière Colonne va combattre d’abord l’ennemi le plus proche qui est Vichy, la presse collaborationniste et puis les Allemands ».

C’est avec ce discours que Lucie rentre 24 heures plus tard à Lyon et ça me paraît complètement farfelu. Au bout de 48 heures, il est arrivé, a sonné à notre porte un garçon à qui j’ai été ouvrir, nous avions un petit logement rue Pierre Corneille, de deux pièces, j’ai été ouvrir et je suis devant un grand garçon brun qui dès la porte ouverte crie « sous le pont Mirabeau » et Lucie, du fond de sa cuisine répond « coule la Seine ».

Ça, c’est le mot de passe de la Dernière Colonne. Alors ce garçon entre, et ce garçon, c’est Jacques Vernant qui est le frère aîné de Jean-Pierre Vernant, également agrégé de philosophie. Finalement les réflexions de Jacques, Lucie, me paraissent quelque chose qui est raisonnable et qui répond à ce besoin que j’éprouve aussi, d’essayer de faire quelque chose.

Nous sommes en zone libre hein, à Lyon, plus exactement en zone non-occupée, elle n’est pas si libre que ça. Finalement nous arrivons très bien à la conclusion que ce qui faut faire, c’est diffuser de l’information.

  1. Le journal clandestin LIBERATION

La vie s’organise, Lucie attend un enfant pour le mois de mai 41. Donc les occupations sont les suivantes, Lucie fait ses cours au lycée, personnellement mon bureau n’a pas pu m’occuper très longtemps, j’ai trouvé du travail dans une entreprise de travaux publics et j’ai un énorme chantier qui travaille avec 600 travailleurs à 3 postes, dans la banlieue de Lyon, et donc nos journées sont occupées, nos soirées sont consacrées à rencontrer des amis.

Nous participons à une espèce de petit noyau qui est en train de chercher à s’organiser, qui recrute, qui recrute assez rapidement et qui va sortir, je crois fin juin ou début juillet 1941, le premier numéro de notre journal clandestin qui s’appelle Libération.

Les difficultés de la vie de l’époque, je me garderai bien de les oublier d’autant plus que mon voisin l’a signalé, c’est le ravitaillement. C’est le problème numéro 1 pour les citadins de Lyon et de Marseille et de Toulouse, c’est un problème terrible. Je ne vais pas m’engager à vous raconter comment on prit de la plupart de nos tickets de ravitaillement. Nous avons essayé d’élever une oie, sans arriver à la faire grossir bien qu’elle eut avalé la plupart de nos tickets et le jour où il a fallu l’exécuter, c’était pour moi, c’était un petit cauchemar, et bien le foie était tout petit. Il n’y avait pas grand-chose à manger.

  1. Mise en place de l’Armée Secrète

D’Astier est absent et on me charge d’aller rencontrer ce monsieur « Rex » (NDLR : Note sur Jean Moulin dit Rex, etc.)qui arrive de Londres et qui est un émissaire du général de Gaulle. Alors il y a un rendez-vous derrière les colonnes du Théâtre Municipal de Lyon, on arrive sur la place des Terreaux, il a les clés d’une maison, il ouvre la porte, il me fait entrer et il me dit « bonjour Bernard », parce qu’il avait rendez-vous avec d’Astier.

Et je lui dis « je ne suis pas Bernard, je suis Aubrac, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? ». C’est à ce moment-là que Max me dit « je vais vous montrer mon ordre de mission », il sort une boîte d’allumettes, pleine, il vide la boîte d’allumettes et il prend dans sa poche une pince à épiler, il soulève le fond de la boîte d’allumettes, et sous le fond de la boîte d’allumettes, y’a une petite photocopie, c’est la première fois que j’ai vu la signature du général de Gaulle, sur l’ordre de mission, je crois, du caporal Mercier.

Alors le caporal Mercier, il a une double mission, d’après l’ordre de mission du général de Gaulle, premièrement coordonner les activités des mouvements de Zone Sud et deuxièmement aider à créer l’Armée Secrète. Alors ce problème m’intéresse particulièrement parce que j’ai été chargé dans le mouvement Libération, Libération Sud, dans l’intervalle, il s’est créé un mouvement Libération Nord avec Cavaillès, Pineau etc., ce sont un peu nos cousins mais les deux mouvement sont séparés. Donc dans ce mouvement Libération Sud, j’ai été chargé d’organiser le secteur paramilitaire, c’est-à-dire d’identifier et si possible de regrouper des camarades qui sont prêts à prendre part à un futur combat.

  1. Deux arrestations, deux évasions

Je vais être, dans cette année 43, arrêté deux fois. Le 15 mars 43 à une réunion où j’avais convoqué mes deux adjoints de l’époque qui sont Kriegel-Valrimont et Serge Ravanel. Les deux garçons, Maurice et Serge, viennent de faire une tournée, ils ont repéré des endroits où on va pouvoir installer ce qu’on commence à appeler des maquis, c’est compliqué, il faut les loger, il faut organiser leur nourriture, dans la mesure du possible organiser même leur encadrement et peut-être un peu leur entraînement militaire.

Nous avons une réunion le 15 mars dans un des locaux dont nous disposons à Lyon et nous sommes arrêtés tous les trois par la police française. A ce moment-là, je m’appelle Lucien Vallet. Grâce à la meilleure moitié du couple Aubrac qui va faire pression sur le Procureur de la République, je suis finalement mis en liberté provisoire. Entre parenthèses, Lucie a fait quelque chose d’extraordinairement audacieux. Elle arrive devant le Procureur, dans sa salle à manger, et elle lui dit « monsieur le Procureur, vous avez dans votre prison un certain Lucien Vallet, il a rien fait, il y a rien dans le dossier, une demande de liberté provisoire est approuvée par le juge d’instruction, il manque votre signature, et bien, je viens vous dire de la part du général de Gaulle que Lucien Vallet est un officier du général de Gaulle et si, il n’est pas libéré dans la semaine, vous ne vivrez pas plus que la fin de la semaine ».

Et elle s’en va. Le lendemain matin, j’étais mis en liberté provisoire.

Et puis catastrophe, le général Delestraint, le chef de l’Armée Secrète est arrêté au début du mois de juin et je suis rappelé à Lyon. Naturellement, y’a plus de Lucien Vallet, je deviens Claude Hermelin. Et quelques jours après, c’est l’arrestation de Calluire et je suis arrêté avec le camarade convoqué par Max. Et me voilà en prison, à Montluc, soumis aux interrogatoires répétés de Klaus Barbie personnellement pendant une semaine et là, je songe avec terreur à la démarche qu’a faite Lucie auprès du Procureur de la République, car le Procureur de la République en question est dans les meilleurs termes avec la Gestapo.

Mais enfin cet homme n’a pas la réputation d’un très grand courage, apparemment ça n’est pas lui qui a parlé à Barbie, c’est un policier coopérant quotidiennement avec la Gestapo de l’avenue Berthelot, qui voyant ma photo déclare « celui-là, il s’appelle pas Claude Hermelin, je vais vous retrouver son nom ». Il regarde dans ses dossiers et le 3èmeou le 4èmejour de mes interrogatoires, Klaus Barbie, d’un ton vainqueur me dit « tu n’es pas Claude Hermelin, tu es Lucien Vallet, je le sais maintenant ». Il n’a pas découvert que j’étais Raymond Samuel, s’il l’avait découvert, il est probable que je ne serais pas capable de témoigner devant vous ce soir.

En conclusion

La deuxième évasion est réussie. Le 21 octobre 1943, la famille Aubrac rejoint Londres.