Pierre Demalvilain

Pierre Demalvilain

Résistant breton, agent de liaison du réseau franco-polonais F2

Vidéo

Durée : 10:45

L’engagement

Étant né au mois de juillet 1926, j’avais donc à peine 14 ans lorsque les troupes allemandes envahirent la France. Ce fut pour nous, enfin pour moi aussi en particulier, une grande consternation. Et quand il y a eu, comment, la demande d’Armistice de Pétain, je n’arrivais plus à comprendre. J’étais à l’école de Jules Ferry, vous savez, l’école républicaine, où on nous a appris d’être citoyen plutôt que sujet, ça c’était toujours le terme qu’avait dit mon instituteur, et ensuite y’avait un instituteur qui était chef des Éclaireurs de France, donc il m’avait demandé d’en faire partie, ça m’a beaucoup servi, bien que Pétain ait interdit après l’exercice des Éclaireurs de France, de pouvoir m’échapper ou mes absences et tout et ça a développé également mon sens de l’observation qui m’a beaucoup servi.

Bon. Alors donc après l’école primaire, je suis allé en secondaire à l’école, au collège universitaire de Saint-Servan qui se trouvait près des quais de Saint-Malo. L’occupation a été faite et puis alors les Anglais venaient très souvent bombarder… le port. Les Anglais venaient avec quelques avions, les Américains n’étaient pas encore en guerre, et alors ils faisaient seulement des opérations chirurgicales, alors c’était pour moi qui possédait, vous savez les internes, ils étaient toujours un peu frondeurs, j’avais un passé et j’étais monté dans la dernière classe qui surplombait… les quais et alors donc j’observais donc le départ de la flotte allemande puis les bombes et tout.

Et j’étais donc installé le nez derrière le carreau quand j’ai entendu la porte s’ouvrir. Alors je dis « sapristi, ça doit être un pion qui vient me débusquer et tout », je me cachais et qu’est-ce que vois, je vois un grand, vous savez moi j’étais en classe de 5ème, 4ème, … un grand, c’est celui qui était en philo, et qui était là, et qui avait un carnet et qui prenait des notes. Je dis « tiens, bizarre et tout » et il s’aperçoit de ma présence. Bien sûr, il se tourne vers moi, puis il me dit « mais qu’est-ce que tu fais là ? » et je dis « et toi ? » « ben !!! la même chose », il me dit « on ne devrait pas être là », donc il rentre son carnet trop précipitamment à mon gré, je n’ai rien dit et puis une dizaine de jours après, il me coince au préau, étudie un petit peu mes opinions pour un petit peu et puis il me dit « mais est-ce que tu pourrais rendre service, tu aimerais rendre service à ton pays ». Bien sûr, je peux rendre service mais à l’école un garçon de 14 ans ! Qu’est-ce que je peux faire ? «  ….Bon, …..il me dit, on verra ça ». Aux vacances donc de Noël, il me dit « je vais te présenter à quelqu’un » « et où ça ? » « A Pontorson ».

Pontorson, c’est à 45 km de Saint-Malo, fallait y aller en vélo, bon le vélo, j’étais jeune… on file là-bas à Pontorson et là il me présente à quelqu’un, une personne de 35-40 ans, je vois toujours sa physionomie quand il me présente, il ouvre les yeux, il écarquille les yeux et il a dit « il me présente un gosse !!!», j’étais là en culotte courte, et enfin bon, il dit rien,  puis il m’interroge un peu, avoir aussi également confirmation de mes opinions, de ma famille et tout et puis il me dit « mais tu… t’as une bonne mémoire ? ». Ça, j’ai encore une bonne mémoire et je sais dessiner….  Il dit « bon ben on verra ».

Et puis je rentre à Saint-Malo et puis alors ils m’ont confié ce qu’on appelle les petits boulots. Alors les petits boulots consistaient, qui avaient une certaine importance quand même, c’était de faire le relevé des véhicules allemands, savoir reconnaître leurs blasons, alors les blasons, c’est un genre de totem qu’ils mettaient et à côté, il y avait des signes conventionnels avec des numéros, c’étaient les unités, alors ça permettait de savoir qu’est-ce que ces unités faisaient et ce qu’elles avaient fait, parce qu’elles parcouraient la France. Il y avait également les types de bateaux qu’il a fallu apprendre et c’était déjà beaucoup de choses pour moi.

L’action

Il fallait quand même quelqu’un qui soit capable d’être le chef de secteur. Alors dans ma classe, j’avais une amie dont le père était médecin généraliste, d’origine grecque, le docteur Jean Andreis. Alors Hélène, c’était donc le prénom de cette fille-là, bon j’en ai parlé, c’est avec elle qu’on faisait …tourner les pancartes ou on inscrivait les V ou « à bas les Boches » et tout ça. Elle me présente donc à son père et son père je lui présente donc Yves Colin et c’est à ce moment-là que monsieur…, le docteur Andreis était devenu le chef de secteur.

C’était très intéressant d’avoir un médecin parce que les allées et venues n’étaient pas contrôlées, c’est normal qu’on ait les gens les plus divers possibles et puis un médecin qui reçoit des gens de tous les horizons peut avoir, glaner des renseignements ou aiguiller ses patients pour avoir des patients alors donc c’est lui qui prend ça, alors à ce moment-là, il avait quand même pas mal de relations.

On a pu avoir des spécialistes pour la marine et puis on a eu également le chef, monsieur Gouriou qui était chef de gare à Saint-Malo qui lui nous a donné tous les numéros de wagons, les départs, les destinations et tout, c’était quand même tout çatrès prenant, ça corsait beaucoup, alors tous ces rapports-là étaient transmis donc au docteur Andreis qui les faisait donc acheminer.

La première grande mission, ça a été de détecter, de savoir où étaient entreposées les bombes qui alimentaient les avions bombardant l’Angleterre. Alors on avait repéré grâce à quelqu’un qu’on avait envoyé sur le terrain, entrer dans l’organisation Todt pour pouvoir prendre les plans et faire les plans que nous avions fait du terrain d’aviation de Port-Rhuys, c’était Yves Guéna pour le citer, et lui il avait décidé que les avions étaient ravitaillés la nuit.

On a su qu’ils avaient, alors là c’est un bois, une forêt, les gens qui cherchent les champignons connaissent ça, et j’arrive là-bas dans la forêt, bon je vais repérer, il y avait les sentiers et je dis « bon il doit bien y avoir une entrée » mais manque de pot, parallèlement à moi, il y avait donc un Allemand camouflé, un parachutiste, camouflé en tenue de camouflage, mitraillette, qui était parallèlement à moi, qui passait. Que faire ? Alors me viens à l’idée hein de dire, de me tourner vers lui, je ne me suis pas dégonflé et je lui ai dit une bêtise au mois de juillet, je lui ai dit « je cherche pilz », c’est-à-dire des champignons, j’avais appris ce mot là en allemand puisque je faisais allemand en 2èmelangue, des champignons ! mais il n’a rien dit.

Au lieu d’être derrière moi, il me dit de le suivre, il était donc devant moi avec sa mitraillette, alors je vais, et qu’est-ce que je vois là, je vois dans des allées qui avaient été agrandies et des filets de protection et bien dans le fond des camions alignés avec ce fameux sigle qui se voyait hein, j’avais donc ça en tête, et puis des casemates… où il devait y avoir les choses. Qu’est-ce que fait l’Allemand, je dis « ça y est, il va m’amener là-bas », il me pousse pour me camoufler, il me cache. Ah je dis, ça alors ! Il s’en va au-devant où j’entends qu’il a dû se faire copieusement enguirlander par ses supérieurs en disant « mais pourquoi tu n’es pas à faire la garde, … qu’est-ce que tu fais là », alors claquement de talons et tout, il revient et puis il m’attrape et « allez, ouste », pensez que j’ai pas demandé mon reste.

Et alors après ce que j’ai eu comme charge et tout, c’est d’avoir le relevé de toutes les fortifications, tours individuelles compris, réseaux de barbelés, champs de mines et tous les ouvrages en somme de Pontorson à Saint-Jacut-de-la-Mer. C’est un immense travail qu’il fallait mettre constamment à jour et puis il y a eu les convoyages sur Paris.

On ne savait pas pour quel réseau on travaillait, le premier c’était donc le réseau F2 Famille, Famille, ça voulait dire Bretagne, parce qu’il était indépendant du gros réseau Famille, bon vous savez le réseau Franco-Polonais. Moi j’avais l’indicatif de « Jean Moreau ». Mon chef c’était « Claude » hein, le docteur Andreis. En 1944, il a été déporté à Dachau, il avait été arrêté une première fois, arrêté par l’Abwehr, il est arrêté 8 mois mais il a pu ???Alors après nous sommes rentrés avec le réseau Delbo-Phénix, mais entre-temps quand il était arrêté, qu’on a pu encore travailler, on a pu transmettre des renseignements par l’intermédiaire du réseau « Manipule » qui était dirigé par l’abbé Lapouge, alors il y avait dedans Arthur Reynaud et puis également René Chesnais. Et moi je suis resté à Saint-Malo, ayant comme mission d’attendre les Américains et de pouvoir leur remettre les plans.

Le dénouement

Alors au mois d’août 44, donc quand les Américains sont venus, je suis allé au-devant des Américains et j’avais mis la reproduction de notre plan, il faisait 2 mètres sur 1 mètre autour du moi, et puis je me suis présenté là-bas auprès, c’était le colonel Campbell, il avait installé son PC au-dessus d’une pharmacie, la pharmacie Guillou, j’ai été reçu un peu fraichement, je ne savais pas et je suis sûr qu’il était sincère, qu’il y avait une résistance organisée donc à Saint-Malo. Et puis après il a eu les renseignements positifs alors il m’a remercié, la jeep était remplie de rations, il m’a habillé de pied en cap et tout et je suis donc reparti.

Message aux jeunes générations

J’avais reçu à Saint-Malo officiellement le père Brückbergerqui était Compagnon de la Libération, il était venu présenter son film « Tu récolteras la tempête » et alors il avait eu une conclusion sur la définition de la liberté, je le cite et beaucoup de jeunes le reprennent d’ailleurs dans leurs textes et tout : « la liberté, c’est l’air qu’on respire, tant qu’on l’a, on n’y pense guère, lorsqu’il vient à manquer, alors on étouffe et on meurt ».