Noreen Riols

Noreen Riols

Membre du quartier général du S.O.E à Londres.

Vidéo

Durée : 13:12

L’engagement

C’était à cause de la loi britannique à cette époque-là, qui a insisté que tout étudiant qui arrivait à l’âge mûr de 18 ans, si on ne faisait pas la médecine, était obligé de quitter ses études et de soit travailler dans une usine d’armement, ou d’entrer dans les forces armées. Alors je vous dis que travailler dans une usine ne me passionnais guère.

Alors j’ai décidé de faire partie de la Marine féminine, parce que je viens d’une famille navale mais surtout parce que je trouvais les chapeaux très coquets ! Mais au moment où je suis allée m’inscrire au bureau de recrutement, j’ai été pris à part et emmenée dans un couloir, dans un petit bureau, il y avait un monsieur très sévère qui commençait à me poser des questions complètement idiotes, qui n’avaient rien à voir avec le navire de guerre que j’avais l’intention de commander un jour, et finalement j’ai été ensuite au Foreign, au service étranger où il y avait un officier encore très sévère…j’ai continué et finalement j’ai été envoyée dans ce grand immeuble à Baker Street que je croyais être encore un ministère et je crois que les centaines de personnes qui passaient devant tous les jours croyaient que c’était un ministère, mais non, c’était le quartier général du S.O.E.

Quand je suis arrivée en 1943, c’était très bien installé. Il y avait les représentants de tous les pays occupés qui étaient en train d’organiser des sabotages et des parachutages, des infiltrations d’agents secrets par sous-marin, et moi j’ai été dirigée vers le colonel Buckmaster qui est maintenant légendaire en Angleterre, j’ai été envoyée à la section F, parce que le S.O.E avait grand besoin de personnes qui parlaient des langues et les Britanniques ne sont pas connus pour ça.

Alors j’ai l’impression qu’il y avait quand même quelque chose là-dedans. C’est la seule explication que je puisse donner parce que je n’en ai pas une autre.

Vous aviez appris le français au lycée français ?

Non, non, non, je le parlais avant, on apprenait l’allemand et l’espagnol.

A votre avis, pourquoi Churchill a-t-il créé ce service qui devait mettre le feu à l’Europe et au monde ?

Je crois que c’est parce que c’était un homme d’une grande vision. C’était un visionnaire parce que vous vous rappelez, c’était lui et Eden qui avaient essayé de pousser le parlement britannique d’accepter des officiers allemands qui voulaient venir pour expliquer qu’il fallait supprimer Hitler… mais personne ne voulait les écouter. Mais je crois qu’il voyait très loin.

Il aimait beaucoup la France aussi. Il passait beaucoup de temps dans le Midi. Et puis je crois qu’il voyait en de Gaulle, l’espoir. Un espoir qu’il y a peut-être plus que dans les autres, parce qu’il y avait quand même les représentants de tous les pays occupés, qui étaient là. Mais peut-être qu’il voyait en de Gaulle quelqu’un, peut-être pas quelqu’un avec qui il pouvait travailler en paix, mais quelqu’un qui avait peut-être la même vision pour son pays que lui.

Nous avions quand même des liens avec le BCRA même si ce n’était pas des liens toujours amicaux, on avait quand même des liens. Nous on avait, les officiers se mélangeaient, c’était simplement le Général qui ne voulait pas avoir… les autres, ils étaient… on se connaissait. Moi je connaissais Dewavrin et tous les autres.

Hommage aux agents du S.O.E disparus en France

Et bien il y en avait qui ont disparu, on ne sait pas s’ils ont disparu héroïquement ou non, il y a la plus connue, c’était peut-être Violette Szabo qui était de mère française et père britannique qui a été exécutée à Ravensbrück je crois. Il y avait les 4 filles qui étaient brûlées vives à Natzweiler et ça c’était affreux oui. Elles étaient moitié-moitié, il y avait une qui était purement anglaise, il y avait Vera Leigh qui était moitié-moitié.

La princesse Indienne ?

Noor Inayat Khan

Vous l’avez connue ?

Je ne l’ai pas connue mais j’ai beaucoup entendu parler d’elle parce que vous savez, personne ne voulait qu’elle parte, tous les instructeurs ont dit « non, c’est une mystique, une poétique », elle a dit « je ne peux pas dire un mensonge », mais la vie d’un agent secret, c’est un mensonge au début, c’est purement et simplement un mensonge, et puis elle a dit «  je ne tuerai personne » et quand elle était en Ecosse, le sergent qui enseignait, il a dit « vous prenez ce pistolet et vous tirez » et il l’avait forcée. Mais Buck avait cette… Il a dit « non, non, j’ai confiance », il se fiait à son… mais sa vision, vous avez entendu parler de Francis Cammaerts ? Son père était le poète belge et sa mère était britannique et tout le monde l’aimait beaucoup mais il disait « pfft, aucune initiative, je ne pourrais jamais être un chef de quoi que ce soit, non faut pas, c’est pas du matériel pour un agent secret », tout le monde le condamnait, Buck a dit « je l’envoie ».

C’était un des meilleurs agents qu’on a jamais eu. Est-ce qu’il aurait dû ne pas envoyer Noor Inayat Khan ? Je crois qu’il y avait beaucoup de raisons de ne pas l’envoyer.

C’est elle qui a voulu y aller ?

Oui, oui, beaucoup de ces femmes ne savaient pas ce qui les attendait, vous savez.

Est-ce que le colonel Buckmaster lui se rendait compte que quand il envoyait un agent, il y avait hélas des risques de ne jamais le revoir ?

Ben, on leur disait « il y a 50% de chance que vous reviendrez ». Au début pour les radios, la durée de vie était de 6 semaines…, ça s’est amélioré après parce que les choses se sont améliorées, mais ils savaient. On les prévenait. Personne n’était forcé. La durée d’entrainement était de 6 mois et puis jusqu’au moment où il montait dans l’avion, Buck ou celui qui l’accompagnait disait toujours « ce n’est pas trop tard, vous pouvez changer d’avis, personne ne va penser du mal de vous, si vous voulez changer d’avis, c’est maintenant ou jamais ».

Je ne crois pas que quelqu’un ait changé d’avis. Et ils étaient prévenus dès le début des risques en disant « si vous êtes pris par les Allemands, on ne peut pas faire grand-chose pour vous, voilà le « aid tablet ».

Le cyanure, c’est ça ?      et on leur disait « mais où est-ce que vous voulez qu’on le cache ? »,    et d’habitude c’est la personne qui fabriquait des vêtements « made in France » qui le cachait peut-être, vous savez ici (NDLR le revers) ou dans la poche. Il y avait une fille que je connaissais, elle cachait le sien dans un bâton de rouge à lèvres et on disait « mais ça vous tuerait dans 2 minutes, alors nous vous conseillons de prendre ça si vous êtes pris parce que… ce n’est pas joli ce que la Gestapo fera, mais si jamais vous êtes pris et vous ne le prenez pas, essayez de ne pas parler pendant 48 heures pour laisser les autres se disperser ».

Quand vous êtes torturés, ce n’est pas facile d’attendre 48 heures. Par exemple Francis Cammaerts, comme je vous ai parlé, lui on le chassait partout, on ne le trouvait pas, finalement on avait mis les mains sur lui, il était enfermé, il devait être exécuté le lendemain, il a sans doute subi beaucoup de tortures, et c’était Christine Granville, son courrier qui finalement l’a libéré.

Nous ne savons pas, on demande pas ce qu’elle a fait mais je sais que Londres a envoyé une grande rançon et ça a peut-être aidé. Alors il était en cachette, les Allemands le cherchaient partout, il fallait absolument le sortir immédiatement alors Buck a dit « il me faut un avion pour ce soir, un Lysander pour ce soir » et tout le monde est allé dans tous les sens, téléphoner… et puis finalement son adjoint est venu en disant « monsieur je suis navré, mais personne n’a, il n’y a pas d’avion libre, il n’y a pas d’avion. Il y a une grande compagne de bombardement sur Berlin ou quelque part, il n’y a rien avant deux jours ». Alors il a sauté, pas qu’avec la tête, quand il était comme ça, on partait vite, il sautait comme… et puis il descendait tout de suite, il a dit « oh, demandez aux Américains, ils ne vont pas nous laisser tomber ». Et c’est vrai, les Américains étaient là le soir, ils sont allés et « Roger », c’était son nom de code, Roger, il est entré dans le bureau le lendemain comme s’il venait de passer 15 jours sur la plage, aussi frais et dispos.  On ne pouvait jamais imaginer ce qu’il avait subi. Tandis que d’autres qui avaient à mon avis subi beaucoup moins étaient dans un… on ne peut pas savoir, on peut jamais prévoir.

Le colonel Buckmaster ne rendait compte qu’au premier ministre d’après ce qu’on a dit mais j’imagine…Il y avait le général Gubbins, Colin Gubbins qui était le chef de tous les SOE. C’était un ancien de la première guerre mondiale qui avait fait de l’Intelligence, du renseignement pendant toute sa vie, je crois. C’était un homme de grande valeur, oui. …. Et le colonel Buckmaster, vous l’avez beaucoup vu pendant tout ce temps : …. Oh ben oui, tout le temps oui, tous les jours. Tous les jours, oui, quand j’étais à Londres… Et après aussi.

Message aux jeunes

Bah ça peut être un peu cynique mais ce que… je comprends, c’est que de l’histoire, tout ce qu’on apprend, c’est qu’on n’apprend pas, parce qu’on répète les mêmes erreurs. Et puis nous étions des idéalistes vous savez, on croyait qu’on faisait cette guerre et je crois qu’on n’avait pas le choix finalement pour cette guerre, mais pour rendre un pays prêt pour les héros mais malheureusement les héros sont revenus et ce n’était pas… ils étaient ignorés pour la plupart. Les héros de SOE étaient très très maltraités parce qu’on tombait entre 2 tabourets, nous n’étions pas, nous appartenions pas au Bureau des Affaires Étrangères, on n’appartenait pas au Bureau de la Défense alors personne ne voulait de nous.

Et nous avons été très très maltraités à la fin. On a été… Et les héros sont revenus et c’était les autres qui restaient à classer des dossiers qui avaient monté en grade, qui avaient pris les positions, ils prenaient ce qu’il restait. Je crois qu’il y en avait pas mal qui étaient quand même amers. !!!!