Loïc Bouvard

Loïc Bouvard

Loïc Bouvard des maquis de Saint Marcel (Morbihan). Croix de guerre à 15 ans.

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Durée : 13:09

Loïc BOUVARD

 L’engagement de mon Père :

Il ne m’est jamais venu à l’esprit de ne pas m’engager dans la Résistance car mon père nous a donné un exemple magnifique, il est parti. Il a démissionné de l’armée de l’air le jour de l’Armistice, il a créé en zone Sud le service de renseignement de l’armée de l’air qui travaillait pour les Britanniques. Il est parti de Vichy, dans la zone libre, au moment où la flotte française s’est sabordée en novembre 42, dans le dernier avion qui a quitté la zone libre, il est parti d’ailleurs avec le colonel de Beaufort qui par la suite, vous le savez peut-être, était à côté du général De Gaulle. Puis ils sont partis à Biskra puis ils sont partis en Algérie, et là, il a repris du service. Il était officier évidemment d’aviation, commandant à l’époque et il a commandé un groupe puis une escadre de bombardement.

 D’abord à Bamako puis a participé en août 44 au Débarquement dans le Sud de la France. Ses maraudeurs étaient basés en Sardaigne et il a bombardé avec ses maraudeurs les forts qui entouraient Toulon. Il a été fait prisonnier, l’avion ayant éclaté, et c’est lui qui a obtenu la reddition de Toulon à l’armée de Lattre de Tassigny. Toulon, où il n’y a pas eu un mort et c’est lui avec un drapeau blanc qui convaincu un général allemand de se rendre, et qui a obtenu que Toulon soit complètement libéré.

Je ne le savais pas ça, en juin 44, mais je savais qu’il était de l’autre côté, qu’il se battait pour la France à partir de l’Afrique du Nord.

Ma mère aussi avait le même idéal, elle était fière de nous, voir nous engager dans la Résistance. Et lorsque, puisque vous le savez, il y a eu la bataille de Saint-Marcel en Bretagne, lorsque le capitaine Puech-Samson,parachutiste, lui a demandé si je pouvais être armé alors que je n’avais que 15 ans, elle a dit « oui, son père serait fier de lui »

Saint-Marcel –

J’ai eu la chance, le privilège même, de me trouver en juin 44, même en mai et juin 44 à Saint-Marcel qui était le berceau de ma famille et où s’organisait un noyau de résistance et c’est là que les parachutistes du colonel Bourgoin, que vous connaissez bien, du capitaine Puech-Samson, du capitaine Marienne, du capitaine Larralde, tous ces héros, certains d’entre eux sont devenus Compagnons de la Libération, vous le savez, bien sûr ils ne sont plus là maintenant.

J’ai eu la chance extraordinaire, le privilège même de participer à ce combat pour la libération de mon pays. Nous étions là, on commençait à parler du Débarquement, on commençait à recruter des fermiers, des jeunes paysans, on se rassemblait à La Nouette, tout près de Saint-Marcel et puis les parachutistes sont arrivés dans la nuit, à partir du 5 juin

Vous les attendiez ?

On les attendait, on savait que quelque chose allait se passer et donc je suis parti, j’ai quitté ma mère et mes frères et sœurs, avec mon jeune frère nous avons pris le maquis, nous sommes allés à La Nouette et c’est là que j’ai vu arriver dans la nuit, toutes les nuits. Les parachutistes arrivaient par vague chaque nuit à partir du 5 juin, le premier d’ailleurs a été tué, vous le savez sans doute.

Le caporal ? …

Oui, Bouétard, il a été tué à Plumelec en descendant, puisqu’il y avait un mirador allemand mais j’ai vu arriver le colonel Bourgoin.

Le colonel Bourgoin

Je l’ai accueilli moi-même, j’étais là au terrain Baleine la nuit où les avions anglais droppaient les parachutistes, il y en a eu plus de deux cent, … deux cent soixante-dix parachutistes je crois droppés chaque nuit jusqu’au 18 juin.  Le camp s’organisait et j’étais là, l’un des agents de liaison. Nous allions ravitailler le camp avec mon frère, … on allait chercher des victuailles, on était arrêtés par les Allemands mais nous avions des bicyclettes avec sur le porte-bagage, on avait… quelques boudins et saucisses etc.

Ils nous disaient « qu’est-ce que c’est que ça ? », « bah c’est pour la famille », mais des gosses de 14-15 ans, ils nous laissaient passer. Et par conséquent, comme agent de liaison, je portais également des messages, ça c’était pendant le camp et ensuite, le jour de la bataille, et bien j’ai donc été armé, j’ai eu cette carabine américaine et le capitaine Puech-Samson m’a dit après avoir obtenu la permission  de ma mère, m’a dit «… bon ben viens, on monte en première ligne, tu seras mon aide de camp, tu seras mon garde du corps » et nous sommes montés en première ligne devant les lignes allemandes et c’était extraordinaire, c’était en pleine bataille.

Vous n’avez pas eu peur ?

Non, on est pris dans… d’abord j’avais vu arriver la matin, vous le savez peut-être, la bataille de Saint-Marcel, des jeeps allemandes donc des voitures allemandes sont arrivées qui ont été mitraillées, …une de ces 2 voitures est repartie sur Ploërmel donner l’alerte, il était 6 ou 7 heures du matin, le 18 juin 44, et j’ai vu ces soldats allemands, ceux qui avaient été tués, on a d’ailleurs fait un trou pour les enterrer, vous vous rendez compte, un gosse de 15 ans ou 14 ans… bon bah on voyait la mort de près, et le lieutenant avait  été tué la veille, nous l’avions vu arriver. Il était sur la table de la cuisine je me souviens, de la ferme de La Nouette, ce grand corps, le lieutenant… donc on est pris par… ce n’est pas la soif du sang, mais c’est tout simplement le fait qu’on sait qu’il faut se battre, qu’on peut être tué mais que si nécessaire, on va tuer.

Et je n’ai jamais hésité. Je n’ai pas eu peur du tout en montant en ligne avec le capitaine Puech-Samson qui, quand il a été blessé, je l’ai ramené dans les lignes, mais je faisais le coup de feu contre les Allemands qui étaient dans les arbres avec des fusils à lunette, c’était des SS.

Et je dois vous dire que la balle qui est rentrée dans sa cuisse visait mon front, parce qu’il avait un fusil à lunette et j’étais accroupi devant lui et je tirais, il était debout, caché à moitié par un arbre, avec des jumelles il regardait et à un moment donné, il m’a dit « je suis touché », ma tête était là, la balle est rentrée ici et est ressortie là, donc à 1 cm quoi, j’aurais été tué, à côté de lui, mais c’est lui qui a été blessé, je l’ai ramené avec le sergent Pacificy. je me souviens, avec un parachutiste, on l’a ramené dans les lignes, à la ferme de La Nouette et toute la journée la bataille a fait rage.

J’ai continué à faire un certain nombre de liaisons mais il m’a dit « non, non, non, tu ne remontes pas au front, c’est pas possible ». Alors Bourgoin m’a pris un peu sous sa protection en quelque sorte, pendant la bataille, et il était très fier du fait que j’avais été me battre, il m’a dit d’ailleurs « Loïc, des FFI comme toi sont des types épatants », etc., enfin, et je crois même qu’il m’a nommé « soldat de première classe au feu », ouais.

La solidarité des hommes et le dénouement

Les parachutistes qui nous tombaient du ciel, c’était extraordinaire, ils nous apportaient la libération de notre pays. C’était des Français comme nous mais bien armés, aguerris et qui nous arrivaient d’Angleterre pour libérer la France. Et par conséquent vous pensez bien que la population était à cent pour cent pour, enfin était de leur côté d’une façon extraordinaire, d’ailleurs il faut que vous sachiez que sur les 270 ou 300 parachutistes qui ont été droppés entre le 5 juin et le 18 juin. Ça s’est arrêté le 18 juin lors de la bataille de Saint-Marcel à laquelle j’ai pris part et dont je vous ai parlé, 270 parachutistes sont arrivés, il y en a 70 qui ont été tués. Certains d’entre eux ont été torturés.

Vous êtes allé au fort de Penthièvre ? : Vous avez vu que mes camarades, 50 de mes camarades ont été emmurés vivants dans un tunnel du fort de Penthièvre. Et donc nous, nous l’avons échappé belle si je puis dire, j’aurais pu être tué bien entendu.

Je voudrais évoquer la façon dont les paysans ont participé à cela. Je les vois encore arriver avec leurs charrettes, parce qu’à ce moment-là c’était des charrettes tirées par des chevaux, la nuit, pour ravitailler le camp car dans le camp, il y avait plus de 2000 FFI. Énorme.

On avait battu le rappel, il y avait notamment des gendarmes, les gendarmes ont été magnifiques, les gendarmes bretons…, d’abord ils empêchaient un grand nombre de jeunes de partir au STO, et ensuite ils sont venus avec nous dans la Résistance. Mais cette solidarité, elle était partout, elle était immanente, on sentait à quel point, de cœur… les gens avaient tellement envie que la France soit libérée.

Le nombre de personnes qui ont été, à peu 2000 ou 2500 ont été tués ou fusillés ou torturés pendant le mois de juin-juillet-août, enfin avant la libération par Patton. Les gens… les gens participaient, participaient, nourrissaient le camp évidemment, cachaient, ensuite, on cachait les parachutistes, le colonel Bourgoin a été caché longtemps, lui était repérable puisque c’était un manchot… terrible, extraordinaire et bon, il a survécu, et les Allemands cherchaient des manchots partout.

Il a failli être… mais il était caché. Tous ces gens-là cachaient des parachutistes bien entendu, et nous aussi nous étions cachés et ça reste pour moi vraiment un moment extraordinaire, parce qu’à 15 ans, se battre mais vraiment se battre, le fusil à la main, pour la libération de son pays, avec des gens extraordinaires, tous ces parachutistes et tous ces FFI et participer à la libération de son pays, c’est quelque chose de formidable.

Message aux jeunes générations

Le message que je voudrais laisser aux jeunes c’est que, ayant combattu les Allemands  et de façon féroce, ayant failli être tué, ayant peut-être tué, ayant vu toutes les destructions, ma tante, la sœur de mon père emmenée un an à Ravensbrück en camp de concentration parce qu’elle était infirmière du maquis, ayant vu les destructions, mon pays envahi et mon pays libéré mais alors meurtri, et bien je suis maintenant devenu un fervent Européen, et je supplie, 50 ans ont passé, on a construit l’Europe, on n’a pas achevé la construction européenne, il faut s’empresser de la construire et c’est ce que nous disions d’ailleurs hier, puisque je terminerai par là, au colloque Université d’été de la Défense à Saint-Malo, l’Union européenne ne pèsera que si elle devient véritablement une unité, elle pèsera en face des grands ensembles que sont la Chine, la Russie, l’Inde, et alliée aux États-Unis, car je crois beaucoup à la communauté Euro-Atlantique, d’ailleurs sans les Américains, nous n’aurions pas en 1944 libéré la France.