Hélène Viannay et Jacqueline Pardon

Hélène Viannay et Jacqueline Pardon

Hélène Viannay, co-fondatrice de Défense de la France et Jacqueline Pardon évoquent le mouvement et le journal dont le premier numéro est sorti le 14 juillet 1941.

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Durée : 8:48

Qui sont-elles ?

Jacqueline Pardon

Et bien au départ, qui étions-nous ? Nous étions des étudiants. Le journal est né à la Sorbonne avec Philippe Viannay qui était agrégatif de philosophie, Hélène Viannay qui était une scientifique, Charlotte Nadel qui était également une scientifique, moi-même qui était étudiante de philosophie à la Sorbonne, donc au départ quelque chose de très intellectuel.

Hélène Viannay

Nous décidons de faire un journal clandestin. Qu’est-ce que ça veut dire ? On ne sait même pas ce que veut dire un journal clandestin. Après tout, nous avons essayé. Et nous étions différents les uns des autres, ceux qui ont décidé de faire ça. Il y avait à la direction mon mari, Philippe Viannay, qui était un pétainiste convaincu. Il y avait Robert Salmon qui était anti-pétainiste convaincu. Il y avait moi qui était anti-pétainiste mais qui n’osait pas le dire. Donc ça n’était pas tellement simple. Finalement ce qui comptait, par-dessus tout, c’était de faire quelque chose. Faire quelque chose, c’était la joie, parce que nous étions dans un régime d’oppression, de total manque de liberté, dans la nuit, et que voilà une action à réaliser et c’était la joie et la lumière. Et ça, ce n’est pas tellement facile à comprendre peut-être maintenant mais ça a été capital pour nous tous.

Les difficultés

Jacqueline Pardon

La presse clandestine c’était quelque chose de très difficile. Il fallait d’abord pouvoir imprimer le journal. Imprimer le journal, ça supposait qu’il fallait du papier, qu’il fallait de l’encre, qu’il fallait des machines, qu’il fallait des typographes, qu’il fallait des imprimeurs, qu’ensuite il fallait quelque chose à dire dans le journal, donc des rédacteurs et ensuite des diffuseurs. Et bien à « Défense de la France », on a fait tout, depuis la première impression jusqu’à la diffusion.

Hélène Viannay

On a donc décidé de faire un journal clandestin et pour l’imprimer, comme je connaissais très bien la Sorbonne et que j’avais des clés, j’avais les clés des caves et dans les caves de la Sorbonne nous avons installé notre machine d’imprimerie, la machine que nous avons pu acheter grâce à la subvention d’un industriel qui s’appelait Marcel Lebon. Alors on achète cette machine, il faut la caser quelque part et nous l’installons dans les caves de mon laboratoire.

Elle y est restée 2 ans. Nous avons imprimé là pendant 2 ans. Et c’était la nuit, forcément la nuit parce que dans la journée, nous travaillions comme tout le monde. Alors il y avait en plus donc 3 nuits de veille, de travail, de travaux et les journées étaient longues. Alors c’était très intéressant et très fatigant.  Nous faisons aussi des faux papiers et les faux papiers c’était très, très important, parce qu’on faisait des fausses cartes d’identité, des faux permis de conduire, des faux vraiment de toutes sortes. Pour vous donner une idée, mon mari a eu un faux permis de conduire pendant la guerre et bien il l’a gardé pendant 10 ans.

Les volontaires de la liberté

Jacqueline Pardon

En 1942 nous tirions à 20 000 exemplaires, en 1943, 150 000, à la fin nous avons tiré jusqu’à 450 000. Alors nous avons progressivement agrandi notre champ d’action. De la Sorbonne, on est passé à d’autres catégories de population et puis nous avons eu surtout un apport que je veux signaler, qui était les lycées et classes préparatoires des lycées parisiens avec Jacques Lusseyran qui est un aveugle de la Résistance, dont un livre vient de sortir maintenant.

Il avait formé un groupe d’environ 200 des classes de terminale, et d’autres et ce mouvement a fusionné avec Défense de la France. C’était tous des jeunes extrêmement dynamiques qui ne demandaient qu’à agir et c’est eux qui ont permis au journal de passer de 20 000 exemplaires à 150 000.

Hélène Viannay

C’était des jeunes très dynamiques dans les lycées Henri-IV et Louis Legrand et ils nous ont rejoints, pas tous, parce qu’ils trouvaient que nous étions un peu trop gaullistes, pas assez, comment dire, pas assez libérés de Pétain. En effet mon mari, faut reconnaître, alors qu’il a été un grand Résistant, au début croyait tout à fait que Pétain travaillait à la liberté de la France. Il s’est rendu compte petit à petit que c’était une erreur d’appréciation, mais pas tout de suite. Ce qui fait que ceux qui étaient plus lucides que nous ne nous ont pas rejoints. D’autres nous ont rejoints quand même en disant « après tout, ils font quelque chose, alors faisons-le avec eux ».

Quel avenir à la Libération ?

Jacqueline Pardon

Notre but premier était de lutter contre l’occupant, d’inciter à lutter contre lui et de défendre des valeurs. Des valeurs qui étaient en premier lieu la liberté. Quand il s’est agi ensuite de passer de la presse clandestine aux journaux actuels, aux médias, à Défense de la France, nous avons eu beaucoup de mal, parce qu’en fait nous n’étions pas formés. Notre vocation n’était pas de faire de l’information mais de combattre contre un occupant.

Quels étaient les réels moyens de diffusion des journaux clandestins et comment en fait les personnes arrivaient à les acquérir ?

Hélène Viannay

Bien sûr une fois que les journaux étaient imprimés, il fallait les diffuser. Alors ce que nous faisions, le plus simplement du monde, on faisait des paquets de 500 exemplaires qu’on recouvrait de papier comme si c’était du papier vierge. Moi je sais que j’ai été contrôlée comme ça. Dans les sacoches de ma bicyclette, j’avais des paquets de journaux et je suis contrôlée par des gendarmes, par des policiers à un carrefour, « qu’est-ce que vous portez-là ? » ben je réponds « du papier », alors ils touchent « oui, c’est du papier, alors partez ». Évidemment moi j’ai eu du mal à remonter sur ma bicyclette après parce que j’avais eu peur. Mais en fait, ils cherchaient des gens qui faisaient du marché noir d’une part, d’autre part les femmes, ils ne s’en méfiaient pas beaucoup, hein les femmes n’étaient pas censées faire des actions subversives, donc nous étions d’une certaine manière un peu à l’abri.