Georges Loinger

Georges Loinger

Prisonnier de guerre, évadé d’Allemagne fin décembre  1940, résistant au sein de l’O.S.E. il sauva des centaines d’enfants juifs.

Vidéo

Durée : 12:20

Mes racines

Je suis né à Strasbourg en 1910, l’Alsace était allemande, puisqu’on oublie toujours que la France a perdu sa première guerre contre l’Allemagne en 1870. Et je parle couramment l’allemand, j’entre dans un mouvement de jeunesse sioniste, jeune, à l’âge de 13, 14 ans. Et à partir de 1925, on entendait parfois à la radio, à Radio Alsace, on entendait la voix de Hitler et je peux vous dire que c’est quelque chose d’effrayant.

Le personnage quand on le voit, bon il est relativement quelconque mais c’était un tribun, donc il y avait déjà dans cette jeunesse, il y avait déjà l’apparition de Hitler et il y avait déjà des Allemands, des Juifs allemands qui commençaient à prendre la fuite. Nous avions créé, au nom de la communauté, un groupe d’accueil pour les Juifs qui venaient de l’autre côté, on leur proposait une chambre ou des chambres, etc., les gens disaient tous « nous ne voulons pas rester chez vous, on passe à Strasbourg mais on a peur, terriblement peur de ce qui se prépare là-bas ».

Donc on arrive à cette époque-là, moi je suis à l’école technique de Strasbourg et je suis les cours etc., je commence à travailler au point de vue technique au port du Rhin, chargement et déchargement des bateaux, enfin une vie normale. Tout est normal. Je fais mon service militaire à Strasbourg, au 2èmeRégiment d’aviation de chasse, je me marie et à ce moment-là… intervient une personnalité qui va guider ma vie en quelque sorte. J’ai eu une sorte de maître à penser.

Un des fils du Grand Rabbin de Colmar, qui était médecin et qui a été le docteur Joseph Weill, qui était un savant et un homme tout à fait remarquable, qui le premier, peut-être un des premiers en France, a su que Hitler était la mort, et qui nous a fait des conférences. Le livre de Hitler est sorti, il a été en prison quelque temps, il a écrit ce livre en prison, il nous a amené ce livre et il nous a fait des conférences autour de ce livre, et Joseph Weill m’avait dit « il faut que tu t’occupes des jeunes, tu vas aller à Paris faire ton diplôme de prof de gym à l’académie, le diplôme officiel », et à ce moment-là, il y avait un professeur qui s’appelait Marcus Cohn qui était de Strasbourg d’ailleurs et il me dit « écoutez, je vais faire à Paris le premier lycée Juif de Paris, est-ce que vous voulez le faire avec moi ? ». Et on s’est installé là. Alors tout a marché très bien, la vie heureuse et tout et tout, j’ai eu un fils.

La guerre, le camp de prisonnier puis l’évasion

J’ai été mobilisé une première fois en 39, lors de la crise de Munich et tout ça, j’ai été envoyé déjà au 172èmeRégiment d’infanterie qui était un régiment…, ce n’était pas encore aussi clair en 1939, on a été renvoyé 4 mois après et on a été mobilisé pour de bon en 1940, comme tout le monde, début 40, et puis les Allemands sont venus le 16 mai.

Nos mitrailleuses lourdes, elles visaient de l’autre-côté du Rhin et ils sont venus par derrière, c’était leur truc. On nous a embarqués pour l’Allemagne. Et il ne s’est rien passé du tout au Stalag, ils respectaient la convention de Genève. 3 à 4 mois après être prisonnier, j’ai eu à correspondre avec ma femme, les lettres étaient évidemment censurées de toutes les manières, j’ai quand même compris à travers ce qu’elle disait qu’elle avait une peur atroce.

Elle était directrice de l’œuvre de la Guette de la baronne Germaine de Rothschild qui avait fait venir 125 enfants allemands dont les parents avaient déjà été déportés.

Elle les a installés à l’ordre de l’Institut Rothschild, puis dans son château. Et puis finalement, je décide de m’évader. Mon cousin me dit que je suis fou, que ça n’existait pas de traverser l’Allemagne etc., j’ai dit « peut-être, mais moi je m’évade, tu feras ce que tu voudras ». Il est finalement parti avec moi. Je suis allé à La Bourboule, au-dessus de Clermont, avec ma femme qui était donc le directeur de 125 enfants. La banque Rothschild avait déménagé aussi, s’était repliée, et… les Rothschild étaient partis en Amérique.

L’action

Je vais à la mairie, j’avais à faire et là je voyais une grande affiche « les Compagnons de France cherchent candidats », et on m’envoie à Megève chez les Compagnons. Il y avait l’école de formation de cadres. J’ai reçu un accueil extraordinaire. J’ai eu mon diplôme, bien sûr et j’étais, avec le diplôme que j’avais, nommé en Auvergne, chef Compagnon de France. Je suis donc revenu en Auvergne jusqu’à ce que mon ami, mes amis du réseau Bourgogne m’ont dit « montre un peu ta carte » et m’ont dit « …. ce que nous n’avons pas, c’est un agent de liaison, alors avec ça mon petit tu vas être notre agent de liaison ». Et c’est comme ça que j’ai commencé dans la Résistance.

Ce sont mes premiers pas dans la Résistance et j’ai fait ça pendant quelque temps jusqu’à ce qu’est venu le problème de l’extermination. Alors là, il y a eu des arrestations.

L’Université de Strasbourg était repliée à Besançon et ils ont commencé à faire une cellule de résistance. Il y a eu des arrestations à l’Université de Strasbourg, de professeurs et d’élèves, et je suis allé voir le représentant de la Baronne, lui dire « ce groupe d’enfants Juifs, tôt ou tard, ça va arriver… », c’était en zone libre « mais ça va arriver aux oreilles… », et alors ce directeur de la banque m’a envoyé à Montpellier en me disant « là-bas est repliée, en zone libre, une organisation qui s’appelle O.S.E, Œuvre de secours aux enfants, nous les soutenons financièrement depuis avant la guerre, vas là-bas et dis-leur les problèmes que nous avons ».

Je suis allé à Montpellier, j’ai trouvé le docteur Joseph Weill, médecin-chef de l’O.S.E, on m’a reçu les bras ouverts et on a décidé la dispersion des enfants et Joseph Weill m’a dit « j’ai d’énormes problèmes dans les Maisons d’enfants parce que les enfants sont stressés, les parents ne sont pas là, etc. viens, je t’engage régulièrement », et donc je suis devenu… le moniteur de sport des 14 Maisons d’enfants, près de 1500 enfants, c’était une chose formidable jusqu’au jour où Joseph Weill réunit tous les directeurs de Maisons et moi compris à Lyon et il nous dit, c’était en 1942 , ça, « voilà, je sais de source certaine que toutes les déportations, tous les voyages qui partent de Drancy… », les Allemands avaient fait courir le bruit que c’était un rassemblement familial, « tout ça c’est un terrifiant mensonge, on les tue ». Alors donc, il fallait dissoudre les Maisons d’enfants. Et à cette réunion-là, Joseph Weill nous présente, il y avait un seul étranger, il dit « voilà, ce monsieur est ingénieur, il s’appelle Garel et c’est lui qui va être le chef du réseau Garel, car nous créons une société confidentielle, secrète qui s’appelle le réseau Garel et qui n’aura rien à faire avec l’O.S.E. mais personne ne sera au contact avec elle et ont créé une nouvelle organisation dont se sera le chef ».

Et à la fin de la réunion, Garel et Joseph Weill me disent « voilà, nous avons un problème dans les Maisons d’enfants, des enfants, environ 200 enfants strictement religieux, ils ne mangent pas comme… ils ne veulent pas aller chez des paysans ou chez des gens, ils ne veulent pas aller à l’église, ils disent – tu comprends, ils veulent nous envoyer à l’église, quand Papa et maman reviennent, ils ne me voudront plus -, il n’y a qu’une solution, les amener en Suisse ». Ma femme était souffrante, parce que j’ai eu un deuxième gosse entre temps, l’O.S.E a envoyé une infirmière, on m’a rassuré, on m’a dit « toi vas à la frontière » et moi je suis allé à Annemasse. J’ai repris contact avec mon réseau, là on m’a donné le nom de Jean Deffaugt, on le connaissait déjà et il m’a aidé à organiser… toute la structure…

Annemasse c’est à la frontière, il faut donc traverser la France à Annecy, Aix-les-Bains, etc. et amener les enfants ici, par groupes, il faut préparer ça…, il faut recevoir les enfants, ils sont fatigués ou angoissés. Il y a ici, ce que nous appelons l’Hôtel du Maréchal, une espèce de centre d’accueil qui était dirigé par un Alsacien, pas Juif, mais un Alsacien, il s’appelait Balthazar, alors j’avais déjà, le maire l’avait prévenu que j’irais le voir, j’ai organisé tout avec Balthazar, des gosses arrivaient…, alors restaient d’autres problèmes, c’était l’arrivée dans la gare. Les Italiens étaient là jusqu’à fin 43.

Pendant toute cette période, j’ai passé des enfants relativement facilement.  Viennent des Allemands et des Allemands, ça devient tragique. Alors là… le maire m’a indiqué des hommes sûrs, des passeurs sûrs, c’était presque tous des contrebandiers, ils amenaient de Suisse ce qui était…, souvent avec le consentement d’un Allemand qui voulait avoir quelque chose pour sa femme, des bas ou je ne sais pas quoi.

J’ai pu passer beaucoup de groupes de cette manière, même des groupes des Éclaireurs, finalement dans le milieu résistant on l’a su, on m’a amené d’autres gosses etc., enfin j’arrive à un chiffre de 400 environ, et tout allait très bien jusqu’au jour où le maire m’appelle « tu dois te cacher, tu es repéré, on va veiller à ce qu’il tu n’arrives rien, vas chercher ta femme et tes enfants, passe en Suisse ». Je suis monté là-haut, je les ai pris, je les ai passés. Elle est restée jusqu’à la Libération. L’O.S.E l’a mis dans une pension, mon fils était allé à l’école suisse, etc., voilà.

Le dénouement

Il y avait des trains qui ramenaient les survivants des camps dans des trains médicaux jusqu’à Paris, ils s’arrêtaient à Annemasse, moi j’ai créé un camp d’accueil et après ça je suis monté à Paris et à Paris, j’ai été nommé par le ministère des prisonniers, à l’accueil à l’Hôtel Lutetia.