Andrée Thiersault et Marcel Derenne

Andrée Thiersault et Marcel Derenne

Andrée Thiersault et Marcel Derenne, deux vieux amis du réseau d’Action du Bureau des Opérations aériennes des Pays de Loire.

Vidéo

Durée : 18:00

L’engagement

Andrée

Mon grand-père était vraiment français, il a fait la guerre de 1914, alors on a été élevés dans le respect de la France. Et quand les Allemands sont arrivés en 1940, déjà il y a eu un geste de résistance de la part de ma mère. Elle tenait petit café de campagne, à Assé-le-Boisneou les Allemands avaient décidé de se parquer dans le café. Ma mère habitait avec grand-père à cette époque-là et qui avait une jambe fracturée, est descendue avec ses béquilles et elle a fait enlever les Allemands. Je vais vous dire qu’on a commencé, c’est déjà de la résistance de la part de maman et de mon grand-père. Et les Allemands sont partis.

Et ensuite comment je vais vous dire… on a commencé la résistance, on a commencé par les journaux, à distribuer des journaux clandestins. On allait en chercher à Pré-en-Paille, où Françoise Paysant aussi faisait pareil, et qu’on a commencé à distribuer. Il y a eu des fausses cartes d’identité aussi pour ceux qui ne voulaient par partir en Allemagne. Donc monsieur Demelle, l’instituteur qui était en même temps secrétaire de mairie faisait des fausses cartes et fallait cacher les jeunes gens qui ne voulaient plus partir.

Et ensuite, on a été contactés par monsieur Paysant de Sées dans l’Orne pour faire vraiment de la résistance. Et c’est là qu’il a demandé à ma mère de trouver des terrains de parachutage, et à mon père, comme ils connaissaient beaucoup la campagne, et c’est comme ça qu’on a commencé. Et moi, on ne m’a pas demandé mon avis, on m’a dit « tu vas faire… tu vas porter ce message à Mortagne », ou des armes même, j’ai porté chez madame Croiset, …à Alençon aussi

 Marcel

J’ai été engagé par le père, parce que pour le réseau, il cherchait un terrain, un terrain pour parachuter, et à la ferme où on était… s’y prêtait, y’avait de grandes pièces et puis y’avait tout un taillis qui était à côté, enfin le terrain s’y prêtait, puis mon frère, l’aîné, il avait été appelé pour aller travailler en Allemagne, comme à cette époque-là les jeunes… et lui, il avait sauté du train, il était parti pour l’Allemagne et il a sauté du train, il s’est évadé, et puis il s’en est revenu et c’est de là que ça nous a lancé dans la Résistance.

L’action

Andrée

J’allais à Alençon avec mon vélo, je prenais la Micheline, et j’allais beaucoup chez madame Croiset qui était une grande résistante aussi et qui faisait donc partie du BOA, ensuite ça a été … chez madame Brière, à Alençon, donc Monsieur et madame Brière, ils faisaient aussi partie du BOA avec monsieur André Gros qui a été un de nos chefs par la suite, quand monsieur Paysant n’a plus pu pouvoir venir, qu’il était, il était brûlé et de là, j’ai été aussi sollicitée pour emmener d’Alençon à Laval, dans des petites valises, avec une agent de liaison, d’ailleurs je ne l’ai jamais revue, pour porter des postes émetteurs, dans la Micheline, et à la barbe de Allemands.

De Laval, elle m’avait déposée dans un café, elle a été avec les deux valises livrer, je ne sais pas où, les postes émetteurs, elle est revenue et on a repris le train au Mans. Moi je suis descendue au Mans, elle je pense à Paris, j’ai repris le car, jusqu’à Fresnay, à Fresnay, bon y’avait plus rien, à pied jusqu’à Assé. J’en ai fait comme ça beaucoup, de porter. Le premier que j’ai fait c’est à la Chartre-sur-le-Loir, quand monsieur Paysant il a été… s’était brûlé, parce que sa famille, c’est ça que j’ai oublié de vous dire, sa famille a été arrêtée en 1943, au mois de juillet 43, elle était cachée à Chanteloup dans une ferme en pleine campagne, et ils ont été dénoncés aussi à la Gestapo, elle l’a su et à la suite de ça, maman me dit, « il faut absolument avertir Edouard », il s’appelait à ce moment-là, et je prenais pour la première fois le train, au Mans.

J’étais pas trop rassurée je dois vous dire. Il fallait que j’aille à la gendarmerie, mais je ne connaissais pas le gendarme, j’avais juste un mot de passe, et la chance, j’avais mon petit baratin et je donne le mot de passe, le gendarme qui était là, il ne savait plus où se mettre, il m’a regardé à deux fois, « c’est pas possible, viens par là en vitesse »

Quel âge vous aviez à ce moment-là ?

Je n’avais pas 16 ans… C’était le week-end, il a fallu pour repartir que je reprenne, attendre au lundi, alors il m’a emmenée coucher à l’Hôtel de la Gare, je m’en rappelle, il m’a fait passer pour sa nièce. Après, je ne le connaissais plus. Alors là, je n’étais pas trop rassurée quand même. Je ne peux vous dire combien de voyages j’ai fait comme ça, surtout Alençon et Mortagne.

 Marcel

Ben moi j’étais sur le terrain, on récupérait ce qui était parachuté hein pour camoufler ça et après ça repartait, moi je ne sais pas où…

Il y a eu beaucoup de ramassages de parachutage ?

Parachutages ? oh 8-10… parce qu’on faisait deux terrains, on faisait notre terrain qui était proche et on faisait un terrain sur une commune à côté qui était Ouragan, et alors on allait sur les deux, moi je n’ai pas été tout le temps sur Ouragan, moi j’ai été trois fois sur Ouragan, c’est tout, j’allais pas toutes les fois, parce qu’on allait à pied hein

Quel âge vous aviez à ce moment-là ?

Ben j’avais 17 ans, à peine.

Comment ça se passait un parachutage ?

Ben vous savez… y’en avait quatre avec des torches, trois blanches et une rouge, enfin la rouge, c’était le chef qui avait la rouge, qui faisait les signaux, et nous, parce qu’on changeait des fois on était gardien …on avait pas toujours le même boulot hein, et alors on suivait, avec les blanches on suivait l’appareil…c’est ce qu’on faisait,  alors il tournait et avec les signaux il savait que c’était ce terrain-là, parce qu’il en passait quand c’était ces nuits-là, ça défilait les avions… mais le gars il foutait un petit coup à l’appareil, il disait « les gars, c’est pas pour vous, nous on va plus loin », c’est comme ça que, et puis bon, il larguait sa cargaison, alors desfois y’en avait, ça dépendait, y’avait 18-20 containers, des fois plus, des fois moins, … c’était pas régulier quoi, desfois il y avait des parachutistes, y’a plusieurs fois des hommes qui ont été parachutés, oui, oui, y’a même une femme.

Andrée

J’avais ma tante donc que je vous disais qu’elle était décédée à Ravensbrück, ils l’ont passée à la chambre à gaz et au four crématoire, elle servait de… si vous voulez elle n’avait pas signé d’engagement dans la Résistance mais c’était notre… elle cachait des aviateurs tout ça, même notre chef André Gros, elle l’a caché quand il avait eu un accident et elle nous faisait à manger. Elle se trouvait dans une petite rue qu’ils pouvaient se sauver par derrière. Voyez, elle a fait de la Résistance comme ça sans prendre d’engagement. Je vous dis, toute la famille chez nous a été dans le bain. Mon grand-père, ma grande tante, maman, papa, mon frère et moi.

Arrestation, la déportation et le fuite

Andrée

Donc le 26 au soir, j’étais donc toute seule parce que, il y avait déjà eu une arrestation le lundi de René Brossard qui a donc été fusillé et maman… elle s’occupait pour les colis des prisonniers, alors elle allait une fois par mois au Mans, pour faire les colis des prisonniers et elle me dit avant de partir, grand-père savait pas, ni mon père, « je ne rentre pas ce soir, je vais descendre sur Mortagne pour les avertir que ça sent le brûlé », et donc maman n’était pas là et le soir du 26, j’étais en train de repasser, j’ai entendu juste des portières claquer, je sais pas pourquoi j’ai eu une appréhension j’ai dit « ça c’est pour nous » et ils sont pas rentrés par la porte du café, ils sont rentrés par une petite ruelle par la porte de la cuisine.

Ils étaient bien renseignés. Et puis bon, ils ont tapé à la porte, j’ai ouvert, c’est tout. Et ensuite, ils m’ont demandé, où était l’école, l’école, je ne pouvais pas dire que je ne connaissais pas l’école, je les ai emmenés … à l’école et ils m’ont laissée là et moi je suis descendue toute seul, j’ai dit « je me sauve » et je me disais « mon grand-père qui est tout seul », je crois que j’aurais pu me sauver là, tu sais par derrière, et j’ai retourné depuis la ruelle pour mon grand-père. Mon grand-père était couché, quand je suis arrivée, ils avaient réveillé mon grand-père et puis ils étaient en train de tout enlever. Et ensuite, ils nous ont emmenés à l’école justement où qu’était l’instituteur qui faisait de la Résistance, monsieur Demelle, dans sa cuisine.

Et c’est là qu’ils… il y avait un couloir au milieu, ils nous mettaient dans la cuisine et nous interrogeaient chacun notre tour dans la salle-à-manger et à coup de nerf de bœuf… et toute la nuit, j’ai vu ça arriver, toute la nuit c’est arrivé, je ne comprenais plus rien du tout, mais ma tante que j’ai trouvée là dans la cuisine et puis donc, après papa, ton père, tout ça, Mont-Saint-Jean, Sougé, je me demandais où ça allait arrêter quoi. Et tout la nuit, ça a défilé et le lendemain, ils nous emmenés donc à la prison du Mans, aux Archives A la prison des Archives, ça a été pareil, ça a été les interrogatoires… et moi complètement désemparée bien sûr, ils m’avaient mis dans une cellule avec 2 autres femmes, ils m’avaient pas mis avec ma tante, madame Demelle …et c’est là que je crois, comment je vais vous dire, il y a eu quelque chose, quand ils m’ont ramenée dans la grande cellule des Archives, j’ai senti qu’il y avait quelques chose, je ne sais pas s’ils se sont imaginés que j’avais parlé et ça je ne l’ai jamais accepté… C’était dur pour moi… Alors on est resté je ne sais plus combien de temps à la prison du Mans… et ensuite ça a été Romainville.

Romainville, on a donc fait le tri, ensuite on nous a laissés, les hommes sont partis sur Compiègne et nous les femmes, ensuite ils nous ont emmenées sur Sarrebruck, un camp disciplinaire et ensuite ils nous ont embarquées sur Ravensbrück. A Ravensbrück, on était au bloc 22, le bloc des NN, et on était en quarantaine…on est resté, je sais plus, et c’est là qu’ils ont fait le tri et que ma tante, ils l’ont gardée parce qu’elle était trop âgée pour aller dans un autre camp pour travailler.

De Ravensbrück à Leipzig, j’ai tellement été choqué de laisser ma tante, que je ne peux pas me souvenir comment j’ai été de… Ravensbrück à Leipzig. Et puis à Leipzig, donc je me suis retrouvée bon ben toute seule un peu et c’est là que j’ai eu la chance de rencontrer Lise London, la femme d’Artur London qui m’a pris sous son aile et qui s’est occupée de moi sans ça, je ne sais pas ce que je serais devenue. Et elle m’a ramenée jusqu’en France, jusqu’au Lutetia que j’ai retrouvée maman.

 Marcel

On était arrêtés sur la route, on revenait d’un transport d’armes, quand on a été arrêté, on était cinq, et c’est André qui m’a presque sauvé la mise parce que je dormais à moitié sur une bâche et d’un seul coup il dit « les Boches ! », alors ça m’a… alors j’ai sauté de la voiture… j’ai suivi un petit bout de route et j’ai pris un chemin sur la droite, j’ai eu de la chance parce que je croyais qu’ils m’avaient vu, il faisait un clair de lune… et puis bon j’ai attendu un moment parce que les voitures étaient pas loin, j’ai attendu que les voitures partent et puis je me suis tiré, j’ai parti pour la Mayenne, je savais pas trop où j’étais, j’étais perdu, j’étais complètement perdu, je me croyais sur Mont-Saint-Jean, la commune du Mont-Saint-Jean, j’ai été me camouflé dans la Mayenne en attendant la Libération.

Andrée

Et j’ai mon frère qui était camouflé à Mont-Saint-Jean et quand ils sont venus, il a pas mis ses lunettes et il a eu de la chance parce que dans le groupe qui a été, la Gestapo et les Français, il y avait un dedans qui a été au Collège avec lui, et il l’a pas reconnu, parce qu’il était habillé en paysan avec des sabots et tout ça et il avait pas ses lunettes et il a eu une chance du tonnerre aussi… Il y a eu un facteur chance

Marcel

Et ben oui, pour certains, pour certains.

Le dénouement

Quand je suis arrivée à Lutetia, Lise m’a remis à maman, parce qu’elle venait tous les jours, elle faisait partie de la France Combattante, parce que pendant la guerre, on a signé un engagement avec Londres, il fallait finir l’engagement alors maman a travaillé à la France Combattante et était amenée à voir tous les jours les arrivées et c’est là qu’elle m’a retrouvée…

Elle était chez une cousine et elle m’a emmenée avec elle, je crois, on n’a pas été compris quand on est rentré, maman, elle a fait ça par gentillesse, …on a été 8 jours à Paris,  elle a donc téléphoné à Léone pour qu’elle m’apporte des habits et elle m’a emmenée au Châtelet pour me faire plaisir mais moi c’était pas ça, ça a été quand j’ai repris le train à Montparnasse pour arriver à Assé-le-Boisne et quand j’ai revu dans les hauts des côtes… j’ai vu le clocher, là je me suis laissé un peu aller, j’ai dit « ça y est, je suis rentrée », voilà. Ça a été pour tous les déportés d’ailleurs quand on est rentrés parce qu’on ne nous a pas compris.

Marcel

Ben moi, je suis revenu à la maison, parce que moi j’étais devenu le chef de la famille hein, tout le monde était parti, alors c’était moi qui avais repris avec la mère… en attendant le retour de Georges. Je ne sais pas, c’était dur mais enfin, fallait bien travailler hein, c’était ….

C’était la ferme hein ?

Oui, …et oui.