Parouty

Auteur de la fiche : Témoignage de Madame Agnès-Marie Koop, petite fille de "Parouty"

PAROUTY

Cette histoire a commencé avec un nom : « Parouty ».

Le nom de Résistance de mon grand-père paternel. Je ne l’ai appris que récemment, par la bouche de ma mère. J’ai passé un avis de recherche, concernant des informations sur Parouty, dans le journal de l’Association des Anciens Combattants de la Résistance. Tout ce que je savais jusque- là, c’est qu’il avait été fusillé par les Allemands, suite à une action de la Résistance. Dans ma famille, on sous-entendait qu’il l’avait peut-être cherché, puisqu’il y avait un drapeau français dans la voiture, quand il a été arrêté. Il avait été fait prisonnier en 1940, et ma grand-mère restait seule avec trois enfants.

J’ai obtenu des informations, des gens qui l’avaient connu m’ont contactée, on m’a même envoyé des livres, ou des extraits d’ouvrages relatant ses actions. Jean Tabourdeau,  fils d’un compagnon de mon grand-père, m’a envoyé un ouvrage de son père, où l’action de Parouty est longuement évoquée.

Il existe aussi une brochure, intitulée « Parouty, ce héros », où le compagnon de cellule de mon grand-père relate sa dernière nuit, et les tortures dont il a été victime.

Je suis partie dans le Poitou, les Deux-Sèvres plus précisément. Dans l’idée de rencontrer ces gens qui l’avaient connu, et de voir les lieux où il avait vécu ses derniers mois. Dans l’idée, aussi, de photographier. Je ne savais pas dans quel but, mais je sentais que l’appareil photo m’aiderait à supporter cette plongée dans l’Histoire, mon histoire et l’histoire collective.

J’ai découvert que cet homme, mort à 30 ans, atrocement torturé par les Allemands sans avoir donné la moindre information, avait laissé une forte impression à ceux qui l’avaient connu. Il aurait, «  par son silence, sauvé l’organisation de la Résistance dans la région », selon le Commandant Noël.

On m’a donné une photo de lui. Son air juvénile, presque fragile, contraste avec ce que je sais de lui, de ses actes, de son courage. Je suis allée sur sa tombe, déposer des fleurs, et me recueillir. J’y ai trouvé un poème écrit par lui :

 

« Pressentiment

L’heure de ma mort sonne à mes oreilles

Je sens que depuis plusieurs mois

De mornes journées et d’angoissantes veilles,

La mort fugitive rôde autour de moi.

Je ne puis réagir contre le malheur

Mon cœur délesté d’espoir ne peut dormir

Il se sait livré à l’implacable fureur des jours à venir.

Verrai-je de la Libération poindre l’aurore ?

La douce vision des beaux jours revenir ?

Rien en moi ne fait éclore

L’illusion d’un retour de ces chers souvenirs.

Je descends lentement la fatale pente

Comme un vieux cheval fatigué dans son labeur,

Et de mes mains tremblantes

Je salue ceux qui me sont chers et je ferme mon cœur… »

 

Il est enterré au cimetière de Lussais (commune de Chef-Boutonne) avec deux compagnons de lutte, et il existe une plaque à leur mémoire.

J’ai retrouvé aussi, grâce à l’aide d’une famille qui avait bien connu mon grand-père, les Tabourdeau, la ferme où les maquisards se réfugiaient pendant la guerre, Touche Barre. C’est devenu une résidence secondaire. Elle présentait une importance stratégique, à proximité de plusieurs villages, et entourée de bois. De cette ferme, on pouvait observer le clocher du village de Vaussais, ce qui permettait de capter d’éventuels signaux.

J’ai également découvert des plaques commémoratives, l’une à Chef-Boutonne, sur la façade de l’Hôtel des Voyageurs, qui était le PC de Parouty pendant la guerre, et où j’ai dormi.

Une autre plaque, sur la place des martyres de la Résistance à Javarzay, évoquait son action et celle de ses deux compagnons, fusillés avec lui. Ils ont été pris par les Allemands, après l’attaque de la distillerie de Melle, qui devait leur permettre de se procurer de l’essence, et de neutraliser une garnison allemande. En fait, ils ont été arrêtés alors qu’ils retournaient à la distillerie, après l’attaque, pour négocier avec des officiers allemands la restitution des prisonniers en échange de la vie sauve pour les habitants de Melle. On était en août 1944, et les Allemands n’hésitaient pas à faire des représailles, d’autant que la situation se présentait mal pour eux.

Je suis allée voir cette distillerie. J’ai fait des photos. On m’a dit qu’il fallait une autorisation. J’ai rencontré le chargé de communication de l’usine, petit-fils de résistant, lui aussi. Il m’a appris qu’on avait travaillé sur l’histoire de la distillerie devenue usine, et qu’un doctorant en histoire avait publié un livre sur le sujet. Je suis allée voir en librairie, sans acheter l’ouvrage…La responsabilité de l’attaque est attribuée à d’autres, d’autres maquis, à des hommes qui sont devenus après la guerre des notables locaux, et qui avaient, à la fin de la guerre, des visées politiques pour la suite. Cas classique, paraît-il, de conflit entre armée secrète et FTP, et de récupération des hauts faits par ceux qui ont survécu.

J’ai recueilli par la suite le témoignage de René Roucher, l’homme qui accompagnait mon grand-père lorsque celui-ci a lancé la grenade sur la distillerie…

J’ai rencontré également, grâce à un article publié dans « la Nouvelle République » par René Auvin,  président de l’ANACR des Deux -Sèvres, concernant mes recherches, l’homme qui a déterré les corps des trois fusillés, Pierre Naudin. Quand je suis arrivée chez lui, dans la banlieue de Niort, il m’a dit : « j’ai toujours eu l’intuition que quelqu’un viendrait me demander de raconter ce que j’ai vécu ». Il faisait froid, une sorte de pluie mêlée de neige, nous étions le 1er février 2003. J’avais mon Pentax K1000 et mon Polaroid. Nous sommes arrivés par un chemin boueux près d’une ferme, dominant une vallée bordée d’arbres. Les Allemands avaient demandé à Pierre Naudin et à sa famille de rester dans leur ferme, entre 5 heures et 8 heures du matin. C’était le 19 août 1944 .D’une petite fenêtre à l’étage de la ferme, Pierre Naudin a assisté à l’exécution de mon grand-père et de ses deux compagnons, dans cette vallée, à Chizon.

J’ai pris des photos, essayant de protéger mes Polaroid de la pluie, avec l’aide de mon guide. Je pensais au « Dormeur du Val », de Rimbaud. Il paraît que quand on a déterré les corps, ils portaient les marques d’affreuses tortures. Des lambeaux de vêtements leur collaient à la peau, avec du sang coagulé…

On a transféré les corps en septembre 1944 au cimetière de Lussais.

Les survivants de cette période, que j’ai rencontrés, ont plus de 80 ans à l’heure où j’écris. Ils avaient moins de 20 ans à l’époque. L’un d’eux, Louis Nieul, m’a dit : « je ne sais pas pourquoi on y est allés ». Il a évoqué aussi la difficulté de trouver des armes, et les vers dans la viande, qu’il fallait sortir avant de la plonger dans la soupe.

Le soir, je retournais dans ma chambre d’hôtes, où mon hôtesse me demandait si je passais de bonnes vacances. Je ne pouvais, ou ne voulais parler de tout ce que je découvrais, pas envie de la plonger dans tout ça. Ca n’était pas son histoire, c’était la mienne. La nuit, je me réveillais souvent en pleurant, suite à des cauchemars, les tortures, la Gestapo…

J’ai découvert aussi que la nuit précédant son exécution, emprisonné à la caserne Du Guesclin à Niort, mon grand-père avait écrit une lettre avec son sang, à sa compagne, lui demandant d’élever leurs enfants « dans l’honneur et la dignité ».

Depuis, j’ai poursuivi mes recherches, contactant un historien dont j’avais suivi les cours en Sciences-Pô, Léon Strauss, puis Freddy Raphaël, doyen de la faculté des Sciences sociales de Strasbourg (« votre quête a une importance qui dépasse la mémoire familiale »), les archives de l’Armée au fort de Vincennes (nécessité d’une autorisation que j’ai obtenue) et l’Office des Anciens Combattants. J’aurais aimé retracer l’histoire de mon grand-père, depuis juin 1940, où il se trouvait en Alsace avec ma grand-mère, jusqu’à sa mort, le 19 août 1944, dans la région de Niort.

Je n’ai eu que peu d’informations : il était officier de carrière,, aurait contribué à l’évasion du général  Giraud, et il a travaillé pour le 2è Bureau. D’où, peut-être, sans doute, des difficultés à obtenir des informations.

Tout ce que je sais, c’est que le fait de prendre des photos m’a permis de ne pas craquer pendant mes recherches sur place. Que l’émotion était en quelque sorte tenue à distance par l’obligation que je me faisais de prendre des clichés. Ces photos ne sont sans doute pas de très bonne qualité sur le plan technique. Mais elles sont « vraies », et parlent de la mémoire, la mienne, mémoire familiale, mais aussi de la mémoire collective.

Au retour, on m’a demandé si j’avais passé de bonnes vacances. Je ne pouvais pas raconter tout ce que j’avais appris là-bas. J’avais le sentiment d’avoir porté la guerre en moi, d’avoir revécu une infime partie de ce que d’autres avaient subi. J’ai passé trois semaines en clinique, à ne voir personne et à lire des romans policiers…

Par la suite, lors d’un séjour à la Rochelle, j’ai visité la caserne Du Guesclin, accompagnée d’un policier qui avait connu mon grand-père. L’endroit était devenu un centre d’art. La visite m’a laissé une forte impression.

Et j’ai appris par Cécile Rol-Tanguy, lors d’un congrès de l’ANACR en 2006 à Limoges, que son mari, le colonel Rol-Tanguy, avait bien connu mon grand-père dans les années 1942-43.

« Les êtres qui savent le prix de la vie, et ceux-là seuls, ont droit par naissance à la noblesse d’une mort risquée ou acceptée dans la lucidité ». Cette phrase serait d’Albert Camus. Elle est citée par Raymond Tabourdeau, auteur d’un ouvrage sur la Résistance dans le Mellois. Il est à l’origine de mes recherches. Il est mort en juin 2002, à 91 ans, au moment où je passais un avis de recherche concernant mon grand-père. C’était l’un de ses compagnons. J’aurais aimé le rencontrer…

Ce récit et mes photographies constituent la trace de cet étrange voyage que j’ai fait, voyage dans l’espace, mais aussi dans le temps…

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