Saliège Jules

Auteur de la fiche : Robert Badinier - Délégué départementale

Monseigneur Saliège

      DU CARDINAL SALIEGE, COMPAGNON DE LA LIBERATION, CHARLES DE GAULLE A DIT :

                                        « Cet homme était une flamme. »

     Docteur en droit et docteur en théologie, Jean-Claude Meyer, prêtre du diocèse de Toulouse et membre de l’Association des Prêtres du Prado, exerce son ministère en milieu hospitalier. Il est connu pour ses publications en histoire religieuse. Il a relaté l’histoire du district de Castelsarrasin et de Grenade-Beaumont pendant la période révolutionnaire dans son livre « La vie religieuse en Haute-Garonne sous la Révolution (1789-1801) ». Cet ouvrage préfacé par Jacques Godechot et édité par l’Association des Publications de l’Université de Toulouse-Le Mirail, en 1982, a obtenu le Prix de thèse de l’Université des Sciences Sociales de Toulouse et a été couronné par l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse ( Prix Ozenne ), et par l’Académie de Législation  (médaille d’or). Il vient de publier aux éditions Parole et Silence « Deux destins toulousains : Cardinal Jules Géraud Saliège, Mgr Louis de Courrèges d’Ustou ». Ce livre préfacé par le Grand-Rabbin Alain Goldmann du Consistoire Israélite de Paris relate le parcours passionnant de deux authentiques résistants aux personnalités attachantes. Comme l’affirme Robert Badinier, délégué régional Midi-Pyrénées de Mémoire et Espoirs de la Résistance, qui a interviewé l’auteur, « l’ouvrage de Jean-Claude Meyer fait ressortir la force de l’esprit que ce duo d’exception faisait décupler dans l’action auprès des opprimés et des persécutés, dès lors qu’elle révèle l’amour infini que porte le créateur pour l’humanité ».

                                                            La croisée des chemins

Robert Badinier : En 14-18, les deux prélats avaient reçu la Croix de guerre. Ce conflit mondial avait renforcé leur sens social, par le contact avec les plus humbles. Quels enseignements en ont-ils tiré ?

Jean-Claude Meyer : Par leur formation différente, Jules Géraud Saliège, issu d’une famille rurale avait fréquenté les gens du village et acquis par le fait même le contact avec les personnes humbles, tandis que Louis de Courrèges étant dans une famille fort respectueuse des personnes avait le sens de la dignité. Par leurs contacts avec leurs camarades de guerre, ce sens de la relation est encore plus renforcé par la solitude et la fraternité vécues au sein de la troupe.

Robert Badinier : Comment deux personnalités aussi différentes ont-elles pu devenir complémentaires et s’estimer ?

Jean-Claude Meyer : Ils se sont estimés antérieurement, dès l’arrivée de Mgr Saliège à Toulouse. Il a eu l’intuition de découvrir en Louis de Courrèges un proche collaborateur, au point de demander sa nomination comme évêque auxiliaire. Il avait perçu ses qualités humaines et spirituelles.

Robert Badinier : Comment se manifesta le souci caritatif de Mgr de Courrèges dans le diocèse de Toulouse ?

Jean-Claude Meyer : Son souci caritatif s’était manifesté dès son insertion dans la vie du diocèse de Toulouse et dans les fonctions que lui attribue l’archevêque qui le charge de transformer la maison des œuvres en une ruche bourdonnante d’activités.

Robert Badinier : Comment s’est situé Mgr Saliège dans ses orientations pastorales face aux Ligues aux positions extrémistes, pour affirmer le principe d’indépendance des mouvements d’Action catholique par rapport aux partis politiques?

Jean-Claude Meyer : L’inspiration de Mgr Saliège se situe dans la pensée de Marc Sangnier, des Semaines Sociales et de Jacques Maritain. Pendant son temps de professorat avant la guerre de 14-18, Mgr Saliège était très ouvert aux questions scientifiques, philosophiques et aux problèmes sociaux. Il se montra exigeant pour lui-même et pour ses élèves, pour le travail intellectuel, dans un esprit d’ouverture au monde moderne.

Robert Badinier : Comment Mgr Saliège percevait-il l’action de Mgr de Courrèges, en particulier à travers le rôle joué par les militants de l’Action catholique ?

Jean-Claude Meyer : Dans les rapports que Mgr de Courrèges faisait à l’archevêque, Mgr Saliège fut sensible au sens de l’humain qui animait Louis de Courrèges, lequel était particulièrement préoccupé de la formation spirituelle et humaine, avec le souci de développer chez les jeunes une meilleure préparation à leur vie professionnelle, en collaboration avec les Jésuites de l’Ecole supérieure d’agriculture de Purpan.

Robert Badinier : Quelles étaient les craintes de Mgr Saliège face aux risques que faisait courir l’aggravation de la situation internationale pour préserver la dignité de la personne humaine ?

Jean-Claude Meyer : La situation internationale dans les années 30 se révélait dramatique pour les catholiques de différents pays, en Espagne, au Mexique, en Allemagne. Mgr Saliège par « La Semaine Catholique » informait ses diocésains de la tyrannie qui s’installait progressivement en Allemagne nazie.

Robert Badinier : Comment réagit Mgr Saliège pour faire face aux premières atteintes de sa maladie en 1932 ?

Jean-Claude Meyer : Il réagit avec énergie d’abord, puis avec  lucidité et courage, il affronta la maladie dont il sut très vite la gravité et l’évolution possible. Il était animé par la fidélité à son devoir.

                                          Le temps des années noires

Robert Badinier : Léo Hamon, accueilli à l’Institut catholique de Toulouse, reconnaissait que « la révélation pour lui, ce fut la résistance catholique manifestée dès les premiers jours et qui ne se démentit jamais ». Sur quels éléments pouvait-il fonder ces affirmations ?

Jean-Claude Meyer : Sur la rencontre avec les militants chrétiens et aussi sur la découverte de la résistance spirituelle menée à l’Institut catholique de Toulouse par le recteur Mgr Bruno de Solages. Philosophe renommé et membre actif des Semaines Sociales de France, il y accueillit des étudiants étrangers, des Juifs parmi lesquels des professeurs réfugiés, et prononça dans plusieurs villes de la région des discours que la censure fit interdire de publication.

Robert Badinier : Comment s’est manifestée la rupture de Mgr Saliège avec le régime de Vichy ?

Jean-Claude Meyer : Cette rupture s’est faite progressivement, notamment avec la publication du deuxième statut des Juifs par le gouvernement de Vichy.

Robert Badinier : Comment fonctionnait l’archevêché de Toulouse pour mettre en œuvre les missions que Mgr Saliège avait définies ?

Jean-Claude Meyer : Il y avait d’une part l’administration diocésaine avec les vicaires généraux et d’autre part une sorte de garde rapprochée avec l’évêque auxiliaire, Louis de Courrèges, Mgr de Solages, l’abbé Gèze et l’abbé Garail que l’archevêque chargeait de missions particulières dans la résistance spirituelle. Par rapport à eux, il se comportait comme « un chef de bande ».

Robert Badinier : De quels moyens disposait l’aumônerie catholique des camps d’internement de la zone sud et l’association catholique d’aide aux étrangers qui avait été créée ?

Jean-Claude Meyer : Elle disposait de l’aide financière du souverain pontife Pie XII transmise par le nonce à Vichy.

Robert Badinier : Quels ont été les facteurs à l’origine de la lettre de protestation de Mgr Saliège du 23 août 1942 ? Comment ont réagi les autorités d’occupation ?

Jean-Claude Meyer : Les archevêques de la zone libre avaient décidé de publier une lettre de protestation commune pour dénoncer la condition faite aux Juifs. Un événement brutal étant survenu au camp de Noé dans la région toulousaine, Mgr Saliège réagit immédiatement par la publication de la lettre du 23 août 1942.

Robert Badinier : Quel a été le retentissement de ce « document emblématique » dans la mentalité d’une majorité de nos compatriotes encore peu enclins à « l’indignation et à la charité »?

Jean-Claude Meyer : Ce texte ciselé, direct, frappa l’opinion et fut largement diffusé, recopié à la main des dizaines de milliers de fois, alors que la lettre de Mgr Théas, encore plus vigoureuse contre le gouvernement de Vichy, connut une audience limitée au diocèse de Montauban.

Robert Badinier : En quoi la résistance spirituelle a-t-elle subi, le 11 novembre 1942, le contrecoup de l’invasion de la zone libre par l’armée allemande ?

Jean-Claude Meyer : De même que les services du renseignement et du contre-espionnage, « les travaux ruraux », plongeaient dans la clandestinité complète en zone libre et subissaient des pertes très importantes, notamment à Toulouse (TR 117 anéanti), la plus grande prudence devenait nécessaire à observer pour la résistance spirituelle qui se poursuivit.

Robert Badinier : Mgr de Courrèges a été « l’acteur clé du réseau Saliège » au 1, place Saintes-Scarbes à Toulouse. Comment fonctionnait le circuit clandestin animé par Georges Garel de l’Œuvre de Secours aux Enfants sur lequel il s’appuyait dans les actions de solidarité ?

Jean-Claude Meyer : Le fonctionnement du réseau se développa notamment grâce aux œuvres catholiques des différents diocèses qui fonctionnaient de manière cloisonnée dans chacun d’entre eux. Ce fut une idée de Mgr Saliège. Mgr de Courrèges coordonnait, notamment avec les sœurs du pensionnat de Massip, et il avait donné comme consigne expresse de ne pas convertir ces enfants. Grâce à sœur Denise Bergon, ce pensionnat qui eut un rôle décisif dans le sauvetage d’enfants et d’adultes juifs fonctionna dans l’atmosphère d’une colonie de vacances.

Robert Badinier : Face aux risques encourus, comment Mgr Saliège et Mgr de Courrèges ont pu échapper à l’arrestation ?

Jean-Claude Meyer : Lors de la rafle des personnalités organisée le 9 juin 1944, des policiers allemands vinrent à l’archevêché : ils renoncèrent à amener Mgr Saliège, paralysé, qu’ils auraient dû porter et ne trouvèrent pas Mgr de Courrèges qui était alors dans le bureau du préfet.

Robert Badinier : Dans le discours qu’il a prononcé, le 3 septembre 1944, à la cathédrale de Toulouse, à l’occasion des fêtes de la libération de la ville, à quoi faisait référence le cardinal Saliège ?

Jean-Claude Meyer : Il faisait référence aux arrestations arbitraires, pour dénoncer les excès de l’épuration.

Robert Badinier : Quelles ont été les raisons du départ de Louis de Courrèges à Rome où il a été nommé recteur de Saint-Louis-des-Français ?

Jean-Claude Meyer : En raison de sa maladie invalidante, le caractère de Mgr Saliège devenait de plus en plus difficile et opprimant envers son auxiliaire.

Robert Badinier : Mgr Garrone fut nommé comme coadjuteur de Mgr Saliège. Qu’est-ce qui changea à l’archevêché ?

Jean-Claude Meyer : Rien ne changea. Or, comme coadjuteur, Mgr Garonne aurait dû être associé étroitement à la gouvernance menée par l’archevêque. L’aggravation de la maladie et la souffrance qu’il éprouvait face aux difficultés à marcher et à parler rendirent plus aiguës encore l’autoritarisme de son caractère.

                                                       Les chemins séparés

Robert Badinier : Pie XII a confirmé Mgr de Courrèges dans les intuitions pastorales qu’il partageait avec Mgr Saliège en le nommant au siège épiscopal de Montauban où il fut intronisé, le 11 novembre 1947. Comment envisageait-il les missions de l’évêque devant les transformations de la société ?

Jean-Claude Meyer : De même que le pape Pie XII et le cardinal Saliège, Mgr de Courrèges était conscient de l’affaiblissement de la pratique religieuse ainsi que de la perte d’audience de l’Eglise dans la société. Mgr de Courrèges, évêque de Montauban, voulut en accord avec le pape développer l’Action catholique et se comporta aussi comme un évêque social. Il s’efforça de gouverner son diocèse avec la collaboration étroite de son clergé et en s’appuyant sur les militants de l’Action catholique.

Robert Badinier : Quelles étaient les orientations que Mgr de Courrèges souhaitait mettre en œuvre avec son clergé pour promouvoir un diocèse plus missionnaire pratiquant « une orthodoxie de la pastorale » ?

Jean-Claude Meyer : Il développa tous les mouvements d’Action catholique ainsi que les missions paroissiales pour la liturgie. Il s’évertua à susciter la participation des fidèles au chant liturgique. Soucieux de la formation des chrétiens, il prévoyait l’enseignement doctrinal en organisant les prônes dominicaux. Il voulut que les parents soient invités à la préparation des cérémonies de confirmation afin de motiver leur engagement.

Robert Badinier : En quoi le contexte social et politique, comme l’atteste le bilan des persécutions des chrétiens dans les pays communistes d’Europe orientale publié par le Vatican en 1950, a rendu difficile la mission épiscopale pour affirmer l’engagement de l’Eglise pour la paix ?

Jean-Claude Meyer : Le militantisme du parti communiste constituait un athéisme militant. Or, par générosité, des militants chrétiens furent tentés de se joindre à ce mouvement. Pour cette raison, on comprend les réticences que le cardinal Saliège a pu mettre au ministère des prêtres-ouvriers.

Robert Badinier : L’un comme l’autre, Mgr Saliège et Mgr de Courrèges ont défendu la mission éducative des écoles catholiques. Comment ont-ils manifesté leur soutien dans leurs diocèses respectifs?

Jean-Claude Meyer : Malgré une situation financière précaire, ils ont suscité surtout pour Montauban un développement de l’aide diocésaine à l’égard des écoles catholiques et ils ont soutenu efficacement les congrès de protestation de l’enseignement libre.

Robert Badinier : Tout comme Mgr Saliège qui se fit avec lui « le propagandiste des Semaines Sociales de France », Mgr de Courrèges avait perçu la diversité des situations, considérant que « la paix entre les individus, les milieux et les peuples, est le fruit de la justice, pas de la charité ». Comment cette vision s’est-elle concrétisée dans le diocèse de Montauban ?

Jean-Claude Meyer : Mgr de Courrèges développa le Secours Catholique et il se fit par le Bulletin Catholique le propagandiste des Semaines Sociales. Il diffusait de même l’enseignement pontifical sur la justice et la paix.

Robert Badinier : Vous avez participé au 60ème anniversaire de la mort du cardinal Saliège célébré à la cathédrale de Toulouse, en présence de l’archevêque Mgr Le Gall. Comment avez-vous ressenti l’hommage rendu «  au défenseur de la cité de Toulouse » ?

Jean-Claude Meyer : Le temps s’écoule inexorablement et pour les nouvelles générations l’oubli s’installe au point que les jeunes formés à Toulouse  ignorent complètement « le défenseur de la cité ». Cela ressort des questions que j’ai pu poser à ce sujet à de nombreux membres du personnel de la clinique où j’exerce les fonctions d’aumônier.

Robert Badinier : La mission épiscopale de Mgr de Courrèges après le décès de Mgr Saliège allait prendre une nouvelle dimension avec le concile œcuménique convoqué par l’ancien nonce Roncalli, devenu aujourd’hui Saint Jean XXIII, auquel il a participé. En quoi a-t-elle été « une étape majeure de sa vie » comme le reconnaît Pierre Del Marco, ancien professeur à l’Institut catholique de Toulouse ?

Jean-Claude Meyer : Mgr de Courrèges sut insuffler dans son diocèse l’esprit de ce concile en se montrant « père » de ses chrétiens, de ses fidèles et de ses prêtres.

Robert Badinier : A quelles difficultés Mgr de Courrèges a-t-il été confronté dans la mise en application des directives du concile Vatican II ?

Jean-Claude Meyer : Il y a eu des réticences de la part de certains à comprendre l’esprit novateur du concile Vatican II. Des sensibilités différentes ont pu s’opposer, comme la peur du changement par exemple.

Robert Badinier : Comment Mgr de Courrèges a-t-il facilité l’adaptation du diocèse aux préconisations liturgiques pour un plus grand « témoignage communautaire » ?

Jean-Claude Meyer : Il eut le souci de susciter le dialogue dans la préparation des adaptations liturgiques, en s’y engageant personnellement.

Robert Badinier : Que devint Mgr de Courrèges après sa démission du siège épiscopal de Montauban, le 2 septembre 1970, après plus de vingt années passées à Montauban ?

Jean-Claude Meyer : Il continua à servir auprès des archevêques de Toulouse, son diocèse d’origine, jusqu’à son dernier jour.

Robert Badinier : Le cardinal Saliège et Mgr de Courrèges étaient très appréciés par les jeunes et très proches de leurs aspirations. Votre livre, cher Jean-Claude, est une contribution remarquable qui suscite l’engagement des générations montantes pour rendre témoignage par leur façon d’être au monde de la pensée et l’action religieuse face aux défis de l’avenir, c’est-à-dire du vivre ensemble. Quels actes ou quelles paroles vous ont particulièrement interpellé dans cette quête du divin ?

Jean-Claude Meyer : Ce sont les fondamentaux de la foi chrétienne : la prière de Mgr Saliège lors de son engagement au sous-diaconat, l’étrange formule de la devise épiscopale de Mgr Saliège, celle de Mgr de Courrèges. Ce qui m’a frappé aussi, c’est leur proclamation très christocentrique de la foi, le respect de la foi populaire tout en ayant en même temps le souci de la formation des fidèles. C’est leur compréhension des hommes et des femmes de leur temps, leur lucidité sur les grands thèmes sociaux, les questions scientifiques et les transformations du monde.

 

EXTRAIT DE L’HOMMAGE RENDU AU CARDINAL SALIEGE A L’OCCASION DES 60 ANS DE SA MORT SOUS LA PRESIDENCE DE MGR ROBERT LE GALL A LA CATHEDRALE SAINT-ETIENNE DE TOULOUSE

« … Comment ne pas établir une filiation spirituelle avec l’indignation de Mgr Saliège devant « les scènes d’épouvante » qui se produisent dans les camps méridionaux, l’expression choisie par Saint Jean-Paul II lors de sa visite à la synagogue de Rome, « les Juifs nos frères aînés dans la foi », et la visite du pape François aux migrants échoués sur l’île de Lampedusa, son appel, suivi d’exemple, à accueillir en frères les réfugiés, les étrangers, chrétiens ou non-chrétiens, de façon digne et   généreuse ? « Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères. Un chrétien ne doit pas l’oublier », nous rappelle Mgr Saliège.

Abbé Jean-François Galinier-Pallerola, Professeur de théologie à l’Institut catholique de Toulouse, archiviste diocésain