LOUSTANAU-LACAU Georges

Alliance

Auteur de la fiche : Sources : Mémorial du Cherche-Midi - Allocution prononcée par Madame Marie-Madeleine Fourcade le 6 mai 1984

Georges LOUSTANAU-LACAU

Chef fondateur du réseau Alliance, Georges Loustanau-Lacau, était un Béarnais vigoureux et trapu, d’une intelligence exceptionnelle et d’un savoir étendu, qu’une mère institutrice avait élevé dans l’amour de son pays, et le respect de ses traditions, ce qui l’avait poussé vers le métier des armes. Le 1er août 1914, la promotion de Saint-Cyr, à laquelle il appartenait, devient célèbre en prenant position sur le front, avec Casoar en tête et gants blancs. Quelle cible ! Bientôt six cents Cyrards jalonneront le front de leurs corps. « Idiots, les gants blancs ? » s’interroge Loustanau-Lacau dans son livre, La Terre humaine, « mais n’est-ce pas mieux que de fuir sans armes jusqu’à Bayonne (comme en 40) ? », conclut-il aussitôt. Il se bat jusqu’à l’Armistice du 11 novembre 1918, passant miraculeusement entre les balles à la Schfucht, au Mort-Homme, à Montmirail, à Berry au Bac et tant d’autres batailles ininterrompues. Et il est fait Chevalier de la Légion d’honneur, le jour de ses 23 ans, au cours de l’une d’elles, alors qu’il venait de sauver son régiment par une action d’éclat.

Son frère est tué à Noyon, lui réchappe de l’enfer de la Première Guerre mondiale. Mais toujours il se souviendra « des patrouilles perdues dans la neige avec leurs blessés, les bombardements massifs, les jours sans ravitaillement et sans eau, les pieds gelés par la nuit d’hiver, les colonnes épuisées sous le soleil d’août, l’onde d’angoisse qui couvrait la tranchée le matin des attaques, le regard de ceux qui partaient pour ne plus revenir, les prénoms de femmes et d’enfants sur les lèvres agonisantes ». « Si je m’étais douté, à cette heure, que leur victoire serait assassinée à petits coups de serpe, je me serais tué pour ne pas leur survivre! », m’a-t-il maintes fois confié. Mais continuer était sa devise. Il continua.

Ce sera la guerre du Rif, avec le Maréchal Lyautey, « l’École supérieure de guerre » dont il sortira Major de sa promotion, qui fut celle aussi du Général de Gaulle, avec qui il se liera dès lors d’amitié. Et ils se retrouveront plus tard en Grèce, tous deux étant professeurs à l’École de guerre d’Athènes. Ce sera aussi divers commandements dont celui d’un bataillon de Chasseurs alpins, et puis une longue station à « l’État-Major général de l’Armée », le saint des saints où tout se trame.  Et c’est alors que pour lui naît l’inquiétude. Tout ce qu’il voit d’apparent ou de secret, le porte à croire que « nous sommes sur la pente d’un désastre ! ». Jean Pierre-Bloch, Député de l’Aisne, Membre de la Commission de l’Armée, est le seul qui le comprend, et qui se documente, pendant qu’il brosse aux députés le tableau de la future défaite : les escadres de chars qui déferleront sur la France, les escadres d’avions qui les soutiendront, le résultat moral des propagandes subversives. Mais ce genre de discours ne plaît pas aux grands chefs et Loustanau-Lacau sera sanctionné le 2 mars 1938, mis en non-activité par retrait d’emploi, ce qui est une curieuse manière d’utiliser les compétences.

Vingt ans d’efforts techniques sont pour lui ruinés. Il ne se décourage pas pour autant. rendu malgré lui à la vie civile, il continue, écrit dans les journaux, publie tout ce qu’il sait sur l’ordre de bataille d’Hitler.  Et c’est à cette époque que je commence à travailler avec lui, mon rôle consistant à mettre en forme les renseignements d’outre-Rhin que nous tenions d’un agent extraordinaire, Bertold Jacob, qui suivait les nazis à la trace dans les différentes armes d’Air, Terre et Mer. Nos publications font grand bruit, mais les généraux retardataires ne suivent pas. Les cent divisions de von Seekt, en marche, leur paraissent de « l’égarement intellectuel ». Ils verront trop vite, hélas, de quel égarement il s’agit.

Quand même rappelé à l’activité le 10 septembre 1939, Loustanau-Lacau se voit pourvu d’un régiment,  le 123ème R.I., et la « drôle de guerre », à laquelle personne ne comprend goutte et que le Général de Gaulle a appelée, la jumelant à l’autre, « la Guerre de 30 ans », s’enlise dans un hiver glacial. Loustanau-Lacau l’occupe à protester sans relâche contre ces consciences nobles et indifférentes, en faveur de ces soldats qui s’en iront bientôt, il est certain, languir en troupeau dans les stalags. Par la voie hiérarchique, il donne son opinion  sur le trou belge que la ligne Maginot laisse à découvert et qui l’obsolète. Pour ne plus l’entendre, on le met aux arrêts de rigueur, et il n’en sortira que le jour où l’ennemi pénétra précisément à revers du gros des Armées, par la porte laissée ouverte à l’invasion.

Il reprend le commandement de son unité à Heiltz L’Évêque, encadré par les chars ennemis, et se bat à coups de 75. La 3ème Division d’Infanterie Nord-africaine qui l’environne, cisaillée par l’avant-garde de Rommel, doit abandonner les lignes de la Saulx. Loustanau-Lacau tient encore 48 heures dans une situation  étrange, où tout, assaillants et assaillis, est mélangé. Paris est tombé. Vitry-le-François brûle. La France est perdue. Un char lui lance à trente mètres sa rafale et l’abat. Du bas de l’omoplate gauche jusque sous l’oreille droite, un énorme sillon le couche sous le  ciel bleu de Champagne. Cette terrible blessure, mal soignée, ne se refermera qu’à son retour des camps de la mort.

Grâce à de faux certificats, nous parvenons à le faire évader le 15 août 1940, du Lazaret de Chalon-sur-Marne, et il nous rejoint à Oloron-Sainte-Marie, où il avait, avec sa précision  habituelle, fixé le rendez-vous de ses amis : « Vous verrez, on s’arrêtera aux Pyrénées ! ». On a vu ! Nous l’attendions, étant une dizaine de fidèles prêts à démarrer immédiatement dans la Résistance naissante. Et c’est à Vichy, devenue capitale des épaves, que commença la course folle entre l’occupant et nous. Où pouvions-nous être plus à l’aise pour fourbir nos armes, prendre les contacts nécessaires à notre action ? Personne ne savait encore que la Résistance existait, nous pouvions nous amalgamer à l’Hôtel des Sports, le bien nommé, loué par nous sous un prétexte humanitaire sans attirer l’attention.

À Noël 1940, nous étions déjà cent et nos patrouilles quadrillaient le pays du Nord au Sud, et de l’Est à l’Ouest. Ce qui allait devenir l’Alliance, était ancré dans la chair de la patrie.

Loustanau-Lacau me confia l’organisation du réseau, se réservant les autres opérations, en particulier l’insurrection de l’Afrique du Nord, pour donner à l’Armée française ressuscitée le tremplin de la victoire. Il part pour Alger, sous un nom d’emprunt, afin d’y rencontrer le Commandant Léon Fave de l’État-Major de l’Armée de l’Air et le Capitaine André Beaufre de l’État-Major de l’Armée, tous deux étant dans le réseau. C’est le 22 mai 1941, jour de l’Ascension. Avec d’autres officiers de l’Armée de l’Air française et belge, ils se réunissent pour mettre sur pied un plan, qui sera soumis à la Grande-Bretagne, laquelle est prête à le soutenir, selon les messages reçus par nos contacts radio.

Tout d’un coup, en pleine séance, la police surgit. Un camarade de promotion les a trahis. Ils sont tous arrêtés. Mais grâce au Commissaire Achiary, qui est de notre côté, Loustanau-Lacau peut, au cours de la nuit, profiter de sa fausse identité pour regagner la France. Les autres sont conduits à la prison de Clermont-Ferrand, pour y être jugés. Dans une clandestinité maintenant totale, Loustanau-Lacau se cachant à Pau sous un nom d’emprunt, nous continuons la tâche qui nous incombe, de couler les sous-marins quittant les côtes de France ; de décrire, jour après jour, à ceux qui continuent la guerre, le panorama de ce qu’ils ont à détruire.

Mais le 18 juillet 1941, à la suite d’une fatale imprudence, la police de Vichy s’empare de Loustanau-Lacau, dans une église où il avait rendez-vous avec sa famille, avant de quitter la France pour gagner Londres comme je l’en avais convaincu.

Il est conduit à Clermont-Ferrand, où il retrouve les insurgés d’Algérie. Un procès est instruit. Malgré une extarodinaire brochette d’officiers supérieurs de toutes armes venus les soutenir et témoigner en leur faveur, ils sont tous condamnés et privés de leurs biens. Loustanau-Lacau purge sa peine, qui ira jusqu’au 15 octobre 1942, et il profitera de la libération de l’Afrique du Nord, le 8 novembre, celle qu’il avait tant préparée, pour se fondre dans la nature.

Nous, du réseau, le cachons à Marseille, à Toulouse, à Albi. Je le supplie de rallier Londres. Mais la police de Vichy le cueille au moment où il pouvait partir, le conduit à Evaux-les-Bains (encore un « trois étoiles ») où il rencontre Léon Blum, Edouard Daladier, Maître Blumel, Léon Jouhaux, les généraux Laurencie, Doyen Barrès, tant d’autres encore. Deux tentatives d’évasion ratent, et puis le gouvernement de Pétain les livre à la Gestapo. Les hôtes précités sont conduits en Allemagne par avion. Lui est confiné dans une cellule en sous-sol d’une villa à Vichy. Noir opaque, vermine, pain et eau. Interrogatoire de 53 jours.

Puis, après une station à la prison du Moulin, c’est le Cherche-Midi. Avec les meilleurs interrogatoires de l’Abwerh, on sait ce que cela veut dire. Cela dure des heures, des jours. Les nazis hurlent, Loustanau-Lacau hurle. Et, m’a-t-il dit, ses amis de captivité étaient accrochés aux barreaux de leurs cellules pour écouter les terrifiants dialogues, et ils le réconfortaient de leurs murmures. C’était la prison en des temps héroïques : la famille. C’était ça le Cherche-Midi ! En plein Paris !

Et vous avez bien fait, mes chers amis, alors que toute trace en a disparu, de dire, pour la postérité que cet antre fut le réceptacle des voyageurs de la Résistance, allant de leur mission accomplie vers une destinée dont ils ne pouvaient eux-mêmes soupçonner ce qu’elle serait : tout ce qui se produisait au delà du Rhin, n’était, à l’époque, que terrifiantes suppositions.

Pour Loustanau-Lacau, ce fut le camp de Mauthausen, vers où finalement, on l’embarqua le 11 octobre 1943, pensant, sans doute, que c’était un personnage trop important pour le fusiller à une époque où les nazis songeaient déjà à se ménager de futurs alibis. Il tint jusqu’au bout, bien que condamné à une mort certaine par voie d’épuisement, sa « blessure de Champagne » toujours ouverte. Cependant la malnutrition, l’affaiblissement causé par tant de geôles juxtaposées n’eurent pas raison de ce baroudeur extraordinaire, qui fut toujours pour nous un magnifique exemple de volonté et de courage. Comme 5 % seulement des déportés dans ces camps d’extermination, il est revenu le 9 mai 1945r après le gigantesque débarquement libérateur que nous allons célébrer dans quelques jours pour la XXXX ème fois.

La Guerre de 14-18 dans son entier, la Guerre de 39-45, et la Résistance, dont 54 mois de prisons et de bagne, tel est le palmarès du Général Loustanau-Lacau. Il fut l’un des premiers à avoir non seulement prévu, en les dénonçant, les causes de la défaite la plus cinglante de notre Histoire, mais à avoir la possibilité de faire face à l’ennemi occupant notre sol, ce qui dura jusqu’à la victoire de nos armes, accomplissant toutes les missions qu’il lui avait fixées et qui était tenu en haute estime par les Alliés.

Après son retour, il fut élu Député de son terroir. Malgré l’avis défavorable de ses médecins, il voulut se rendre en Pologne pour voir de quoi il s’agissait derrière le Rideau de fer, mais son cœur qui avait battu double le lâchait. Rentré à Paris, un infarctus le terrassa au Parlement. La veille, il me disait à son bureau de la rue de Courty : « Ce qui m’intéresse maintenant, c’est la Résistance Internationale qui va suivre nos combats »… Il savait toujours prévoir et disait de lui-même : « Je suis le chien de garde de la France ».

Le Général Loustanau-Lacau nous laisse trois livres remarquables : La Terre humaine (essai philosophique), Chiens maudits (récit des horreurs de Mauthausen), et Mémoires d’un Français rebelle, celui qu’il voulut être en toutes circonstances, au service de sa patrie qu’il aimait passionnément, et pour que la porte du Cherche-Midi ne se rouvre jamais.

Je vous remercie, Messieurs, au nom du réseau Alliance, de m’avoir donné l’occasion d’évoquer publiquement la mémoire de ce grand soldat de la liberté.