Bayet François

Vélites-Thermopyles

Auteur de la fiche : Sa soeur Jeanne Boucourechliev-Bayet.

François BAYET


François BAYET est né le 24 mai 1926 à Paris Arrêté le 10 juin 1944 à la Ferré-Saint-Aubin (Loiret). Il est décédé en avril 1945 au camp de Vahingen (Allemagne)

Sa sœur, Jeanne Boucourechliev-Bayet nous raconte son parcours en Résistance :

  « Je ne crois pas que nous devions qualifier des résistants de méconnus ou oubliés parce qu’ils n’ont pas donné leur nom à un collège. Ils ont été trop nombreux et le grand nombre de très jeunes gens qui sont entré en Résistance forts de leurs convictions n’attendaient pas autre chose que le fruit de leur action, la liberté, et la gloire collective de la victoire. Leur souvenir est souvent resté vivant et entretenu certes dans les familles mais aussi dans les lycées, dans les villes et dans les villages aux monuments aux morts. à Paris, par d’innombrables plaques.

Dans la région dans laquelle ont été arrêtés ou fusillés François et ses camarades, le Loiret, leur mémoire fait l’objet, chaque année depuis 60 ans, d’une cérémonie imposante à la Ferté¬ Saint-Aubin. Pour contribuer à cette mémoire collective, interrogée par M.E.R., je ferai rapidement le portrait d’un garçon qui n’a jamais eu 19 ans, mon frère François Bayet, auquel un camarade avait dit « Toi, Bayet, tu bois la vie ». C’était un garçon intelligent, généreux, entreprenant, né en 1926. Il avait donc 14 ans au moment de la débâcle dont il avait eu la vision lamentable à Moulins sur Allier nous étions repliés.

Il avait vécu la grande rafle du Vél’d’Hiv où, en tant que scout, il avait été envoyé, pour donner de l’eau à des gens qui n’avaient même pas cela. Il avait vu aussi, comme nous tous quand nous étions revenus à Paris, les drapeaux allemands flottant sur nos monuments, les troupes allemandes défilant en chantant sur les avenues, les zones interdites par des rouleaux de barbelés sur les trottoirs, les avis en allemand. C’était, Je dois dire, un souvenir, une expérience, qu’un enfant n’oublie pas.

François avait à peine 16 ans quand il décida de partir. Il laissa une lettre à nos parents et, ayant vendu sa collection de timbres, il prit la route, trouva le moyen de traverser la Ligne de Démarcation qui séparait à ce moment là le nord du sud de la France. Il passa par un village où la famille avait des racines, pour se faire établir par l’adjoint au maire, ami de la famille, une carte d’identité qui lui donnait 18 ans alors qu’il n’en avait que 16. Puis il fila vers le sud, pour Port Vendres, le port de l’Afrique du Nord, afin de rejoindre l’armée d’Afrique. Nos parents eurent de très grandes hésitations : fallait-il essayer de l’arrêter ou non ? Finalement ils l’ont trouvé bien jeune pour l’abandonner aux hasards de la guerre et ont déclenché une recherche à la demande des familles.

Classiquement François fut arrêté par la gendarmerie au moment même où il allait s’embarquer, admonesté et renvoyé à Paris. Sa destinée eut été différente, en tout cas moins tragique, s’il avait réussi cette première tentative, cette première action résistante. A son retour, François passa un pacte avec son père qui, comme tous les pères prudents, lui disait « après le baccalauréat ». Mais un an plus tard il lui déclara : « Je suis dans la Résistance, ma décision n’est pas susceptible de modification, je voulais que vous le sachiez, vous, mes parents ». Il eut donc ce que n’eurent pas certains de ses camarades : la sérénité d’être en accord avec ses parents. Apprenant qu’une amie de la famille, juive, à laquelle il avait procuré une fausse carte d »identité, était arrivée à bon port en Zone Sud, il dit à notre mère, « Avoue que cela vaut une compo. de math ? ». Il ne fut pas contredit.

François rallia le corps franc Liberté, patronné au départ par le réseau Vélites-Thermopyles, qui recrutait principalement dans les facultés et, dans les lycées de la rive gauche, les élèves des classes préparatoires et terminales. Quel était le rôle des corps francs parmi les activités nombreuses et variées menées dans la Résistance ? Les corps francs préparaient leurs membres à une action militaire, C’était extrêmement important de pouvoir disposer de troupes suffisamment formées, pour appuyer en temps utile soit les Français Libres et les Alliés, soit de grands Maquis. François, bien qu’il fut l’un des plus jeunes (18 ans), était adjudant chef, et faisait l’entraînement. au maniement d »armes dans une classe désaffectée du lycée Louis le Grand, après les heures de cours. Personne ne se rappelle comment, les portes étant fermées, les participants sortaient du lycée…

Ils faisaient aussi de l’entraînement en forêt de Chevreuse, également de nuit, et. se préparaient à agir du jour au lendemain. Le 5 juin, ils reçurent l’ordre de rallier la Ferté- Saint-Aubin, au sud d’Orléans, Par petits groupes, ils firent ce trajet très laborieux, car à la suite de bombardements, les trains ne partaient plus de la Gare d’Austerlitz mais de Juvisy. Depuis la guerre, les trains s’arrêtaient à Orléans car le pont sur la Loire avait été détruit. Arrivés à Orléans, François et ses camarades firent donc à pied les 40 km qui les séparaient de la Ferté Saint-Aubin. Ils y attendirent les ordres et les parachutages. C’était un lieu de ralliement d’où les jeunes résistants qui arrivaient devaient être répartis dans différents maquis assez proches ou dans des unités plus proches mais dispersées de la Ferté- Saint- Aubin.

Avant tout parachutage il n’y avait aucune arme. Le 10 au matin, ce fût le drame. Les groupes dispersés autour de la Ferté Saint- Aubin étaient en liaison les uns avec les autres, mais pas de façon permanente. Le groupe auquel appartenait mon frère, était un groupe de 16 résistants dirigé par un sergent chef qui était alors absent. Ils entendirent. au petit matin des coups de feux très nourris et comprirent que les Allemands étaient là. François, étant adjudant-chef, assuma ses responsabilités avec sang froid. Alors que leurs camarades avaient été surpris dans leur sommeil à 5 h du matin, François ordonna le mouvement immédiat sur les bases de repli qui avaient été, bien entendu, identifiées et diffusées. Et ils marchèrent toute la journée, s’éloignant sans prendre de route ni même de sentier dans la forêt, marchant en silence sous bois et le long des champs. Ils s’éloignent assez sensiblement de la Ferté St -Aubin, du cœur du danger. Ils furent rattrapés à un moment donné par le sergent-chef qui était donc l’autorité supérieure et qui, dans l’espoir d’un parachutage bien hypothétique, voulait qu’ils reviennent près de la Ferté Saint-Aubin. Le danger de cette solution apparut à tous. Il y eut une vive discussion qui s’arrêta parce que les garçons estimèrent qu’ils ne pouvaient pas commencer leur vie militaire par une désobéissance.

Ils suivirent donc leur sergent-chef qui les ramena vers la Ferté Saint-Aubin, droit dans les bras des Allemands. Ils furent tous arrêtés, sauf le sergent chef qui était à l’arrière du groupe et put s’enfuir dans les sous-bois. Dans les différentes unités qui avaient été attaquées le matin il y avait eu 44 tués et deux rescapés. Après un simulacre d’exécution, le groupe de 16 dans lequel se trouvait François fut envoyé à la prison d’Orléans, où François eut un seul regret; celui de « ne s’être pas battu ». C’était cela gui l’écœurait absolument, et il aurait mieux admis d’être emprisonné s’ils avaient pu se battre auparavant. De là, bien entendu, le trajet vous le connaissez, le trajet infernal qui de la prison d’Orléans mène à Compiègne, et de Compiègne à la déportation.

Tous ces garçons furent déportés par le train du 2 juillet 1944 que l’on a appelé le train de la mort. A leur arrivée à Dachau, il y avait 536 morts dans le convoi soit le quart des déportés c’est dire « l’efficacité » des méthodes employées par les Nazis. Le groupe fut scindé d’abord en 2. Les camarades se retrouvaient sur leur lieu de travail qui était l’usine souterraine de Dachau et ils firent bloc. François était reconnu comme « l’âme » du groupe. Ils étaient bien considérés parmi les déportés. On disait d’eux « Les Parisiens se tiennent bien ». Ils se tenaient bien, ne tombaient pas dans l’abjection, ni ne se laissaient abattre, ils trouvaient un moment pour plaisanter, un moment pour discuter de l’avenir du pays, entre eux, comme le font tous les jeunes après l’appel du soir. Et François n’abandonna pas le combat. Avec un déporté français plus âgé que lui, il sabota une machine (une demi-heure de repos pour les camarades) puis la production. C’était s’exposer à une mort immédiate et terrible.

Après la Libération ce déporté demanda et obtint pour François l’attribution de la Croix de Guerre, outre la Médaille de la Résistance qui avait été décernée aux membres du Corps Franc à titre posthume. Bien entendu, tout le système était conçu pour faire mourir les déportés de travail forcé et de privations et ces jeunes furent relativement moins résistants que les adultes. Il n’en revint que 3. 3 sur 16 ; les autres périrent soit à Neckargerach, soit à Dachau soit dans l’évacuation des camps, soit à Vahingen qui était un mouroir dans lequel on envoyait les déportés qui ne pouvaient plus travailler. Ils avaient une ration réduite de nourriture ce qui, vous pouvez l’imaginer, était très proche de rien du tout et on ne leur faisait même pas la charité de les fusiller, on attendait qu’ils meurent de faim C’est là que François est mort, très près de la Libération.

On entendait déjà les feux d’artillerie des combats et un jour il dit à ses camarades «Vous allez être libérés »; l’un d’eux lui dit « Toi aussi, Bayet » et il répondit « non, pas moi ». Effectivement il fut, un jour suivant, rossé par un kapo, et il mourut le lendemain. II n’avait pas 19 ans »