FEUERWERKER David "Portal"

Combat

Auteur de la fiche : Hillel FEUERWERKER (Architecte) : hillelfeu@aol.com

David FEUERWERKER


Né le 2 octobre 1912 à Genève (Suisse).

Décédé le 20 juin 1980 à Montréal (Canada).

Son père, Jacob, fait office de shohet (sacrificateur) pour la communauté israélite de Genève. La législation helvétique interdisant l’abattage rituel, il se borne en réalité à découper sur place les carcasses importées de Lyon. Ayant immigré en Suisse au début du siècle depuis la ville de Sighet en Hongrie, il n’obtint jamais la citoyenneté suisse et c’est grâce au statut d’apatride conféré par la Société des Nations qu’il put résider dans ce pays. Rappelons que la Suisse est un des derniers États de l’Europe occidentale à avoir émancipé les Juifs et si l’égalité des droits est enfin acquise en 1874, l’obtention de la citoyenneté suisse a toujours été très difficile. La mère, née Régine Neufeld, est issue d’une famille installée en Suisse depuis le XVIe siècle, originaire de Lakenbach en Autriche. Le couple a dix enfants : sept filles (Betty, Rachel, Éva, Miriam, Deborah, Hélène, Esther) et trois garçons : Moïse (décédé dans sa jeunesse), Salomon et David, le plus jeune.

Jacob étant décidément empêché d’exercer ses fonctions de shohet en Suisse, la famille s’exile en France, pour ne revenir en République helvétique que dans les années trente. Les Feuerwerker, au début des années vingt, ouvrent une pension de famille à Évian. En 1924-1925, le jeune David est envoyé par ses parents au Talmud Tora de la rue Vauquelin, à Paris, puis au Séminaire rabbinique. Il en sort rabbin en 1937, formé, entre autres, à partir de 1932, par le grand rabbin Maurice Liber devenu, à cette date, directeur du Séminaire et qui lui transmet sa passion de l’histoire. Il est aussi diplômé en langues sémitiques anciennes de l’École des langues orientales de Paris. À la fin de ses études, il dirige de nombreux cultes dans la région où habitent ses parents, vers lesquels il revient dès qu’il le peut ; ainsi on le trouve à Bar-le-Duc en 1935 et à Genève pour des offices destinés aux Éclaireurs israélites de France (EIF) en 1936. Ayant demandé et obtenu la nationalité française cette même année, il part en 1937 en Alsace faire son service militaire dans une division hippomobile, puis, revenu parmi les siens, il s’occupe de l’alimentation rituelle de la communauté d’Évian.

Selon ses propres dires en 1942, il aurait accepté, avant la guerre, le poste de rabbin-remplaçant à Mulhouse, avant de prendre en charge la synagogue de la rue Notre-Dame-de-Nazareth à Paris, puis celle de la Victoire. C’est dans ce temple qu’il épouse le 28 novembre 1939 une licenciée en droit : Antoinette Gluck, née le 24 novembre 1912 à Borgerhout (Belgique). De leur union naissent six enfants : Atara (née en 1943), Natania (1946), Hillel (1949), Élie (1948), Emmanuel (1951) et Benjamine (1952).

Il s’illustre particulièrement pendant la seconde guerre mondiale, ce qui lui vaut plus tard de nombreuses décorations : Croix de guerre 1939-1945 avec palmes et citation à l’ordre du régiment (décret du 1er août 1953), Légion d’honneur à titre militaire (au grade de chevalier, décret du 31 juillet 1953), Croix du Combattant volontaire de la Résistance (1958, en même temps que sa femme et le même jour que Germaine Ribière, selon son fils Hillel). Mobilisé au début du conflit, il fait la campagne de France en 1940 comme sous-officier d’artillerie, sa bravoure lui valant une lettre de félicitations du général Henry Martin, commandant militaire de la région de Marrakech et de la Légion d’Afrique du Nord. Démobilisé à Vichy même, en 1940, il est affecté par le Consistoire au rabbinat des réfugiés de Brive-la-Gaillarde et de la Corrèze avec résidence à Brive-la-Gaillarde (il habite au 30 avenue Pasteur). Il fonde l’Association cultuelle israélite de Brive-la-Gaillarde et de la Corrèze, reconnue par la sous-préfecture de Brive-la-Gaillarde le 25 janvier 1941, et assure le culte israélite dans trois départements : la Corrèze, la Creuse et la Haute-Vienne. De son côté, sa femme Antoinette assume le rôle d’institutrice clandestine à Brive-la-Gaillarde pour plus de 80 élèves réunis par son époux.

Il aide financièrement le centre de Beaulieu en Corrèze, où les EIF abritent des enfants juifs de 4 à 18 ans. Beaulieu était alors dirigé par Jacob Gordin (1896-1947), pédagogue et éducateur qui fut aussi bibliothécaire de l’Alliance israélite universelle de 1936 à 1940, et par Léo Cohn (1913-1944), chef scout charismatique, mort en déportation. Il parvient en outre à faire échapper des prisonniers du camp de Gurs : « c’est à lui que plusieurs centaines de résistants ont dû les faux papiers qui leur ont permis d’échapper aux recherches de la Gestapo » ainsi que le précise le texte de sa nomination au grade de chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur.

D’août 1942 à juin 1943, il est appelé à seconder à Lyon le rabbin Bernard Schönberg qui remplace depuis 1936 le grand rabbin Sèches, malade et âgé de 78 ans. Le 21 juin 1943, il est à nouveau affecté au ressort des départements de la Corrèze et du Lot avec résidence à Brive-la-Gaillarde. Ces charges l’obligent à ralentir son activité officielle de rabbin mais pas son activité dans la Résistance pour toute la région sud, où il est connu au sein du mouvement Combat sous le nom de code de « Portal ». Retenons à ce sujet le témoignage d’Edmond Michelet, résistant au sein du même réseau : « Henry Frenay avait bien mis en garde les Juifs contre le danger particulièrement redoutable pour eux de participer activement à notre organisation» et il cite en particulier pour souligner leur courage : « Les deux Cerf (Ferrière et Joseph), toute la famille Bernard, le rabbin David Feuerwerker, ses jeunes agents de liaison, Rose Gluck et Taubert et bien d’autres… ».

Sauvé de l’arrestation à l’automne 1943 grâce au réseau du Témoignage chrétien, il passe en Suisse où Antoinette, cachée dans un couvent, tente en vain de le rejoindre. Refoulée à la frontière, elle se replie sur Lyon. David retourne en France clandestinement et participe aux combats de la Libération à Lyon. Devenu rabbin de la synagogue lyonnaise du quai Tilsitt, il fonde L’Unité avec le chrétien Aimé Pallière en mai 1945. Une amitié indéfectible lie les deux hommes. Ainsi le rabbin Feuerwerker secourt Pallière, malade et sans argent, en lui organisant un long séjour en Suisse durant l’hiver 1945 et le printemps 1946, tandis que, reconnaissant, Pallière lui lègue à sa mort ses Judaïca et ses Hebraïca.

Nommé par le Consistoire central rabbin de Neuilly où il est installé le 1er décembre 1946 (il y fonde un cercle d’études), il est, de 1948 à 1958, rabbin de la synagogue de la rue des Tournelles qu’il quitte contre son gré pour poursuivre sa carrière rabbinique à la synagogue de la rue Chasseloup-Laubat en remplacement de Meyer Jaïs, élu au grand rabbinat de Paris. Il y institue des offices quotidiens matin et soir. Il assure par ailleurs la direction de l’enseignement religieux au consistoire de Paris à partir de 1950. Ses dépenses éducatives (personnel, locations, matériel) jugées excessives et non autorisées par la commission religieuse lui valent des sanctions en 1953. Il offre sa démission, qui est acceptée. L’affaire pèsera lourd dans son échec lorsqu’il postulera au poste de grand rabbin de France

Outre ces fonctions, il est aussi aumônier des lycées (Charlemagne, Henri IV et Victor Hugo), des hôpitaux (Hôtel-Dieu, Pitié-Salpétrière) et de la prison des femmes de La Petite Roquette. Sans oublier sa charge d’aumônier général : il fut en effet le fondateur et le premier directeur de l’aumônerie israélite de la Marine nationale, qui l’envoie, à plusieurs reprises, en mission pour une quinzaine de jours en Afrique du Nord.

Intellectuel de renom, il fonde en 1950 et dirige le cercle d’études du Marais pendant quinze ans, au 14 place des Vosges, où il réside. Le rayonnement du cercle s’étend à l’étranger et lui vaut la Grande Médaille de vermeil de la Ville de Paris. Déjà chevalier du Mérite social (1950) et officier d’Académie (1954), il reçoit en 1954 le Prix Zadoc Kahn. En 1955, il se présente au poste de grand rabbin de France. Fort de ses titres militaires et conscient des services rendus à la communauté juive de France, il veut croire à ses chances. Mais, face à Jacob Kaplan, qui assure depuis la mort d’Isaïe Schwartz en 1953 l’intérim du poste avec Henri Schilli, sa candidature n’est pas retenue et il termine sa carrière en France comme grand rabbin adjoint au grand rabbin de Paris.

Tout en se dépensant au sein du rabbinat pour l’accueil de ses frères du Maghreb dans les années 1950 et 1960, il décide de se consacrer à l’histoire. Pendant cette période en effet, il soutient un doctorat de 3e cycle à la faculté des Lettres de Paris et, devenu docteur ès lettres en 1961, s’affirme comme l’historien de l’Émancipation des Juifs de France. C’est à ce titre qu’il enseigne à l’École pratique des hautes études (6e section), récoltant ainsi le fruit de plus de quinze ans de recherches initiées en 1940, au cours de la débâcle, par la découverte dans des décombres d’un des « pamphlets des abbés Lémann », Augustin (1836-1909) et Joseph (1836-1915), deux frères juifs convertis et convertisseurs effrénés. Tel est du moins le récit fait par David Feuerwerker à sa famille. Il pourrait s’agir d’un des ouvrages de Joseph Lémann qui se rapprochent le plus de l’objet d’étude de David Feuerwerker : L’Entrée des israélites dans la société française et les États chrétiens d’après des documents nouveaux, publié chez Lecoffre en 1886, ou bien, du même auteur, La Prépondérance juive. Ses origines (1789-1791), qui paraît chez le même éditeur en 1889, ou encore sa suite : Napoléon premier et les israélites (1808-1815), publiée en 1894. Une série de crises cardiaques oblige le rabbin à restreindre ses nombreuses activités extérieures et il transforme sa chambre en bureau où il travaille au milieu de ses archives. Il écrit en 1965 pour Les Annales un article de référence : « Les Juifs en France. Anatomie de 307 cahiers de doléances de 1789 ».

En 1966, il quitte la France avec toute sa famille, car un poste de professeur lui est offert à l’université de Montréal où il enseigne d’abord la sociologie, puis l’histoire jusqu’à l’âge de la retraite. Toujours très actif malgré ses soucis de santé, il fonde et dirige la section des études juives de l’université de Montréal. Tenant de la stricte orthodoxie, il continue d’officier en tant que rabbin non consistorial et non rattaché à une synagogue. Il réunit en effet chez lui une cinquantaine de personnes de la communauté juive francophone du Québec qu’il dirige au sein du Vaad ha-ir, le conseil représentatif des Juifs de la ville de Montréal. Dans ce cadre, il siège également au Bet Din (tribunal rabbinique). Il a encore la joie de voir publier en 1976 à Paris son Émancipation des Juifs en France de l’Ancien Régime à la fin du Second Empire et décède, rue Woodbury, à Montréal.


Bibliographie de David FEUERWERKER

-« Daniel Rops et ‘Le peuple de Dieu' », Évidences, 1951

-« Les Juifs en France. Anatomie de 307 cahiers de doléances de 1789 », Annales, Sociétés, Économies, Civilisations, 1965, 20e année, n°1, pp. 45-61

-L’Émancipation des Juifs en France de l’Ancien Régime à la fin du Second Empire, Paris, Albin Michel, coll. « Évolution de l’humanité », 1976, 775 p.

-Articles dans Le Journal des communautés, L’Unité.


Sources

-Arlette Lévy, « Les aumôniers juifs durant la seconde guerre mondiale », Revue d’histoire de la Shoah, n°169, mai-août 2000

-AIU, Archives du Consistoire central, Fonds Moch, bobine 2, boîte 4-8 :

  1. « Proposition de nomination au titre de Grand Rabbin de David Feuerwerker par le Consistoire de Corrèze, 8 septembre 1942 »
  2. lettre de félicitations du général Henry Martin pour sa bravoure au combat
  3. « Discours de David Feuerwerker, le 7 août 1942, à la synagogue de Lyon »

-Archives du Consistoire central, registre AA 42 : délibération du 3 décembre 1952 : démission de D. Feuerwerker

-Archives du Consistoire non classées : Projet de tableau des ressorts rabbiniques, 21 juin 1943.

-Original de la nomination au grade de chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur par décret du 31 juillet 1953.

-Edmond Michelet, Rue de la Liberté (Dachau 1943-1945), Paris, Seuil, p. 50.

-Calendrier Grünewald 1942-1944, reproduit dans L’Arche n°498-499, septembre 1999, p. 14.

-Roger Berg, Histoire du rabbinat français, Paris, Cerf, 1992, p. 203.

Synagogue Chasseloup-Laubat, Paris, 1993, p. 37.

-La Synagogue de Neuilly. 150 ans d’une communauté, collectif sous la direction de Sylvie Zenouda, Neuilly, 2000, p. 239.

-Bulletin de nos communautés, t. 2, 1946, n°10, p. 9, n°22, p. 11 et n°25, p. 6 ; t. 6, 1950, n°11, p. 6 et n°13, p. 8 ; t. 9, 1953, n°18, pp. 4 et 9 ; t. 10, 1954, n°6, p. 7 ; t. 14, 1958, n°2, p. 79

-Univers israélite, t. 91 (1935), pp. 76, 737, 749 ; t. 92 (1937), p. 510 ; t. 93 (1937), pp. 44 et 87 ; t. 95(1939), p. 50.

-L’Unité, consulté du n°1 paru le 29 décembre 1944 au n°28 du 20 septembre 1946.

-Journal des communautés, 1, 1950, n°1, p. 4, n°14, p. 7 ; 2, 1951, n°22, p. 7 ; 4, 1953, n°83, p. 9, n°87, p. 16 ; 5, 1954, n°95, p. 15, n°97, p. 10, n°98, p. 3 ; 6, 1955, n°125, p. 6, n°127, p. 11, n°130, p. 9, n°132, p. 2 ; 14, 1958, n°2, p. 79.

-Archives familiales Feuerwerker et entretien avec Hillel Feuerwerker, le 14 octobre 2000.

-Catherine Poujol « David Feuerwerker, rabbin, résistant, enseignant, historien« , Archives Juives 2/2002 (Vol. 35), p. 136-140.