TROLLER Cécile

Auteur de la fiche : Jacqueline Fleury

CÉCILE TROLLER

Pour toutes certes, mais peut-être plus particulièrement pour les Parisiennes dont elle fut la déléguée pendant de nombreuses années, cette disparition a été ressentie avec un profond chagrin. Nous apprécions tant les qualités de coeur, la bonté, la vivacité d’esprit pleine d’humour de notre amie.

Pour moi Cécile était une soeur aînée, soeur « révélée » à Ravensbrück et qui durant notre captivité et tout au long de sa vie me montra beaucoup d’affection.

Ensemble nous avions découvert l’univers concentrationnaire en franchissant la porte du camp, après un transport hallucinant de sept jours. Épuisées, sales, les vêtements fripés, meurtries de toutes les manières, les six cents Françaises de notre convoi présentaient un bien triste spectacle.

Malgré cela, Cécile avait gardé son allure de jeune Parisienne élégante. Du reste, avec beaucoup de dignité elle essaiera toujours d’être « convenable » malgré les oripeaux informes dont nous étions affublées.

De Ravensbrück à Torgau, d’Abteroda à Markleeberg nous serons soumises à des travaux harassants.

A Torgau, il nous faudra plonger dans des bains d’acide des obus de récupération, ceci pendant douze heures d’affilée.

A Abteroda dans une usine où loin d’être des ouvrières modèles, nous acquérerons toutes sortes de ruses pour ralentir un travail exécré. Je me souviens de l’air pris par Cécile, jouant à merveille le rôle d’une parfaite « demeurée » devant un Meister en colère qui réparait la machine qu’elle venait de faire sauter.

Notre rendement jugé inacceptable, nous nous retrouverons au Kommando de Markleeberg, contraintes à des travaux de terrassement dans une carrière et sur une route, de déchargement de charbon et autres éprouvantes corvées. C’est là que le 13 avril, misérables esclaves du « Grand Reich », totalement épuisées, nous avons été évacuées.

A cette date la défaite de l’Allemagne n’était-elle pas inéluctable ?

Cette évidence n’arrêta pas nos SS qui devant l’avance des troupes Alliées nous poussèrent sur les routes.

Notre colonne se composait de plus de 1 500 femmes : Hongroises et Françaises dépenaillées, chaussées d’informes galoches, certaines tirant un chariot sur lequel se trouvait quelques malades et… les paquetages de nos gardiens armés.

Cécile était l’une de nos compagnes qui s’étaient regroupées avec moi autour de Maman et qui n’espéraient d’autre aide que ce que pouvait apporter notre amitié. Je garde à jamais le souvenir de ce cruel épisode de notre déportation et revois toujours l’aspect de ma Mère devenue une très vieille femme, courbée par l’effort (elle n’avait que 47 ans !), la transformation de notre Cécile (où était la jolie Parisienne ? !) et celle de mes courageuses amies.

Sous les mitraillages, les bombardements mourant de faim et de soif, subissant tant de péripéties dramatiques (combien de kilomètres avons-nous parcourus ?), ce n’est que le 9 mai que notre petit groupe verra arriver les soldats de l’Armée Rouge, à Kônigstein au bord de l’Elbe. Sur place nous serons soignées par des Prisonniers de guerre Français avant d’être transportées en Zone Américaine où, avec impatience et anxiété, nous attendrons notre rapatriement. Mais, ce n’est que fin mai que nous quitterons l’Allemagne dans des wagons à bestiaux.

Notre cinquième transport dans de tels wagons… Nous en avions l’habitude ! ! ! Après avoir passé le Rhin à Mayence sur un pont de fortune, nous retrouverons la France.

C’est avec un peu de tristesse, qu’à l’Hôtel Lutétia, Maman et moi nous nous sommes séparées de nos compagnes en nous promettant de nous revoir. Cette promesse, nous l’avons tenue durant plus de cinquante années. Et tout naturellement l’ADIR a été le lieu privilégié de nos rencontres.

Cécile nous quitte aujourd’hui, mais pour nous qui l’avons connue et aimée, son souve­nir reste au plus profond de nos coeurs