ROMANET André "Le Juste des enfants "

Auteur de la fiche : Un an avant sa mort était paru dans le journal « l’Humanité » son histoire racontée par Jean-Paul Pierot

André ROMANET

Est né le 19 novembre 1911 et mort le 12 novembre 1998 à âge de 87 ans.

« Le soleil oblique s’arrête sur les livres entassés, éclaire des photographies de jeunes femmes et d’enfants du siècle dernier – ses aïeules – et un autre bien plus récente qui le montre, lui André Romanet, grand dans une ruelle étroite, donnant la main à une petite femme au regard vif, son épouse Simone aujourd’hui disparue. Dans son petit pavillon de Goussainville (Val-d’Oise), André Romanet est nerveux. Il peaufine le petit discours qu’il doit prononcer dimanche lorsque l’ambassadeur d’Israël lui aura conféré le titre de Juste. Deux arbres perpétueront la mémoire d’André et de Simone dans l’allée des Justes du mémorial (Yad Vashem) de Jérusalem. Un demi-siècle s’est écoulé depuis que le destin de ce couple d’instituteurs croisa les victimes promises à la Shoah. Aujourd’hui encore, il a le sentiment d’avoir agi en homme, en père, en instit, en cachant des enfants juifs. Dans cette région lyonnaise infestée par Barbie et Touvier, le couple Romanet risquait la vie, mais « comment agir autrement ? ». « Instituteur et rouge », c’était son héritage. Instituteur, M. et Mme Romanet père et mère l’étaient déjà, « rouge, cela remonte au moins à mon grand-père. Je n’ai eu aucun mérite à devenir très vite communiste ». Toute la famille était imprégnée « d’anarcho-syndicalisme, de gauchisme, d’anticléricalisme et d’antimilitarisme virulent ». Auprès de son père, adhérent au Parti socialiste, le jeune André a été bercé par Proudhon, Fourrier, les phalanstères, autant que par Marx. A l’école normale de Lyon, l’élève maître organisa la Jeunesse communiste. Pendant le Front populaire, André se dépense beaucoup, transportant dans son auto les militants ouvriers d’usine en usine. Survient le drame espagnol. Le jeune couple veut recueillir un enfant réfugié, mais n’y parvient pas. La débâcle. Dans leur village de Salles déserté par plusieurs commerçants l’instit organise avec le maire, « un vieux garçon de droite qui avait fait la guerre de 14 », la production du pain. C’est aussi l’arrivée d’une compagnie d’Alpenjäger (chasseurs alpins) commandée par un jeune capitaine, l’exercice quotidien sur la place du village, le salut hitlérien lancé à pleine gorge par les soldats qu’observent les enfants depuis la salle de classe. « Je n’arrivais pas encore à les prendre au sérieux, et le 14 juillet, qui était la date anniversaire de ma première fille – elle avait six ans -, nous avons accroché le drapeau à la fenêtre. Quand les Allemands ont débouché sur la place, nous nous tenions par la main, derrière les persiennes, nous n’en menions pas large. Le capitaine eut un moment d’étonnement, ne fit pas le salut hitlérien, salua militairement ». André est encore étonné de son propre geste, lui qui avait été élevé par un père, brisé par la guerre de 14-18, qui se couvrait le chef pendant « la Marseillaise », et qui aimait à chanter des refrains anar.  Ainsi commence une vie de résistance au quotidien d’un instituteur-secrétaire de mairie. Cette dernière fonction est utile pour falsifier les papiers d’identité, d’antifascistes espagnols pris au piège, puis de jeunes Français réfractaires à l’enrôlement dans les Chantiers de jeunesse, au salut de la francisque et à « Maréchal nous voilà ». André facilite leur entrée au maquis avec les FTP. Souvenirs toujours. « Une institutrice suppléante, d’origine juive, qui avait remplacé ma femme en congés de maternité, envoya un jour une lettre où elle parlait de son frère emmené pour « travailler en Allemagne ». C’était la légende entretenue, elle ignorait qu’il était parti pour Auschwitz. Pour « couvrir » ses activités, André Romanet devient correspondant du Secours national, l’organisation caritative officielle et vichyssoise. « Nous venions ma femme et moi de perdre un petit garçon, de moins d’un an, au début de 1944. Nous l’avons enterré le jour du drame d’Ysieux. C’est au cimetière qu’une femme du Secours national m’a demandé si je pouvais cacher des enfants juifs. Dès le lendemain, nous accueillions nos premiers enfants. » C’était quatre petits d’origine grecque. Au cours des semaines qui suivent, André recueillera quelque soixante-dix enfants, dont quarante jeunes juifs soustraits in extremis à l’imminence des rafles, et dont, pour la plupart, les parents furent déportés. Les enfants étaient confiés à Notre-Dame-de-Sion, organisation dont le but était de convertir les juifs au catholicisme, mais qui les a aidés à échapper aux persécutions. André allait chercher les enfants à Villefranche, les ramenait à Salles et leur trouvait des cachettes dans les fermes environnantes. Les familles d’accueil se recrutaient sans difficulté. La majorité savait qu’ils étaient juifs et connaissait les risques. A certaines familles, « moins sûres », André disait que ces enfants venaient des zones bombardées du Nord. A la Libération, André fondera à Megève un village regroupant jusqu’à mille enfants de déportés, de fusillés, de disparus. Puis il reprendra son métier d’enseignant. Sa deuxième fille est handicapée ; il s’occupera des enfants handicapés. Il préside toujours dans son département l’association pour adultes et jeunes handicapés. Demain, il rencontrera des femmes et des hommes, entre soixante et soixante-dix ans, « ses » enfants. Sans doute va-t-il « pleurer comme un vieux con », comme il dit. Bien sûr il pense au procès Papon, qui « va réveiller l’intérêt sur toute cette période, dont on commence seulement à parler ». « Pendant longtemps, ceux qui avaient enduré les pires douleurs, les déportés, évitaient de se replonger dans leur martyre. Ceux qui avaient mauvaise conscience parce qu’ils avaient laissé faire avaient honte. Et même ceux qui, comme moi, avaient fait de petites choses, ils avaient honte aussi d’avoir survécu quand tant d’autres sont passé dans les griffes de la Milice et de la Gestapo ».