Nos parents ces Résistants disparus

Rencontre prévu le 23/10/2002

Merci Madame Jeannine Calba, administratrice de M.E.R. et déléguée pour la région Bourgogne,  merci Mesdames Messieurs les enseignants et documentalistes de la Côte d’Or, d’avoir accompagné les jeunes lauréats du concours de la Résistance et de la Déportation et de leur avoir ainsi permis d’écouter le témoignage de six filles ou fils de résistants français et de pouvoir dialoguer avec eux.

Merci Mesdames Mireille Albrecht, Rose de Beaufort, et Ghislaine Richard-Vitton, Messieurs Bernard Boyer, Claude Pierre-Brossolette et Rémi Graillot d’être venus à la rencontre de jeunes lycéens et de leurs professeurs.et documentalistes

Merci Madame Christine Levisse-Touzé, directrice du Mémorial Leclerc Musée Jean Moulin, et Monsieur François Archambault, président de  M.E.R., de nous avoir tous reçus dans ce musée tout entier dédié à la Résistance et à la Libération de la France, en  la présence de Madame Christienne, adjointe au Maire de Paris, chargée de la mémoire.

 

Tous furent des résistants de la « première heure », Ghislaine Richard-Vitton évoque son père, jeune sculpteur prometteur, sensible et pacifique, pétri de culture germanique, qui dénonça, dès le début des années trente, les idées et l’arbitraire que lui inspirait la lecture de « Mein Kampf » qu’il confirmera par son engagement quelques années plus tard dans la Résistance et le sacrifice de sa vie.  La fille de Bertie Albrecht se souvient de sa mère, féministe des années d’avant-guerre,  quand elle s’occupait de l’accueil et de l’aide qu’elle apporta aux  premiers exilés communistes et juifs allemands fuyant les exactions nazies, et aux  républicains espagnols  refusant le franquisme. C’est la rencontre de tous ces hommes et femmes qui va l’amener à partir de juin 40 à dire non à l’occupant allemand. Le fils de Pierre Brossolette parle de la vie d’engagement de son père normalien non conformiste, intransigeant sur les valeurs de la liberté et de l’égalité,  perpétuel rebelle contre l’injustice, qui avait fait de l’écrit son arme pour dénoncer dans la presse d’avant-guerre les folies hitlériennes à venir. Prémonitoire Auguste Graillot, Receveur des postes dans le Territoire de Belfort, en 1938 après les accords de Munich, quand il affirme à son fils Rémi : « Nous venons de reculer pour mieux sauter ! ». Seul l’appel du général de Gaulle lui redonnera l’espoir, et son fils de  rapporter ses paroles de juin 40 : « Le maréchal est un traître, donc nous devons continuer la lutte…l’Angleterre va continuer le combat, Hitler bientôt envahira la Russie …. Et comme en 1917, l’Amérique viendra à notre secours…… ». Bernard  rappelle que son père, André Boyer, s’engage  en septembre 39 ;  aspirant  à l’école de cavalerie de Saumur, il participe, avec les cadets de Saumur,  à la défense héroïque du pont de Gennes sur la Loire. Rose de Beaufort nous fait partager l’indignation de son père, le Comte Honoré d’Estienne d’Orves, à l’annonce de l’armistice, pour lui la marine ne peut pas rester en dehors du combat, et décide de conduire une petite troupe qui rejoindra Londres après un long périple de trois mois.

Toutes ces femmes et tous ces hommes avaient compris que la liberté ne serait reconquise que par l’action.

Action en France occupée, pour Pierre Brossolette qui entre au réseau du musée de l’homme  où il y  rédigera  l’un des premiers journaux clandestins  « Résistance », avant de rejoindre à Londres le général de Gaulle où il entre au. B.C.R.A et devient l’adjoint du Colonel Passy. A la B.B.C. en alternance avec Maurice Schumann , il entretient la flamme patriotique des Français occupés et réveille l’espoir de la prochaine libération, tout en se consacrant à préparer l’avenir politique de son pays après la victoire. Pour  Bertie Albrecht, l’action c’est l’aide sans relâche qu’elle apporte aux évadés et réfugiés pour passer « en corbillard » la ligne de démarcation. C’est elle, qui sur une « petite Hermès-Japy » dactylographiera les premiers bulletins de Résistance du « mouvement Combat » dont avec le capitaine Henri Fresnay elle sera « l’âme ».  Pour épancher sa soif d’action, Honoré d’Estienne d’Orves  demande à retourner en France. Il est l’un des premiers à débarquer en Bretagne en décembre 1940 et tout de suite « Châteauvieux », son nom de code, recrute, organise et anime les hommes et les femmes des premiers réseaux avec la foi d’un chevalier. L’action d’Octave Simon c’est le renseignement et le sabotage, saboteur de la S.N.C.F., dit sa fille, et ajoute : « Imaginez-le,  se déplaçant à cheval  à Paris où vêtu d’une culotte de cheval blanche, et chaussé de bottes noires, il saute le portillon du métro pour échapper à ses poursuivants !!! ». Dès 1942 il rejoindra le S.O.E  du colonel Buckmaster  et organisera parachutages et distribution d’armes à différents réseaux. Pour Auguste Graillot, membre de la Résistance P.T.T., habitant de la frontière avec la Suisse, l’action, c’est naturellement de faire passer dans ce pays les aviateurs alliés tombés en France, les prisonniers évadés, les agents traqués par la Gestapo et de servir d’agent de liaison. Convaincu par ses proches de rester en France, André Boyer trouve l’action en prenant  contact avec les premiers agents envoyés par la France libre, comme, par exemple Pierre Fourcaud et son frère Boris. Il monte avec Gaston Defferre, un ancien confrère du barreau de Marseille et Pierre Sudreau, l’un des plus grands réseaux de renseignements : le « réseau Brutus ».

La trahison, parfois l’imprudence, voire la fatalité, conduiront bien tragiquement à l’arrestation de tous ces femmes et ces hommes. Le plus souvent l’annonce de ces arrestations, au moyen d’avis placardés sur les murs des villes et des villages de France incitera d’autres femmes et hommes à se lever contre l’occupant et ses séides.

Une tempête rejettera sur la côte bretonne, le bateau « Le jouet des flots », c’était son nom, qui transportait Pierre Brossolette et ses compagnons de retour d’une nouvelle mission, de coordination et de mises en place de réseaux, qu’il avait  « arrachée » au général, mission où il devait revenir à Londres, accompagné d’Emile Bollaert, le nouveau Délégué Général du C.F.L.N. pour la Résistance nommé à la suite de l’arrestation de Jean Moulin à Caluire le 21 juin 1943. Arrêté, rapidement reconnu, il est conduit avenue Foch à Paris au siège de la Gestapo. Torturé il ne parle pas. Pour son fils Claude, son père, pour échapper à l’inhumaine torture, il est vraisemblablement tombé d’une fenêtre du cinquième étage en essayant de fuir. C’est un agent infiltré par le contre-espionnage allemand depuis 1936 qui fait tomber le réseau « Brutus ». André Boyer est arrêté le 8 décembre 1943, torturé, lui non plus ne parlera pas. Il est envoyé au camp de Buchenwald, où l’indomptable résistant  organise la résistance à l’intérieur du camp. Transféré dans la prison allemande de Nordhausen, il y trouvera la mort en s’évadant au cours d’un violent bombardement allié. Son corps n’a jamais été retrouvé…. Quand il revient en France, n’acceptant pas l’inaction qui était son sort à Londres, la Gestapo  attend Octave Simon à l’atterrissage en France .  Sa fille Ghislaine ne sait pas grand chose sur la disparition de son père le 13 mai 1944, elle ajoute : « A la même date sa mère et son épouse étaient déportées à Ravensbrück ». L’arrestation de Bertie Albrecht sera le fait du  traître Multon, un ancien résistant « retourné » par les Allemands. Arrêtée à Mâcon, par les hommes de  Barbie, on ne retrouvera son corps que deux ans plus tard dans les jardins de la prison de Fresnes. Mireille s’interroge, aucune archive, aucun témoignage sérieux ne décrit le parcours de sa mère entre son arrestation et la découverte de son corps. Angoissante est la question qu’elle se pose : « Comment ma mère est-elle morte? ». Le Comte Honoré d’Estienne d’Orves, lui, est trahi par son radio ; arrêté à Nantes, il est transféré  dans un premier temps à Berlin puis ramené  Paris, jugé et condamné à mort. Sa fille nous raconte avec émotion son parcours et celui de ses compagnons, accompagnés d’un aumônier allemand de haute tenue, l’abbé Stock, vers le lieux de leur exécution, en chantant des cantiques, assis sur leur cercueil.  Honoré d’Estienne d’Orves s’offre de mourir le premier les yeux grands ouverts après avoir embrassé l’officier allemand commandant le peloton ;  « C’est comme ça que des Français meurent » ajoute l’aumônier Stock. Ce sont deux miliciens français qui vont dénoncer Auguste Graillot à la police allemande. Il partira de Belfort pour un effroyable voyage vers Buchenwald. Epuisé par les mauvais traitements,  il s’éteint dans l’infirmerie du camp de Dora le 26 janvier 1945. C’est son souvenir que cultive son fils Rémi en présidant la Fédération Nationale des fils et filles morts pour la France.

 

En conclusion de cette journée, c’est au tour des  jeunes lauréats de prendre la parole et de poser  quelques questions aux femmes et hommes qui viennent de témoigner sur leurs parents.

Quelle a été l’attitude des résistants vis à vis des Français qui trahissaient ? demande un lauréat.

Comment vos parents ont-ils vécu tous ces événements à cette époque ?  demandent d’autres lycéens.

« Les Français qui trahissaient nous n’avions pas beaucoup de pitié, on les repéraient et jeune résistant j’ai moi-même, relate Rémi Graillot,  reçu l’ordre de – nettoyer – de tels personnages »…… « Vous savez on vivait en permanence en danger » et ajoute Bernard Boyer « le traître qui a donné quelques membres du réseau Brutus, dont mon père, a été abattu en plein Paris par les Corps Francs qui en avait reçu l’ordre……….. D’autres furent jugés à la Libération et ils ont payé le prix de leur trahison ».

Rémi Graillot rappelle «  que ce fut, à cette époque, très difficile de vivre tous ces événements, même pour nous qui étions des jeunes gens, mais heureusement beaucoup, beaucoup de Français nous aidaient, aidaient nos parents résistants, ces aides furent pour tous d’un grand réconfort, vous savez Les Français n’acceptaient pas l’occupant… ».

Bernard Boyer raconte combien ce fut difficile pour sa mère de vivre : son père avait disparu, « on n’a pas retrouvé son corps, alors l’espérance…et si jamais…. sans certitude …, et puis il y à la vie de tous les jours,  les procédures administratives, impossible pour ma mère de signer  quoi que se soit. Il faut attendre et toujours attendre l’acte officiel du décès » alors ajoute-t-il « vous savez l’oubli, c’est difficile, heureusement il y a eu  Nuremberg , ce fut pour nous tous une grande consolation .»

Ghislaine Richard-Vitton poursuit « C’est difficile de parler de la mort d’un être cher, d’un époux, dont on n’a jamais retrouvé le corps, ma mère gardait l’espoir, souvent je l’ai vue aller à l’hôtel Lutétia, où les déportés étaient accueillis, et elle en revenait plus triste encore… »

 

Et cette dernière question posée par l’un des lauréats : « Ni haine ni pardon ? »

 

« Non la haine est mauvaise conseillère répond Mireille Albrecht nos parents, nous mêmes, nous nous sommes battus pour une Europe libre débarrassée du nazisme, je n’ai pas appris la haine à ma fille, aujourd’hui elle construit l’Europe avec des jeunes Allemandes …. Il faut savoir pardonner…. »