L’héritage de la Résistance dans la création littéraire

Rencontre prévu le 16/11/2006

Ouverture du Colloque par Monsieur Maurice Druon, Français libre et  Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie française

 Maurice Druon, Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie française, président d’honneur de la Fondation de la Résistance, ouvre la séance en saluant les assistants, grands résistants et témoins, ainsi que tous les jeunes gens et jeunes filles des lycées et collèges, et la délégation des élèves de la Légion d’Honneur, qu’il appelle « les demoiselles de France ».

Il se réjouit de leur nombre, de leur désir de connaître ce que fut la Résistance et de recueillir ses enseignements.

Mémoire et Espoirs de la Résistance, tel est le titre de notre association. Mémoire cela va de soi, mais espoirs ?

              L’espoir, c’est précisément que les valeurs qui ont inspiré et commandé l’action des résistants soient transmises, pour le bien et de la nation, et des individus

Maurice Druon transmet les excuses du président de l’Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, qui nous a permis de nous réunir au Palais Bourbon et qui, retenu dans sa mairie d’Evreux, a tenu à adresser à l’assistance un message, dont il va être donné lecture.

A titre personnel, et à l’évocation du nom du président, M. Maurice Druon rappelle que le premier officier qu’il eut, au début de la guerre de 1940, était le futur grand résistant et homme d’état, Michel Debré.

Discours d’accueil  par Monsieur Jean-Louis Debré Président de l’Assemblée nationale

Monsieur le Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie française,

Monsieur le Président de l’Association les Amis de la Fondation de la Résistance,

Monsieur l’Ambassadeur,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de vous souhaiter, à vous toutes et vous tous, au nom de l’ensemble des députés, la bienvenue au Palais Bourbon et vous dire le plaisir qui est le mien d’ouvrir ce nouveau colloque consacré à l’héritage de la résistance dans la création littéraire.

Ce colloque s’inscrit dans le prolongement de celui que vous organisez tous les ans.

Il montre une nouvelle fois combien votre association, Monsieur le Président, est active.

Je voudrais profiter de cette occasion, Monsieur le Président, pour rendre un hommage particulièrement appuyé à l’œuvre  de longue haleine de votre association qui nous rappelle opportunément que la mémoire est une richesse pour la nation.

Vous êtes, Mesdames, Messieurs, les gardiens de notre mémoire collective. En ranimant la flamme du souvenir vous faites œuvre  de pédagogie et vous défendez utilement les intérêts moraux et l’honneur de la Résistance. Vous êtes les sentinelles de cette mémoire si précieuse et pourtant si fragile. En conservant cette mémoire, en assurant sa transmission aux plus jeunes générations, comme en témoigne la présence ce matin d’élèves des lycées Blomet de Paris, Gérard de Nerval de Noisiel et Janson-de-Sailly de Paris, ou de la maison d’éducation de la Légion d’honneur, vous servez notre démocratie, car plus le temps passe, plus il est important que l’histoire de cette période soit écrite, soit conservée et surtout soit enseignée

A vous, les plus jeunes, je voudrais vous dire ceci : ayez conscience de la chance que vous avez de rencontrer des résistants, mesurez la force de leur engagement et de leurs convictions qui les ont conduits à risquer leur vie, mesurez l’étendue des sacrifices qu’ils ont consentis pour votre propre liberté. Méditez et imprégnez-vous de leur exemple. Souvenez-vous et transmettez ce souvenir pour que les générations futures n’oublient pas. Car oublier ce serait comme donner raison à la barbarie qu’ils ont combattue.

André Malraux, dont l’Assemblée évoquait avant hier la mémoire à l’occasion du 30ème anniversaire de sa disparition, avait projeté d’écrire un roman sur le maquis, projet auquel il renoncera mais il en avait déjà trouvé le titre qui tenait en un seul mot : NON

En soi, ces trois lettres étaient tout un programme. Ce seul mot pourrait résumer toute la Résistance et, à travers elle, la substance du gaullisme comme vient de le rappeler avec beaucoup de force le Président de la République en posant le première pierre du nouveau mémorial de Colombey les Deux Eglises.

En ce sens l’appel du 18 juin lancé par le Général de Gaulle depuis Londres, « la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas« , est la première œuvre  littéraire de la Résistance. La première à contenir ce mot de Résistance.

La Résistance, et c’est une dimension qui n’est pas assez souvent rappelée, ne saurait se résumer à des combats, à des actions militaires de plus ou moins grande ampleur, à des actions politiques. La Résistance, c’est plus que l’histoire d’un affrontement. La richesse et l’intensité de la création littéraire qui s’est exprimée dans la Résistance à travers la presse ou les éditions clandestines, sont là pour en témoigner. Elles montrent que la Résistance est un véritable humanisme, qu’elle a engagé celles et ceux qui y ont participé dans tout leur être, dans toutes les dimensions de la personne humaine et qu’au‑delà de la lutte contre un occupant, il y avait la volonté de lutter pour une certaine conception de l’Homme, il y avait la volonté de défendre la valeur incomparable de la personne humaine et l’héritage multi- séculaire de la civilisation occidentale.

L’héritage littéraire de la Résistance est considérable et au-delà de sa qualité intrinsèque il nous rappelle quelles furent les valeurs et le sens du combat de ces femmes et de ces hommes qui ont risqué leur vie pour sauver notre pays.

La création littéraire issue de la Résistance est une littérature d’hommes libres. Dans cette seconde guerre mondiale, qui fut aussi une guerre de mots, cette littérature fut une lueur d’espoir. Une lueur dans la nuit de l’occupation. Mais une lueur aussi pour nous aider à définir la vraie nature de l’Homme.

Aussi n’est il pas étonnant que la littérature, que l’écriture ait tenu une si grande place.

Dans l’éditorial qu’il écrit le 20 juin 1940 pour le numéro 10 de sa revue Fontaine et qu’il intitule « nous ne sommes pas vaincus« , Max Pol Fouchet écrit : « nous ne sommes vaincus qu’au militaire. Mais au spirituel nous sommes toujours victorieux« 

Il n’y a pas de meilleure illustration à ce jugement, loin d’être évident à l’époque, que l’histoire édifiante des Editions de Minuit fondées en 1941 par Pierre Lescure et Jean Bruller, mieux connu sous le nom de Vercors, dont il signa le Silence de la Mer et  La Marche à l’Étoile, deux des dix neuf ouvrages édités par les Editions de Minuit clandestines.

Le Silence de la Mer fut imprimé chez un petit imprimeur du Boulevard de l’Hôpital qui a tiré le livre feuille à feuille entre deux faire‑part. C’est Jean Paulhan, la cheville ouvrière de la résistance intellectuelle qui a payé l’imprimeur avec un don anonyme de 5 000 Francs. On a su ensuite, et je ne l’ai appris bien que plus tard, ce donateur était un des amis de Jean Paulhan, à savoir mon grand-père, le Professeur Robert Debré.

Permettez-moi de vous citer à ce propos un article sur Le Silence de la Mer, paru à l’époque à Londres dans le magazine The Observer le 11 juillet 1943 : « cette œuvre qui a vu le jour en même temps que les récents poèmes d’Aragon et d’Eluard prouve bien que le génie français n’est pas tari mais que, malgré le poids obscur de l’occupation allemande il continue de couler comme un torrent sous la glace. Seule de tous les pays occupés, la France continue à produire des œuvres de grand art ».

Du grand art ! Comment pourrait-on qualifier autrement les Feuillets d’Hypnos de René Char, autre magnifique exemple, publiés en avril 1946 par Albert Camus dans la Collection Espoir que ce dernier dirige aux Editions Gallimard. Ces poèmes entrés dans le panthéon de notre poésie classique furent écrits par le René Char, connu sous le pseudonyme d’Alexandre, qui, chef départemental de la section atterrissage – parachutage, échappa de justesse à l’arrestation. Un poète au cœur de l’action clandestine la plus risquée au sens le plus physique du terme. On oublie trop souvent que la Résistance donna naissance à une véritable effervescence poétique, dont un autre exemple est la Revue de Pierre Seghers. On oublie trop souvent que la littérature de la Résistance ce sont aussi des essais comme ceux de l’historien Marc Bloch, l’auteur de « l’Étrange défaite » et « d’apologie pour l’histoire ». Marc Bloch, le fondateur des Annales mais aussi un des chefs pour la région lyonnaise des Mouvements Unis pour la Résistance, arrêté et torturé par la Gestapo, fusillé le 16 juin 1944. On oublie trop souvent que la Résistance ce furent d’innombrables revues littéraires, des journaux clandestins comme Combat d’Albert Camus qui accueillit aussi Emmanuel Mounier et Raymond Aron.

Il convient aussi de ne pas oublier ceux qui, depuis l’étranger, ont écrit pour la Résistance à l’image de Georges Bernanos, exilé au Brésil.

Comment ne pas évoquer ici, devant vous, en présence de Maurice Druon son neveu, le roman de Joseph Kessel l’Armée des Ombres, le premier roman éponyme sur cette époque terrible.. Publié par les Éditions Charlot à Alger dès 1943, histoire romancée où le personnage de Luc Jardié, mathématicien, chef de réseau est inspiré de Jean Cavaillès, martyr de la Résistance.

Joseph Kessel qui fut avec son neveu Maurice Druon ici présent l’auteur des paroles du Chant des Partisans composé par Anna Marly. « On ne gagne la guerre qu’avec des chansons… » dira Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Largué par la Royal Air Force sur la France occupée, écouté clandestinement, cri de ralliement et d’espoir, véritable monument littéraire, le Chant des Partisans a traversé le temps jusqu’à nous. C’est un véritable succès littéraire et populaire qui a su transmettre l’émotion et la souffrance.

              « Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place » « le vent souffle sur les tombes, la liberté reviendra, on nous oubliera, nous rentrerons dans l’ombre… »

Méditons ces paroles de la complainte du partisan et faisons en sorte de les faire mentir. NON, personne n’oubliera la résistance et ceux qui l’animèrent. Nous sommes tous là pour en témoigner. A vous encore présents, permettez-moi de vous dire combien nous vous sommes reconnaissants de cette liberté retrouvée.

Jean Paulhan, dans un texte lumineux, s’est sans doute approché au plus près de l’engagement clandestin de la Résistance : « et je sais, dit-il, qu’il y en a qui disent ils sont morts pour peu de choses. Un simple renseignement, pas toujours très précis ne valait pas ça, ni un tract, ni même un journal clandestin parfois mal composé. A ceux là il faut répondre : c’est qu’ils étaient du côté de la vie. C’est qu’ils aimaient des choses aussi insignifiantes qu’une chanson, un claquement de doigts, un sourire. Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de choses, dis-tu. Oui, c’est peu de choses. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles« .

Quoi d’étonnant à ce que la Résistance ait permis la création de si belles pages de notre littérature, quoi d’étonnant que des écrivains qui, pour certains, n’ont pas connu cette période y aient puisé leur inspiration car la Résistance a permis d’exprimer, comme l’on dit d’un fruit ou d’un parfum, ce qu’il y a de plus beau dans l’Homme : la générosité, la gratuité, le renoncement à soi.

Je vous remercie.

Maurice Druon : En préambule du colloque

« Un seul combat pour une seule Patrie » : ce fut le mot d’ordre des Résistances à partir de la fin 1941,  je dis bien des Résistances, car il y eut la Résistance extérieure et la Résistance intérieure, et l’on serait injuste quand on parle de l’une, d’oublier l’autre. Elles ont été complémentaires ; elles ont eu à peu près le même nombre d’engagés et de martyrs.

La Résistance extérieure ce fut : l’appel du 18 juin, la formation de la France Libre,  les Forces Française Libres (les Free French), ce fut aussi Koufra,  l’Erythrée,  Bir-Hakeim, El Alamein, le ralliement de nombre de territoires coloniaux,  la bataille aérienne dans le ciel de Londres, en Russie avec l’escadrille Normandie – Niémen et au dessus de l’Afrique.

Ce furent aussi les sous-marins de l’Atlantique et de Mourmansk accompagnant les convois, et les Français de la B.B.C. « qui parlaient aux Français », sous le Blitz, et encore les postes diplomatiques qu’il fallait tenir pour que la France gardât son rang et restât présente dans l’univers, afin que finalement  elle soit à la table des vainqueurs lors de l’écroulement du Reich nazi.

La Résistance intérieure c’était : les journaux clandestins imprimés dans les caves, les distributions dans les boîtes aux lettres au petit matin,  les renseignements transmis à la France Libre ou à nos alliés par  les opérateurs cachés avec leurs postes émetteurs, guettés par la Gestapo et ses voitures de radio goniométrie. La Résistance intérieure, c’était les attentats, les sabotages, les trains qui sautent. Et en représailles, les arrestations et les otages fusillés.

C’est Pierre Brossolette  qui se jette de l’immeuble de la Gestapo, avenue Foch, pour ne pas parler  sous la torture. C’est Jean Moulin, venu d’Angleterre pour fédérer les réseaux, et qui meurt sous la torture. Ce sont ces milliers de déportés dans les camps de la mort  dont quelques uns, heureusement, ont eu la force de survivre comme Pierre Sudreau et comme Stéphane Hessel que vous entendrez.

La Résistance extérieure, l’aventure de la France Libre : c’est la dernière grande épopée de notre histoire.

La Résistance intérieure, celle des combattants de l’ombre, c’est la dernière grande tragédie de notre histoire.

Epopée, tragédie sont les deux expressions littéraires des destins héroïques. Donc ne nous étonnons pas s’il y a eu une vaste littérature des Résistances.

Parmi les catégories de littérature de la Résistance, sur lesquelles nous allons réfléchir, il y a d’abord celle de l’écriture immédiate, la littérature de combat. Jean-Louis Debré, dans son adresse,  a cité  le  Silence de la Mer, de Vercors, publié par Seghers aux Editions de Minuit, et qui reste symbolique de cette catégorie. Il y a aussi Aragon, celui de  La Diane Française et du Crève-Cœur, ainsi que Paul Eluard et  René Char, trois grands poètes de la Résistance. J’ajouterai qu’une grande partie du journalisme clandestin a été l’une des littératures de Résistance. Je crois que l’on peut rattacher le Chant des Partisans à cette littérature de combat.

Comment ce chant s’est il  répandu et comment est-il devenu l’hymne de la Résistance ? L’explication vient sans doute du fait qu’il a été écrit dans la Résistance extérieure, par deux hommes qui venaient de la Résistance intérieure ; il a été le lien entre les deux formes de la lutte.

Le manuscrit du Chant des Partisans vient d’être classé monument historique, et je l’ai offert au musée de la Légion d’Honneur. Autant qu’à ceux qui l’ont écrit, il appartient à ceux qui l’ont chanté, certains avant de mourir.

Il  y eut aussi la littérature de fiction, les romans tels que l’Armée des ombres ou le Bataillon du ciel, qui ont illustré deux manières de se battre.

Après cette littérature immédiate vient la littérature du souvenir, c’est à dire les souvenirs, les mémoires, les autobiographies,  les récits sur les aspects particuliers de la lutte, comme Le sacrifice du matin de Pierre de Bénouville, ou les écrits de Rémy ; on ne saurait citer tous les titres et tous les auteurs.

Vint ensuite et enfin l’évocation de la guerre telle qu’elle est apparue dans une quantité de romans, d’essais ou d’études ; bien habile celui qui y arriverait à les dénombrer.

Cette masse d’écrits témoigne pour la nature humaine confrontée aux destins extrêmes. Elle témoigne pour ceux qui ne se résignent pas.  Volontaire, oui, cela veut dire avoir une volonté.

Qu’a voulu le général de Gaulle en lançant son appel solitaire et salvateur ? Qu’ont voulu faire les chefs de réseaux, les d’Astier, Frenay, Lévi Lenoir, Médéric ? Qu’avait voulu faire Michel Debré lorsqu’il noyautait les administrations publiques ? Qu’ont voulu faire les engagés de la 2ème DB du général Leclerc ?

Qu’avons nous voulu faire, tous, où que nous soyons, dans un char, un maquis, ou derrière un micro ?

Nous avons voulu que les générations suivantes puissent  être libres, qu’elles puissent connaître la dignité et les responsabilités de la Liberté… Ces générations, c’est vous. Et, vous voyant, nous pouvons penser que notre combat n’a pas été perdu !

Bonne chance la jeunesse et bonne chance la France !

Jean-Pierre Levert professeur de Lettres : Modérateur du colloque

Avant de donner la parole aux différents intervenants laissez  moi rappeler qu’il nous faut ce matin éviter d’évoquer, car c’est un autre sujet et aussi un autre débat, les intellectuels qui ont emprunté les chemins de la perdition entre 1940 et 1945, mais plutôt évoquer les grandes figures de ceux qui ont choisi les sentiers de l’espérance.

Jean Lescure dans sa préface A la grande espérance des poètes écrivait : « Redonner du futur à une espérance d’autrefois, redonner du présent à une vie qui se donnait au futur » ces quelques mots résument bien l’engagement de tous les poètes et écrivains et qui je crois conviennent bien au colloque d’aujourd’hui

Fabienne Federini* docteure en sociologie :

Les traces littéraires laissées par les résistants au travers des écrits de Valentin Feldman, et René Char et Jean Gosset

On prête à Jean-Paul Sartre le fait d’avoir déclaré qu’il avait été un écrivain qui résistait, et non un résistant qui écrivait. Or, il s’agit ici de s’intéresser justement à ces résistants, ces intellectuels, – des professeurs de philosophie, des écrivains, des poètes –, qui, tout en étant engagés dans la résistance armée, n’en ont pas moins écrit.

Certains ont rempli des carnets sans savoir si un jour ces textes seraient publiés (je fais référence aux Feuillets d’Hypnos de René Char) ; d’autres ont continué à travailler à leur discipline tels le philosophe Jean Cavaillès qui, dès qu’il était en prison, reprenait son traité de logique[1] ; d’autres enfin ont laissé des témoignages sous forme de journal de guerre (Valentin Feldman, Marc Bloch[2]), de correspondances (Boris Vildé[3]), de récits[4] ou de nouvelles (Jean Gosset).

Et même si, comme je viens de le dire, la nature de leur témoignage est diverse, ils ont néanmoins laissé ce que l’on peut effectivement qualifié d’héritage littéraire. Leurs textes nous parlent de ce à quoi ils croient, de ce pour quoi ils se sont engagés dans le combat clandestin ; leurs textes nous parlent aussi de fraternité, d’amitié et de mort.

Tous ces résistants, dont je cite les noms et qui sont, pour la plupart d’entre eux, inconnus du grand public, appartiennent tous à cette catégorie très particulière que furent ceux que les historiens appellent les « pionniers », c’est-à-dire les résistants de la première heure, les résistants des années 1940-1941, lorsque la résistance était balbutiante, la résistance d’avant 1942.

J’aurais aimé vous parler de tous, mais le temps qui m’est imparti ne me le permet pas. J’ai donc fait des choix. Je vais ainsi vous parler tout particulièrement de trois d’entre eux : Valentin Feldman, René Char et Jean Gosset. Ma communication s’organisera donc autour du Journal de guerre de Valentin Feldman (1909-1942), des Feuillets d’Hypnos de René Char (1907-1988) et de la nouvelle «  Nuit blanche » de Jean Gosset (1912-1944), paru en décembre 1944 dans la revue Esprit.

Que dire d’eux, sinon qu’ils ont la trentaine en 1940, qu’ils sont tous les trois mariés, que Jean Gosset et Valentin Feldman ont déjà des enfants, qu’ils sont insérés dans la société française, appartenant le plus souvent à son élite culturelle. Jean Gosset est normalien, agrégé de philosophie tout comme Valentin Feldman. Ce ne sont donc ni des ratés, ni des inadaptés tel que le disait un autre pionnier, Emmanuel d’Astier de la Vigerie[5] pour se caractériser à cette époque-là. Ce ne sont pas non plus des aventuriers.

Dans les années trente, ils ont eu tous les trois une activité militante : Feldman est communiste, Gosset appartient à l’équipe de la revue Esprit, Char signe des pétitions et participe aux manifestations antifascistes. Quand la guerre éclate, ils sont volontaires, comme 20% des 90 pionniers effectivement mobilisés[6]. Comme 90% d’entre eux aussi, ils demandent à s’engager dans les unités combattantes. Leur attitude au combat leur vaut l’attribution d’une croix de guerre. Leur refus de l’armistice et de l’occupation nazie est immédiat. Des trois, seul le poète René Char survit au combat clandestin.

Le Journal de guerre de Valentin Feldman Qui est Valentin Feldman 

Né en Russie en 1909, Valentin Feldman, qui perd son père durant la Première guerre mondiale, arrive en France à 13 ans avec sa mère. Il ne parle pas un mot de français. Après une scolarité au lycée Henry IV, il poursuit ses études de philosophie à la Sorbonne. Naturalisé français en 1931, il devient agrégé de philosophie en 1939. Engagé dans les batailles politiques de son temps (participation à la campagne électorale à Reims en vue de la victoire du Front populaire et organisation du soutien aux réfugiés républicains espagnols de la région de Fécamp), il adhère au parti communiste en 1937. Bien que réformé en raison de problèmes cardiaques importants, il s’engage sur le front en septembre 1939. Son attitude lors des combats de mai-juin 1940 lui vaut l’attribution de la croix de guerre. A l’automne 1940, il devient agent de liaison. Arrêté en février 1942 à la place d’un autre résistant, il est fusillé au mont Valérien le 27 juillet et lance aux soldats allemands chargés de son exécution : « Imbéciles, c’est pour vous que je meurs ! ».

Que nous apprend la lecture du Journal de guerre (1940-1941) de Valentin Feldman, qui part de la drôle de guerre jusqu’à l’engagement dans la résistance ?

Valentin Feldman est hostile aux accords de Munich et, de manière corollaire, il n’est pas pacifiste en 1940 : « On ne payera jamais les conséquences de Munich. Ni pour la paix perdue, ni pour la guerre à gagner. »[7] Pour lui, la guerre qui éclate en septembre 1939 fait donc sens. C’est une guerre contre le nazisme : « c’est encore un de ces dilemmes dont on ne peut sortir : ou on fait la paix ou on fait la guerre […]. Il faut choisir entre une Europe hitlérisée ou la révolte de l’Europe contre cette hitlérisation de plus en plus ample. Tout est là : ou bien on accepte ou bien on refuse ; l’hitlérisme est un des phénomènes contre lequel il faut prendre parti, sans nuances. »[8]

Toutefois, bien que prêt à faire la guerre parce qu’elle représente le dernier moyen après tous les autres employés durant l’entre-deux-guerres, pour faire échec au nazisme et parce qu’il n’y a pas d’autre choix, Valentin Feldman n’a pas, pour autant, de fascination particulière pour la guerre. Il regrette même d’avoir à adopter une pratique sociale, certes adaptée aux circonstances de temps et de lieu, mais très loin de tout ce en quoi il croit :

« Dimanche [12 mai 1940]. Je sens qu’en acceptant la guerre je suis complice de toutes les saloperies dont la conscience, la seule conscience, entraîne mon adhésion aux valeurs qui m’obligent à accepter la guerre. Sacrifier à certaines valeurs toutes les raisons sentimentales pour lesquelles j’accepte sciemment tout le système des valeurs. Tout cela n’est pas nouveau, pas plus que l’histoire de cet homme civilisé, qui un jour combattit contre la barbarie par des moyens barbares et qui est devenu barbare lui-même. Ou devenir barbare en combattant la barbarie, ou accepter la barbarie, en fait, par horreur de la barbarie. Tout est là. Sans doute, le choix est-il une affaire de tempérament : je ne peux accepter passivement, comme je ne peux, pendant un bombardement, rester dans un abri. »[9]

L’entrée en résistance de Valentin Feldman s’inscrit donc dans la continuité du combat antifasciste qu’il mène depuis les années trente. C’est ce qui permet de comprendre non seulement son engagement volontaire de 1939 mais aussi son « refus d’accepter »[10] la débâcle[11], l’armistice et l’occupation allemande. Ainsi, tout en étant démobilisé militairement, il reste néanmoins mobilisé politiquement : « j’ai passé ma mauvaise humeur à graver sur un morceau de bois un non »[12]. Et ce refus qu’il exprime dès juillet 1940 ne connaît aucune limite : « Résumons-nous : l’extrême servitude vous redonne le goût de la première, de la primitive liberté. Il y a des limites à la servitude : il n’est pas de limites au refus »[13].

La lecture du Journal de guerre de Valentin Feldman confirme aussi ce que nous avions déjà mis au jour pour d’autres intellectuels, à savoir qu’un certain nombre d’entre eux pense à partir des années 1938 que le témoignage ne suffit pas, qu’il convient de passer à autre chose. Et cet « autre chose » c’est le passage à l’acte, c’est l’engagement[14] dans la résistance active : « Ne se sent-on jamais témoin que si l’on est acteur […]. Ce n’est pas la lecture des journaux qui me fera sentir ma présence dans cette année de grâce 1941 […].  C’est autre chose, bien autre chose, qui donne le sens de la présence historique dans l’historicité concrète du monde. […] Etre c’est parier sur le devenir, par l’expérience du risque. » Quelques mois plus tard, soit juste avant de mettre un point final à son Journal de guerre, il persiste : « L’aventure n’est pas dans les livres. Etre celui qui nie l’aventure parce qu’il fait l’aventure. Et non pas dans le silence docile d’une nuit où, follement, librement, la conscience fut son propre néant »[15]

  1. Les Feuillets d’Hypnos de René CharQui est René Char ?Né en 1908 dans le Vaucluse (à l’Isle-sur-Sorgue), René Char adhère au mouvement surréaliste d’André Breton en 1929, qu’il quitte cinq ans plus tard. Engagé dans son temps, il dédie en 1937 son Placard pour un chemin des écoliers aux « enfants d’Espagne ». Engagé volontaire et affecté sur le front d’Alsace, René Char explique en décembre 1941 qu’ « après le désastre, je n’ai pas eu le cœur de rentrer dans Paris. A peine si je puis m’appliquer ici, dans un lointain que j’ai choisi, mais je trouve encore à proximité des allées et venues des visages résignés à eux-mêmes et aux choses. Certes, il faut écrire des poèmes, tracer avec de l’encre silencieuse la fureur et les sanglots de notre humeur mortelle, mais tout ne doit pas se borner là. Ce serait dérisoirement insuffisant. »Dès 1941, il entre dans la clandestinité et dans la résistance armée, où il se distingue par son courage et son sang-froid. Volontairement, même s’il continue d’écrire, il ne publie rien de 1940 à 1944, justifiant ainsi son attitude[16] : « les poèmes auxquels je travaille resteront inédits, aussi longtemps qu’il ne sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement l’innommable situation dans laquelle nous sommes plongés. Mes raisons me sont dictées en partie par l’incroyable et détestable exhibitionnisme dont font preuve depuis le mois de juin 1940 trop d’intellectuels parmi ceux dont le nom jadis était précédé ou suivi d’un prestige bienfaisant, d’une assurance de solidité quand viendrait l’épreuve qu’il n’était pas difficile de prévoir… On peut être un agité, un déprimé ou moralement un instable, et tenir à son honneur ! Faut-il les énumérer ? Ce serait trop pénible. »[17]Après la Libération, René Char renonce à toute carrière politique et fait paraître deux recueils de poèmes qui établirent définitivement sa renommée, Seuls demeurent (1945) et le Poème pulvérisé (1947), bientôt réunis dans Fureur et Mystère (1948). Quant aux Feuillets d’Hypnos (1946), c’est ce qui reste des carnets que René Char (Hypnos) a écrits de 1940 à 1944, puisque il en brûla une partie.Que nous apprend la lecture des Feuillets d’Hypnos et autres écrits ?Pour introduire ces feuillets, le poète écrit : « ces notes marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l’inaccessible champ libre à la fantaisie de ses soleils, et décidé à payer le prix pour cela. »Il revient souvent sur ce que la guerre, la résistance a fait de lui à la fois dans cet aphorisme « agir en primitif et prévoir en stratège »[18] et dans cette lettre adressée à un de ses amis : « je ne veux oublier jamais que l’on m’a contraint à devenir – pour combien de temps ? – un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un personnage arctique qui se désintéresse du sort de quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens de l’enfer. »[19]Et puis pour mieux vous faire comprendre encore ce à quoi les résistants étaient confrontés, les choix qu’ils devaient faire, il y dans les Feuillets d’Hypnos la description précise de l’exécution d’un camarade de combat, prix pour sauver tout un village :

« Horrible journée ! J’ai assisté, distant de quelque cent mètres, à l’exécution de B. Je n’avais qu’à presser la détente du fusil-mitrailleur et il pouvait être sauvé ! Nous étions sur les hauteurs dominant Céreste, des armes à faire craquer les buissons et au moins égaux en nombre aux SS. Eux ignorant que nous étions là. Aux yeux qui imploraient partout autour de moi le signal d’ouvrir le feu, j’ai répondu non de la tête… Le soleil de juin glissait un froid polaire dans mes os.

Il est tombé comme s’il ne distinguait pas ses bourreaux et si léger, il m’a semblé, que le moindre souffle de vent eût dû le soulever de terre.

Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait être épargné à tout prix. Qu’est-ce qu’un village ? Un village pareil à un autre ? Peut-être l’a-t-il su, lui, à cet ultime instant ? »[20]

René Char dit aussi combien la résistance représente l’espoir : « Résistance n’est qu’espérance. Telle la lune d’Hypnos, pleine cette nuit de tous ses quartiers, demain vision sur le passage des poèmes »[21]. Mais la résistance c’est aussi le sacrifice des compagnons d’armes : « J’aime ces êtres tellement épris de ce que leur cœur imagine la liberté qu’ils s’immolent pour éviter au peu de liberté de mourir. »[22]

  1. « Nuit blanche », Esprit, 1er décembre 1944, Jean GossetQui est Jean Gosset ?Né en 1912 à Montreuil, Jean Gosset est agrégé de philosophie, ancien élève de l’ENS (promotion lettres, 1932)  C’est en 1933 qu’il rejoint l’équipe d’Esprit. Il milite aussi au sein des collèges de travail dans le cadre de l’éducation populaire prônée par la CGT. Mobilisé en septembre 1939, il participe à la campagne de Belgique, puis à la bataille de Dunkerque. A l’issue de ces combats, il réussit à échapper à la captivité en s’embarquant pour l’Angleterre. Cherchant à « faire quelque chose » dès sa démobilisation, il entre officiellement dans le mouvement de résistance Libération-Nord en janvier 1942, puis participe à la création du réseau de renseignements Cohors-Asturies aux côtés de Jean Cavaillès, dont il devient l’adjoint, puis le successeur après son arrestation en août 1943. Lui-même est arrêté en avril 1944. Il est déporté à Neuengamme. Il y décède le 21 décembre 1944.Que nous apprend la nouvelle « Nuit blanche » de Jean Gosset sur la résistance ?

Ecrite en décembre 1943 et publiée par la revue Esprit en décembre 1944, cette nouvelle est un testament, même si elle n’est pas écrite comme tel. Au moment où elle est publiée par Esprit, Jean Gosset est déjà mort, mais la nouvelle de sa mort n’est pas connue. Comme personne ne sait où il est, le texte n’est pas signé. Ce texte raconte donc la nuit blanche d’un résistant (Olivier, c’est-à-dire Jean Gosset lui-même) chargé d’une mission d’espionnage dans une baie bretonne en vue d’une action préparatrice au débarquement des Alliés.

On peut y lire l’un des plus beaux portraits, et sans doute le plus bel hommage rendu par Jean Gosset au philosophe de logique Jean Cavaillès (Dorian), qui fut son professeur à l’ENS quand Jean Gosset était agrégatif. A cette date, ce dernier a déjà été arrêté par la Gestapo (août 1943). « Dorian lui-même, toujours prêt à retenir Olivier[23] et à lui reprocher de s’exposer chaque fois qu’il voulait faire quelque chose, n’avait pas eu d’objection. Guère de danger, en vérité ; mais il lui en fallait parfois beaucoup moins, au patron, quand il s’agissait des autres, et spécialement d’Olivier. Olivier avait longtemps admiré sans comprendre, avant la guerre, ses exploits, ses gageures d’alpiniste[24]. Maintenant, il commençait à en voir le sens ; il croyait possible de lui ressembler, de dominer un jour la crainte du danger qui le quittait encore difficilement, de ne plus avoir à lutter contre lui-même. Il n’atteindrait jamais à la bravoure spontanée, si naturellement associée à la claire conscience des risques, qu’il ne connaissait pas chez d’autres que chez Dorian. »

Il y a aussi une description toute empreinte de tragédie de ce que signifie l’amitié dans la lutte clandestine, cette « fraternité », si intense et si douloureuse, à un moment pourtant où « ce n’était pas l’heure de l’amitié ; c’était l’heure du combat ; l’heure où l’on devait réussir ». « Fraternité toute momentanée dans son intensité, on la sent si fragile qu’on émet anxieusement le vœu de ne pas se perdre de vue, de se réunir… A quoi bon ? Dorian, bien sûr et Gilberte, et Raymond, et… c’est presque tout. Ces amitiés, nées ou fortifiées dans la lutte, leur vérité, même les rend tragiques. Pas seulement la menace de mort, la crainte de perdre ceux à qui on a eu la faiblesse de s’attacher. Jamais le temps de faire vivre et grandir une intimité, jamais le loisir même d’y pénétrer vraiment quand l’absolue confiance ordonne d’enfreindre, pour une fois, le devoir de ne pas le faire. On mourra sans s’être dit, sans avoir vécu l’essentiel, occupés qu’on est à des gestes, à des soucis étrangers et captivants dont on n’aurait pas dû avoir besoin pour se connaître et s’aimer. »[25]

Enfin, malgré la nécessité, qui était de l’ordre de la survie[26], de maintenir une double vie avec le cloisonnement des activités légales et illégales, il devient plus en plus difficile pour les résistants engagés dans le combat clandestin de continuer à assurer cette double vie au fur et à mesure des années : « On ne mesure pas, en s’engageant dans ce métier de la lutte clandestine, combien il est impossible de le faire en amateur. On apprend peu à peu qu’il faut s’y donner entier, que le travail régulier en souffre, et que le travail libre disparaît. »[27]

Ces trois résistants ont donc essayé de faire ce que René Char résume si bien en avant-propos de son recueil de poèmes Recherche de la Base et du Sommet : « certains jours, il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire ». Ce fut en effet un peu cela leur challenge : comment nous communiquer à nous qui n’avons pas connu cette époque ce que fut leur refus souvent, leur colère parfois, ce qu’ils ressentirent face à la débâcle, puis face à l’occupation nazie ? Or je crois qu’au-delà de ce qu’ils firent, ils laissent des témoignages d’une rare intensité ; témoignages qui nous permettent aussi de mieux comprendre leur engagement résistant à un moment (en 1940/1941) où cela pouvait paraître, où cela peut nous apparaître, comme une pure folie.

Fabienne Federini vient de publier : Ecrire ou combattre : Des intellectuels prennent les armes (1942-1944) aux Ed. A la Découverte.

 

Intervention de Madame Marie-Claire Dumas * qui évoque Robert Desnos « poète assassiné » et parle plus largement de la poésie de la Résistance :

De Robert Desnos et de sa poésie de la Résistance que reste-t-il ? Sujet que vous m’avez accordé et que j’assume très volontiers.

Cette question « Que reste-t-il ?» s‘applique, me semble-t-il, à cette littérature de la Résistance comme à tout acte artistique et littéraire du passé : c’est la question de la transmission, celle de la réflexion sur ce qui est transmis comme celle de sa transformation. En ce sens je voudrais insister sur l’idée de la transformation de ce dont on hérite pour en faire quelque chose dans la continuité, mais aussi dans l’innovation.  De ce point de vue là j’emprunte donc tout de suite à Robert Desnos un poème qu’il a écrit, fin 1943 quelques mois avant sont arrestation. Dans ce  poème intitulé « L’Épitaphe » il réfléchit très bien, en poète, à la question que nous nous posons aujourd’hui :

J’ai vécu dans ces temps et depuis mille années

Je suis mort. Je vivais, non déchu mais traqué. Toute noblesse humaine étant emprisonnée J’étais libre parmi les esclaves masqués. J’ai vécu dans ces temps et pourtant j’étais libre. Je regardais le fleuve et la terre et le ciel Tourner autour de moi, garder leur équilibre Et les saisons fournir leurs oiseaux et leur miel. Vous qui vivez qu’avez-vous fait de ces fortunes ? Regrettez-vous les temps où je me débattais ? Avez-vous cultivé pour des moissons communes ? Avez-vous enrichi la ville où j’habitais ? Vivants, ne craignez rien de moi, car je suis mort. Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps.

Donc,  l’enjeu pour nous c’est de savoir s’il dit vrai  en disant « Rien ne survit de mon esprit ni de mon corps », c’est à nous en fait de prendre en quelque sorte le flambeau qu’il nous tend quand il affirme – et cela est très important je pense pour l’attitude du poète résistant – qu’il vivait « non déchu mais traqué » dans Paris occupé, où dans ces années  1940 – 1944 il « se débattait » pour la liberté.

Desnos ? C’est un poète qui a écrit pendant les années d’occupation pour communiquer sa haine contre l’occupant et les collaborateurs et exalter la liberté. Il publie alors en contrebande sous son propre nom ou clandestinement sous des pseudonymes. Desnos  est donc un poète qui écrit et qui en même temps  publie  à la différence  d’un  René Char qui écrit aussi mais qui ne publie pas. Desnos lui pense que communiquer est important à ce moment là. D’autre part à partir de juillet 1942 Desnos est un résistant actif qui travaille dans un réseau de renseignements des services secrets britanniques. Un peu avant sont arrestation, il passe à l’action directe avec un autre poète André Verdet qui appartenait au mouvement Combat. Ils sont arrêtés en février 1944. D’abord prisonnier au camp de Compiègne, Desnos fait partie du « convoi des tatoués » en avril 44. Il est déporté à Auschwitz puis Buchenwald et Flossenbourg pour être finalement transféré dans le camp de travail de Flöha. Une des terribles marches de la mort  le conduit de Flöha en Saxe à Terezin en Tchécoslovaquie où il meurt d’épuisement et du typhus le 8 juin : il n’avait pas  45 ans.

Alors que reste-t-il des écrits de résistance du poète et qu’en faisons-nous ?

Je voudrais vous conduire mentalement à Paris, dans un lieu très impressionnant, le Mémorial de la Déportation  qui est situé dans l’île de la Cité. Sur les murs de ce Mémorial sont  gravés des textes empruntés à des poètes ou des écrivains résistants. Parmi ces textes deux sont de Robert Desnos. Le premier texte est extrait du poème : « Ce cœur qui haïssait la guerre » :

Car les cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.

On trouve dans ce poème un mouvement très caractéristique de Desnos,  qui va de l’individu à la collectivité : « ce cœur qui haïssait la guerre » – c’est-à-dire le poète qui parle –  va trouver son écho dans « ces cœurs qui haïssaient la guerre  » : celui qui résiste trouve appui auprès d’autres qui résistent  et qui  résistent contre quoi ? Contre Hitler et ses partisans.

C’est la dernière strophe du poème qui a été inscrite sur le mur du Mémorial.

Un deuxième texte de Robert Desnos figure en ce lieu, ainsi présenté :

J’AI REVE TELLEMENT FORT

DE TOI – J’AI TELLEMENT

MARCHE, TELLEMENT PARLE

TELLEMENT AIME TON OMBRE

QU’IL NE ME RESTE PLUS

RIEN DE TOI – IL ME RESTE

D’ETRE L’OMBRE  ENTRE LES

OMBRES L’OMBRE QUI VIENDRA

ET REVIENDRA DANS TA VIE

ENSOLEILLEE   R  DESNOS

 

En ce lieu du souvenir, ce texte témoigne de l’effacement du déporté, privé de tout contact avec la vie, destiné à l’élimination.

Pour terminer mon court propos je voudrais insister sur l’histoire de ce texte, car, attribué à Robert Desnos, il n’est que de très loin un poème de Robert Desnos. Premier signe de cette attribution contestable :  voici une autre version de ce texte que je viens de citer qui figure dans le livre de Pierre Berger publié chez Seghers dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » peu de temps après la fin de la guerre  en 1949. Cette autre version du poème n’est pas en soi très différente mais suffisamment toutefois pour montrer qu’il s’est passé quelque chose. Par ailleurs au poème s’ajoute un titre « Le dernier poème », qui ne peut être de Desnos lui-même :

J’ai rêvé tellement fort de toi

J’ai tellement marché, tellement parlé

Tellement aimé ton ombre,

Qu’il ne me reste plus rien de toi.

Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres

D’être cent fois  plus ombre que l’ombre

D’être l’ombre qui viendra et reviendra

dans ta vie ensoleillée.

Dans ce poème, outre une différence de termes ( entre/parmi ), il y a un vers de plus  « D’être cent fois plus ombre que l’ombre ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Ce poème est un poème en métamorphose,  mais à partir de quoi ?

Bien sûr à partir d’un poème de Robert Desnos mais qui n’est pas le dernier  écrit par la poète, supposé avoir été écrit quand il était mourant à Terezin. Car il n’y a pas de « dernier poème » de Desnos, qu’il aurait écrit quelques jours avant de mourir. En revanche la voix collective, voix tchèque en réalité, connaissait l’existence d’un poème que Robert Desnos avait écrit en 1926 en pensant à une femme qu’il aimait alors la chanteuse Yvonne George.

Il avait écrit pour elle divers poèmes dont l’un est intitulé : « J’ai tant rêvé de toi ». Dans ce poème assez long il évoque la présence de plus en plus fantomatique, imaginaire de cette femme qu’il aime et qu’il approche difficilement. Voici donc la dernière strophe – ou plutôt le dernier verset – de ce poème :

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus

peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie.

La disposition en continu – et non en vers –  du verset , les nuances introduites par les expressions «  peut-être , et pourtant », le terme « fantôme » qui précède celui d’  « ombre », l’image finale du « cadran solaire », autant de traits qui distinguent le poème de Desnos de ses échos ultérieurs.

Que s’est-il passé ? Le poème de 1926 a été traduit en tchèque en 1930. Quand la mort de Desnos a été annoncée en 1945 à Prague, un journaliste tchèque a publié à la fin de son article cette dernière strophe bien évidemment dans la langue de son pays. Quand Les Lettres Françaises annoncent  à leur tour la mort du poète elles publient en la retraduisant en français la version tchèque de cette dernière strophe de « J’ai tant rêvé de toi ».

 Le texte gravé sur le Mémorial de la Déportation est donc la version transformée, reprise, traduite par la voix collective du  poème ancien qui était en fait un poème intime du lyrisme personnel du poète.

En conclusion je trouve qu’il s’agit d’un bel exemple de ce qu’est l’histoire d’un poème quand nous la reprenons et quand nous en réactivons le sens dans des circonstances nouvelles. Histoire de longue haleine, comme Desnos nous en avertit dans le poème « L’Epitaphe » où il s’adresse non pas à nous simplement, mais à ceux qui viendront mille ans après.

Ce que deviendra dans mille ans la poésie de la Résistance je n’en sais rien, mais dans tous les cas je vois que les poèmes écrits pendant la Résistance, comme « Ce cœur qui haïssait la guerre » ou « Le Veilleur du Pont-au-Change », poèmes où Desnos fait appel à l’unisson des voix et des forces contre l’oppression sont autant d’actes de confiance et d’espoir en l’avenir. Au fond la Résistance et sa littérature  ont pour destin d’être amplifiées,  transformées si l’on veut qu’elles vivent, et pas simplement remémorées comme un fait passé qui serait achevé dans le passé. C’est donc à nous de faire que cette littérature et ces poèmes arrachés en quelque sorte à la vie très dure des femmes et des hommes dans ces années sombres gardent un sens vivant pour vous, pour nous tous.

 

*Marie-Claire Dumas est professeur émérite à l’Université Paris 7- Denis Diderot et l’auteur de plusieurs ouvrages sur Robert Desnos.

Intervention de Monsieur Pierre Favre Journaliste – Ecrivain : De la Mémoire de Jacques Decour et des Lettres Françaises Clandestines….

Je commencerai par un épisode de la Libération de Paris….

Nous sommes le mercredi 23 août 1944. La débandade allemande touche à sa fin. Dans trois jours, de Gaulle descend les Champs-Élysées… Ce mercredi, avenue Trudaine, dans le 9ème arrondissement, une trentaine de personnes s’active face à l’entrée du Lycée Rollin. Tout d’un coup, une large banderole s’élève au-dessus des têtes et du premier étage, des mains hissent le calicot sous le fronton de pierre où s’inscrit l’appellation première. Et l’on peut lire « Lycée Jacques Decour ».

On parlera d’une opération commando. Commando communiste, dira-t-on. En fait, ses auteurs sont aux trois-quarts des enseignants de l’établissement, les autres des agents du lycée. Le groupe est affilié au Front National Universitaire (F.N.U.). L’événement ne sera jamais contesté et le vieux lycée, à l’origine un établissement religieux, restera le lycée de France débaptisé à la Libération. Le 1er septembre, Henri Wallon, ministre de l’Education par intérim du Gouvernement Provisoire, entérinera la nouvelle appellation et un grand juriste, l’un des premiers animateurs de la Résistance gaulliste qui va lui succéder, René Capitant, ne reviendra pas sur la décision de son prédécesseur.

Mais, ce Jacques Decour, cet inconnu, cet oublié, qui est-il ? De son vrai nom, il s’appelle Daniel Decourdemanche. Ascendance noble (normande), naissance dans le 17ème arrondissement près de Neuilly en 1910, père, agent de change à la Bourse, toute une carrière semble lui être offerte. Mais le jeune homme, qui au Lycée Pasteur cumule tous les premiers prix, veut se faire tout seul, et va tout refuser à son père, les études de Droit, la succession banquière et jusqu’à son héritage. Fou de littérature (française et germanique), à 19 ans il se marie pour s’émanciper et prépare l’Agrégation d’Allemand qu’il réussit alors qu’il n’a pas vingt-deux ans, après un séjour de six mois à Magdebourg en Prusse orientale, comme « professeur d’échanges », enseignant le français à de jeunes allemands à peine moins, âgés que lui. Un séjour dont il ramène un livre (qui n’est pas son premier. A vingt ans, la N.R.F. de Paulhan a publié Le sage et le Caporal) qu’il titre Philisterburg où deux ans avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il  met à nu les méthodes d’incrustation du nazisme dans les jeunes têtes d’alors. On peut dire de ce Jacques Decour naissant, qu’ainsi s’élabore la pensée d’un jeune humaniste qui toute sa courte vie à suivre, n’aura qu’un seul but, combattre l’obscurantisme.

En 1936, sous le Front Populaire, que peut-il devenir ? Comme tant d’intellectuels, adhérer au P.C.F., et c’est ce qu’il fait quand il arrive à Tours où après un poste à Reims, professeur d’Allemand, il est nommé au Lycée Descartes. L’un de ces condisciples n’est autre que le premier professeur noir agrégé de Français, Léopold Sedar Senghor. Et à Tours, le camarade Decourdemanche anime une « Maison de la Culture » et un Ciné-Club. Après, c’est Paris et son Lycée Rollin qui l’attendent. Egalement, le journaliste et la revue Commune, que dirige Aragon qui après Paul Nizan, en fait son rédacteur en chef.

Sous l’Occupation, sa réaction est presque immédiate. « L’homme de Refus » retrouve Paulhan et sans tenir compte du Pacte germano-soviétique qui lie le parti communiste français, avec deux de ses compagnons, le philosophe Georges Politzer et le physicien Jacques Solomon (gendre de Paul Langevin démis de ses fonctions par Vichy, puis mis en résidence surveillée – ce qui va provoquer la manifestation étudiante du 11 novembre 1940, à l’Etoile), Jacques Decour sort dès ce mois de novembre le premier numéro de l’Université Libre feuille clandestine qui perdurera jusqu’à la Libération.

Ce n’est qu’un début pour le trio d’insoumis que forme Decour-Politzer-Solomon. La pensée libre, suit en février 1941 (un second numéro sortira en février 1942), une revue qui donnera du fil à retordre à Aragon, et des idées à d’autres esprits libres. Parmi eux, un certain Jean Bruller, c’est-à-dire le futur Vercors qui se met à écrire Le silence de la mer, Vercors le dira plus tard : « C’est pratiquement toute la Résistance intellectuelle dont Jacques Decour a été l’initiateur. ». Mais par malheur, l’imprimerie est perquisitionnée et Bruller-Vercors qui, quelques jours avant, a repris son texte pour le corriger, se décidera alors à créer les fameuses Editions de Minuit. Quant à Decour, le voici qui lance son troisième titre clandestin Les lettres françaises, en tant qu’organe du Front National des Ecrivains d’où sort le Comité National des Ecrivains (C.N.E.) où ils se comptent six à leur première réunion, en décembre 1941. Parmi eux, Jean Paulhan et François Mauriac.

C’est pratiquement seul que Jacques Decour prépare le numéro fondateur des Lettres françaises. Il ne le verra jamais et la plupart des textes seront détruits. Arrêté avec ses deux complices, Politzer et Solomon, à la mi-février 1942, la Police pétainiste le met à la disposition de la Gestapo. Après trois mois d’emprisonnement à Fresnes, c’est le peloton d’éxécution nazie qui l’attend le 30 mai au Mont-Valérien.

Mais il faut que Les Lettres Françaises vivent. Un homme a pris le relais de Decour, ancien homme de droite devenu communiste, Claude Morgan. Tout seul à son tour, il réussit à sortir effectivement le premier numéro du journal qui paraît au mois de septembre de l’année 1942. Pour le 150ème anniversaire de la bataille de Valmy. Simultanément, Le silence de la mer est parti en Grande-Bretagne. Il reviendra en France, parachuté par la R.A.F., comme une grenade, la grenade de l’intelligence en guerre. Et Les Lettres Françaises vont vivre, d’abord mal imprimées, ensuite avec du plomb dérobé par des linotypistes résistants à l’imprimerie de Paris-Soir et du Parizer Zeitung ! Dix-neuf numéros vont paraître jusqu’au mois d’août 1944. Quinze-cents exemplaires au début, quinze à vingt mille à la fin. Avec Claude Morgan et Jean Paulhan, y participent des auteurs, des journalistes bien oubliés, Edith Thoma, George Adam, mais aussi des poètes parmi les plus grands, Eluard, Aragon (qui lui ne vit pas à Paris mais en Zone Sud) ; mais encore Jean Cassou et puis même Sartre et Queneau. Jusqu’à Albert Camus qui en pleine guerre s’élève contre la peine de mort, en l’occurrence celle de Pierre Pucheu, le ministre de l’Intérieur de Pétain, condamné à Alger !

Tous les articles bien sûr, sont écrits anonymement. Cet anonymat obligé pose problème à pas mal d’intellectuels, et même à Mauriac. Mauriac parlera de « l’épreuve du Silence », car, comme l’a écrit Jean Guéhenno dans son journal secret des années noires, « L’homme de lettres vendrait son âme pour que son nom paraisse. »… Beaucoup trop d’écrivains ont en effet cédé à la tentation ou se sont fait des illusions. Beaucoup d’autres (et trop) ont plongé, non sans délices, dans la collaboration, comme Brasillach, Drieu et ce Paul Morand qui présent à Londres, le 18 juin 1940 gagne dès le lendemain la route de Vichy pour un autre poste de diplomate.

Pierre Favre a publié aux Ed. Régionale en 2004 :  Jacques Decour  l’oublié  des Lettres Françaises, il prépare aujourd’hui un ouvrage sur Les Lettres Française clandestine

Pierre Assouline* journaliste & écrivain : L’héritage de la littérature de la Résistance dans la littérature contemporaine : 

Vous et moi, nous avons un point commun : nous sommes nés après la guerre, nous n’avons pas connu le monde d’avant. Du moins, si nous le connaissons, c’est uniquement par procuration : par les recherches des historiens, par nos professeurs, par les derniers témoins. Or justement, cette génération là disparaîtra bientôt. Ca fait bizarre de le dire alors que nous sommes encore en train de compter les derniers poilus des tranchées de Verdun, sur les doigts d’une seule main, il est vrai. N’empêche que pour la seconde guerre mondiale déjà, l’ère des témoins va bientôt s’achever. Ils sont encore là mais déjà, il y a des individus un peu partout dans le monde pour contester et même nier ce que les acteurs de l’Histoire ont fait et ce que ses témoins ont vu. Qu’est-ce que ce sera quand ils ne seront plus là ! C’est pourquoi il faut profiter d’eux, vite, les parents et les grands-parents, les oncles et les tantes, et leur faire raconter, et les enregistrer et les filmer, avant qu’il ne soit trop tard.

C’est curieux comme, de tous les écrivains contemporains marqués par l’occupation, la plupart l’ont été davantage par les collabos que par les résistants. (et je m’inclue dans le lot). On en a encore eu la preuve éclatante il y a quelques semaines avec le succès du roman de doublement primé par l’Académie française et les Goncourt. A croire que depuis le film Le Chagrin et la pitié, les aspects les plus sombres, les plus noirs, les plus négatifs, les plus pervers de l’âme de nos compatriotes aient exercé une trouble séduction sur les esprits, bien davantage que l’héroïsme, le désintéressement, la solidarité.

   Savez-vous comment se dit » résister » en allemand ? Oui, c’est justement en allemand que je voudrais le dire, ici, aujourd’hui. Stehen. Résister c’est tenir et se tenir. Stehen dit-on en allemand et ce mot est le leitmotiv du plus grand poète de langue allemande dans la seconde partie du XXème siècle, Paul Celan, déporté dans un camp de travail quand il était encore plus jeune que vous, à casser des cailloux, un camp où il a appris l’assassinat de ses parents un peu plus loin dans l’Europe enténébrée, dans un camp d’extermination. « Oh pourvu que je tienne jusqu’à l’aube… » mais cette phrase là, cette leçon d’espoir, elle n’est pas dans un poème de Paul Celan : Alphonse Daudet l’avait placée dans les pensées secrètes de la chèvre de Monsieur .Seguin, un modèle de résistance.

Chaque fois qu’un personnage de roman se dresse et dit « non », en n’obéissant qu’à ce que lui dicte sa conscience, il y a quelque chose en lui de l’esprit de la Résistance. Même si, bien sûr, certains romans et certains auteurs y sont plus sensibles que d’autres. Personnellement, quand j’entends « non », je pense aussitôt à George Steiner qui mourra sans jamais savoir pourquoi, lorsqu’après avoir passé sa journée au bureau à organiser des massacres, un commandant de camp rentrait le soir à la maison et qu’il lisait des poèmes de Kleist à ses enfants puis écoutait des lieder de Schubert avec sa femme, pourquoi la poésie n’a pas dit « non », pourquoi la musique n’a pas dit « non…

Quelques exemples.

     Patrick Modiano bien sûr de La Place de l’étoile (1968) à Un pedigree l’an dernier en passant par Livret de famille, Remise de peine, l’inoubliable Dora Bruder et d’autres encore. L’Occupation irradie tous ses romans, elle les nimbe de brouillard, d’indécision et d’intranquillité. Ses narrateurs enquêtent en permanence sur des disparitions. Encore que les résistants y apparaissent surtout en clair-obscur. Tout y baigne dans les eaux troubles de la nostalgie, du poids du passé supporté comme une fatalité,

Lydie Salvayre avec La compagnie des spectres en 1998, ou comment une mère transmet à sa fille sa colère, son indignation et la part de folie qui va avec. Pas sa mémoire mais sa révolte. Choquée par la lecture dans l’Express de l’interwview de Darquier de Pellepoix, ancien commissaire aux question juives non repenti, la mère se met à délirer quand un huissier de justice se présente chez elle pour un inventaire avant saisie, convaincue qu’il s’agit d’un milicien et que son traumatisme de l’Occupation resurgit. Tout le roman tourne autour de cette question : que transmet- on de notre fardeau à nos enfants ? Là , ce ne sont pas les livres d’histoire qui transmettent mais le roman familial. Or que faire quand un parent vous accable de ce qu’il a vécu ? L’auteur suscita de nombreuses réactions dont celle-ci dans une lettre de lecteur : « Madame, je vous reproche d’avoir fait d’un huissier un vichyste … alors que la monstruosité ordinaire des huissiers se suffit à elle-même. »

Notre dame des ombres de François Thibaux dans lequel le spectre du massacre de maquisards fusillés à l’été 1944 par des miliciens explose près de vingt ans après dans le sud du Massif central. A noter que ce roman a reçu le prix Paul Léautaud,1997, ce qui ne manque pas de sel quand on se souvient des sentiments pas franchement résistants de l’écrivain pendant la guerre.

1941 de Marc Lambron sur l’atmosphère de carnaval tragique qui régnait à Vichy, un de ces endroits où à force de soupçonner tout le monde on ne surveille plus personne. Son héros le diplomate Pierre Bordeaux, attaché au cabinet du Maréchal, est en réalité un homme de l’ombre et un homme de Londres.

Dans La Maison rose, Pierre Bergougnioux fait le lien entre le récit de la mort d’un grand oncle en 1914 et celui des actes de résistance du narrateur comme s’il y avait bien une passerelle entre les deux sans que cela tourne pour autant à la germanophobie.

Dans La Ligne, le même Bergougnioux met en scène un ancien maquisard qui avait été laissé pour mort et qui revient à la vie

Didier Daenninckx avec La mort n’oublie personne  dans laquelle une parodie de justice fait d’un authentique résistant déporté un assassin

Parfois, ce n’est pas une question de sujet ou de personnages inspirés par la résistance mais bien une question d’imprégnation. Alors l’esprit de la résistance y est diffus mais réel

C’est le cas de Jérôme Garcin dont tous les livres sont animés du souffle de l’essai qu’il consacra à Jean Prévost, romancier, poète, auteur d’essais remarqués sur Baudelaire ou Stendhal mort à 43 ans en août 1944 à la tête d’une compagnie de FFI dans le maquis du Vercors

C’est le cas également d’Angelo Rinaldi de l’Académie française. L’ exemple de son père Pierre-François Rinaldi, membre actif du réseau Combat en Corse, n’a jamais déserté son esprit. Tout ce qu’il fait est dicté par ça. . Longtemps après la guerre, alors qu’il était critique littéraire à L’Express, Angelo Rinaldi a pris l’initiative d’une pétition nationale le jour où il a appris que le milicien Paul Touvier était acquitté. Cette pétition fit tant de bruit qu’elle poussa la cour a cassé le jugement. Grâce à la réaction épidermique, irréfléchie, instinctive du fils d’un résistant qui n’a jamais oublié la leçon de son père. Dans son dernier roman paru cette année Ou finira le fleuve, Angelo Rinaldi trace d’ailleurs un beau portrait de veille paysanne, une certaine Françoise, une innocente qui manie le pistolet et qui ne se pose pas de problème métaphysique quand il s’agit de dire non à Pétain. Pour elle, la question ne se pose même pas car elle résiste comme elle respire.

Signe des temps, les Justes, ces Français comme les autres dotés d’un courage hors du commun et d’une discrétion admirable, ces gens qui ont caché et sauvé des Juifs pendant la guerre au péril de leur propre vie, ces Justes donc vont être de plus en plus souvent honorés.  Peut-être inspireront ils davantage les romanciers, de même que les résistants. Il serait peut-être temps que la littérature cesse de donner ses lettres de noblesse à la trahison. Nous avions des héros sous les yeux et nous sommes allés chercher des anti-héros ! C’est peut-être que la littérature est plus attirée par l’ambiguïté, le clair-obscur, les incertitudes, que par ce qui est clair, net et franc. Peut-être aussi que sa vraie vocation est de creuser le Mal en l’homme, sa part d’ombre, obscure, noire, plutôt que le Bien tellement moins spectaculaire et attrayant

A dire vrai quand on m’a demandé de traiter ce matin ce sujet « l’héritage de la résistance chez les écrivains contemporains » cela m’a paru facile. Mais quand je me suis penché réellement dessus, je me suis rendu compte qu’en fait, la génération des écrivains née après la guerre n’avait pas osé y toucher. Les quelques noms et titres que je viens de citer ne doivent pas faire illusion : ils sont l’exception et non la règle. Ce n’est rien ou presque. La Résistance est à peu près absente de la fiction française lorsqu’elle est écrite par ceux qui n’ont pas connu la guerre. Pourtant, elles pourraient en inspirer des romans vrais, les vies exemplaires de Honoré d’Estienne d’Orves, Jacques Bingen, Pierre Brossollette, de l’historien Marc Bloch et du philosophe Jean Cavaillès. Des biographes, ils en ont déjà. Il leur manque des romanciers car si les historiens disent l’exactitude des choses et des événements, les romanciers, quand ils ont du génie (il y en a), touchent à la vérité profonde des êtres et donc à celle d’un pays. Leur absence dans la fiction française reflète un malaise. Mais force est de constater que la situation n’est pas la même en province où se produit de longue date un curieux phénomène : la Résistance y est bien présente dans la littérature locale, publiée et vendue sur place à 1000 exemplaires car là-bas tout le monde se connaît. Autrement dit, les collabos c’est pour les écrivains parisiens ; il est vrai que si les collaborateurs étaient à Vichy, les collaborationnistes étaient à Paris…

J’ai voulu comprendre cette absence, j’ai posé la question autour de moi à des écrivains, des historiens, des éditeurs. Et j’ai compris que malgré tout, on hésitait à s’emparer de ce passé encore tabou dans les familles. Non parce que ce passé pue comme c’est le cas parfois quand on touche aux collaborateurs, mais parce que ce passé est encore sanctifié comme tout ce qui relève de l’héroïsme et donc du sacré. Cela durera tant que ne sera pas totalement achevée l’ère des témoins. Après, ce sera plus facile, quand ca ne fera plus mal à personne et qu’il n’y aura plus de contentieux.

    Aujourd’hui, les écrivains de ma génération, ceux qui sont âgés d’une cinquantaine d’années, et qui veulent prendre la guerre comme sujet, thème, paysage, matrice, personnage de leur roman, c’est vers la première guerre mondiale qu’ils se tournent : Jean Rouaud avec les champs d’honneur, Marc Dugain avec La Chambre des officiers, Philippe Claudel avec Les âmes grises et d’autres encore. Pour la guerre des résistants, le décalage et la décantation ne sont pas jugés encore suffisants. Ca viendra mais ce sera à vous qui êtes assis là, à vous de vous en charger, du moins ceux d’entre vous qui se sentent une vocation d’écrivain et un feu sacré de romancier. Ce sera à vous de relever le défi.

   N’oubliez pas cette matinée à l’assemblée nationale. Et quand vous écrirez, n’oubliez jamais celles qui ont donné ses lettres de noblesse à l’idée de résistance, n’oubliez jamais ceux qui ont fait du mot « Résistance » l’un des plus beaux de la langue française, ne laissez pas cette idée et ce mot s’abîmer.

*Pierre Assouline a écrit sur cette période de nombreux ouvrages entre autres : L’épuration des intellectuels, Gaston Gallimard, Cartier-Bresson l’œil du siècle, Jean Jardin l’éminence grise, Lutétia…etc.

 

Stéphane Hessel*,  Résistant – Déporté et passionné le poésie :

Je suis heureux de saluer la présence dans cette salle de tellement de jeunes que j’ai eu si souvent l’occasion de rencontrer quand ils préparaient le Concours National de la Résistance et de la Déportation et qu’ils faisaient venir de vieux résistants, plus vieux que moi ? non  c’est difficile : je suis né pendant la première guerre mondiale… c’est loin… très loin….

Tout au long de ma vie et notamment dans les périodes douloureuses où je me suis trouvé entre les mains de la Gestapo et ensuite dans plusieurs camps de concentration je n’ai eu qu’un vrai recours. Recours qui m’a toujours permis d’affronter des situations pénibles avec une certaine sérénité : c’est le recours à la poésie.

J’ai la chance de retenir par cœur les poèmes que j’aime et je les retiens par cœur dans les trois langues que je connais, qui sont le français, l’allemand et l’anglais. Je me suis donc trouvé dans des situations où réciter par cœur un long poème allemand car que j’étais dans une cellule de la Gestapo Avenue Foch, c’était une façon de dire à mes bourreaux : « vous voyez ! hein ! vous n’êtes pas toute l’Allemagne, il y a autre chose de l’Allemagne que ce que vous êtes entrain d’en faire ». Et je dirais que chaque fois que je parle de la Résistance, de mon expérience de la Résistance, j’insiste toujours sur le fait qu’il y a eu des Allemands Résistants et que le premier massacre qui a été fait par Hitler et les voyous qui l’entouraient, c’était de faire passer les Allemands intelligents, les intellectuels, les démocrates à travers les camps que nous avons ensuite connu.

Alors je vais pas vous réciter un poème en allemand, parce que je ne suis pas sûr que vous soyez malheureusement assez nombreux à connaître cette langue, j’insiste néanmoins sur l’importance pour des jeunes Français, c’est à dire pour des jeunes « Européens » de connaître au moins un ou deux autres langues que le Français, pour venir vraiment des « multi-culturels européens » qui représentent l’avenir dont nous avons besoin.

Alors maintenant je vais me retourner vers Guillaume Apollinaire mort au moment même où venait enfin l’armistice de la première guerre mondiale en novembre 1918.

Je vais vous réciter un petit « Appolinaire » pour aussi nous divertir, après tout se que l’on vous a dit sur la Résistance et sur ses drames et aussi sur l’impact qu’elle a eu aussi sur la littérature. Pour ma part, je pense qu’il y a des livres importants qui retracent l’expérience de la Résistance mais j’en soute pas suffisamment de romans, de poèmes. Les poèmes les plus beaux qui nous rappellent cette période sont ceux d’Eluard, d’Aragon et aussi cet extraordinaire poète roumain qu’est Pierre Célan.

Voici le poème que je vous propose : « La Jolie Rousse »

Me voici devant tous un homme plein de sens

Connaissant de la vie et de la mort ce qu’un vivant peut connaître

Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l’amour

Ayant su quelquefois imposer ses idées

Connaissant plusieurs langages

Ayant pas mal voyagé

Ayant fait la guerre dans l’Artillerie et l’Infanterie

Blessé à la tête trépané sous le chloroforme

Ayant perdu ses amis dans l’effroyable lutte

Je sais d’ancien et de nouveau autant qu’un homme seul pourrait des deux savoir

Et sans m’inquiéter aujourd’hui de cette guerre

Entre nous et pour nous mes amis

Je juge cette longue querelle de la tradition et de l’invention

De l’Ordre et de l’Aventure.

Vous dont la bouche est faite à l’image de celle de Dieu

Bouche qui est l’ordre même

Soyez indulgents quand vous nous comparez

A ceux qui furent la perfection de l’ordre

Nous qui quêtons partout l’aventure.

Nous ne sommes pas vos ennemis

Nous voulons vous donner de vastes et d’étranges domaines

Où le mystère en fleurs s’offre à qui veut la cueillir

Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues

Mille phantasmes impondérables

Auxquels il faut donner de la réalité

Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait

Il y a aussi le temps qu’on peut chasser ou faire revenir

Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières

De l’illimité et de l’avenir

Pitié pour nos erreurs pitiés pour nos péchés

Voici que vient l’été la saison violente

Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps

O soleil c’est le temps de la Raison ardente

Et j’attends

Pour la suivre toujours la forme noble et douce

Qu’elle prend afin que je l’aime seulement

Elle vient et m’attire ainsi qu’un fer l’aimant

Elle a l’aspect charmant

D’une adorable rousse.

Ses cheveux sont d’or, on dirait

Un bel éclair qui durerait

Ou ces flammes qui se pavanent

Dans les roses-thé qui se fanent

Mais riez, riez de moi

Hommes de partout surtout gens d’ici

Car y t a tant de choses que je n’ose cous dire

Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire

Ayez pitié de moi.

Laissez moi maintenant pour tous les jeunes qui sont ici et qui doivent avoir près de dix-sept ans, réciter « un petit Rimbaud » : « Roman »

On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans

Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des café tapageurs aux lustres éclatants !

On va sous les tilleuls verts de la promenade

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !

L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière.

Le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin

A des parfums de vigne et des parfums de bière…

Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon

D’azur sombre encadré d’une petite branche

Piquée d’une mauvaise étoile, qui se fond

Avec de doux frisson, petit et toute blanche…

Nuit de juin ! dix-sept ans !  on se laisse griser.

La sève est du champagne et vous monte à la tête…

On divague ; on se sent aux lèvres un baiser

Qui palpite, là, comme une petite tête

Le cœur fou robinsonne à travers les romans,

Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,

Passe une demoiselle aux petits airs charmants,

Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père…

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,

Tout en faisant trotter ses petites bottines,

Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…

Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.

Vous êtes amoureux. – vos sonnets la font rire.

Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.

Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire !…

Ce soir-là …, vous rentrez aux cafés éclatants,

Vous demandez des bocks ou de la limonade…

On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans

Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

 

Stéphane Hessel vient de publier aux Ed du Seuil « Ô ma mémoire- la poésie, ma nécessité ».

Conclusion du Colloque :

Pierre Sudreau Résistant – Déporté

Président de la Fondation de la résistance

Aux uns et autres je voudrais dire toute mon admiration, car j’ai eu l’honneur de participer à de nombreuses réunions sur la Résistance, mais je dois dire qu’aujourd’hui, j’ai été très impressionné par tout ce qui c’est dit et par votre attitude aux uns et aux autres.

J’ai donc la très lourde responsabilité de clôturer ce colloque.

Je vais vous demander la permission, après les remerciements d’usage auprès des organisateurs, c’est à dire à François Archambault et à tous les intervenants, je voudrais tout particulièrement saluer Stéphane Hessel, auquel je suis attaché, car nous avons failli être pendu, à peu près au même moment en juillet 1944.

Depuis nous ne nous sommes pratiquement pas quittés et si aujourd’hui j’évoque son nom c’est parce que je voudrais vous délivrer son message, un message qui nous concerne tous.

Stéphane Hessel a été un très haut fonctionnaire et organisateur des Nations Unies et ensemble, moi qui suis son élève, nous essayons aujourd’hui de faire face à l’avenir.

Il est essentiel donc de faire ce que vous faites les uns et les autres, c’est à dire d’évoquer la Résistance, un moment qui fut très dur pour notre pays et pour la vie collective en Europe et dans le monde. Ce travail de mémoire  il faut bien sûr continuer à le faire, à analyser ce que fut la Résistance et élever le débat pour faire face à l’avenir.

Ces mots je les prononce et je les adresse à tous les jeunes ici présents. Si c’est important d’évoquer le passé, tournons nous résolument vers l’avenir.

Au cours de ce colloque Monsieur Assouline à poser la question de savoir si l’homme était bon ou mauvais ?

Ma réponse si vous le permettez est la suivante: L’homme il est toujours le même. Il y a vingt mille ans il se battait avec des silex, aujourd’hui il dispose de moyens de destruction qui sont épouvantables. Notre vrai problème est donc de faire face à l’avenir avec les courants des uns et des autres, avec l’Europe et au delà avec le monde entier.

Repensant à Stéphane Hessel et à son action dans le cadre des Nations Unies, oui il faut faire en sorte que sur « notre petite planète » il n’y ait une organisation valable qui seule, pourra  faire face aux événements et aux évolutions des différents peuples.

Il faut, jeunes gens que vous vous inspireriez d’un certain nombre de réflexions qui ont été faites au cœur de la résistance pour que votre génération et les autres  puissiez travailler pour faire face à cet avenir.

Permettez-moi cet exemple qui vous démontre combien le monde a évolué : En janvier 1900, en Europe comme aux Etats-Unis beaucoup d’immeubles n’ont pas d’eau courante, pas d’électricité, pas de téléphone, pas de radio, pas de télévision le premier vol avec passager c’est seulement en 1906. Quel extraordinaire bond en avant du point de vue de la technologue ! Parallèlement l’Europe qui dominait le monde à cette époque c’est depuis martyrisée avec deux guerres. Deux guerres horribles, celle de 1914 – 1918 puis celle de 1940 – 1945 avec Hitler, le nazisme et tout ce que cela a signifié.

C’est par une réflexion approfondie de ce que fut la Résistance, réflexion que nous devons  mener entre nous, que vous devez jeune gens mener entre vous, que nous pourrons, que vous pourrez faire face à l’avenir, en évitant les erreurs  qui ont été commises dans le passé.

Transcription du colloque  Jean Novosseloff

[1] Bien qu’inachevé, ce texte sera quand même publié, sous le titre Sur la logique et la théorie de la science, en mai 1946 grâce à ses amis, Georges Canguilhem et Charles Ehresmann.

[2] Marc Bloch, L’étrange défaite, Paris, Gallimard, collection « Folio histoire », 1990.

[3] Boris Vildé, Journal et lettres de prison, 1941-1942, Paris, Allia, 1997.

[4] J’aurais pu ainsi vous parler du texte de Jean Moulin intitulé Premier combat, où il relate son refus de signer un document déshonorant l’armée française, notamment ses troupes noires. C’était le 17 juin 1940. Jean Moulin, Premier combat, Paris, Editions de minuit, collection « Documents », 1983.

[5] Dans le film de Marcel Ophuls, Le Chagrin et la pitié, Emmanuel d’Astier déclarait ainsi : « Je vais dire quelque chose de très méchant pour mes amis et pour moi ; je crois qu’on ne pouvait être résistant que quand on était inadapté. »

[6] Sur les 137 pionniers masculins, nous ne détenons aucune information pour 18 d’entre eux ; 29 n’ont pas été mobilisés en raison de leur âge et/ou de leurs charges familiales. Cf. Fabienne Federini, Ecrire ou combattre : des intellectuels prennent les armes (1942-1944), Paris, La découverte, 2006.

[7] Valentin Feldman, Journal de guerre « Imbéciles, c’est pour vous que je meurs ! » (1940-1941), Tours, Editions Farrago, 2006, p. 79.

[8] Ibid.,  p. 113.

[9]   Ibid., pp. 141-142.

[10] Ibid., p. 177.

[11] Valentin Feldman parle de « débâcle » en faisant explicitement référence à celle de 1870 qui a aussi donné lieu à une occupation prussienne du territoire français, mais qui, contrairement à 1940, a entraîné, à la suite de la Commune de Paris, la naissance de la Troisième République. Ibid., p. 151.

[12] Ibid., p. 180.

[13] Ibid., p. 317.

[14] Il y a dans le Journal de guerre de Valentin Feldman de très intéressantes réflexions sur l’engagement historique de l’homme en général et de l’intellectuel en particulier, rejoignant ce que Jean-Paul Sartre dira après la guerre à propos de l’historicité des écrivains, c’est-à-dire le fait que ces derniers sont, parfois bien malgré eux, embarqués dans l’histoire. Cf. Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, collection « Folio essais », 1990.

[15] Valentin Feldman, Journal de guerre, op. cit.,  p. 288 et p. 321.

[16] Une minorité adopta la même attitude que René Char. Il s’agit notamment de Jean Cassou, Blaise Cendrars, André Chamson, Jean Guéhenno, André Malraux, Pierre Reverdy et Roger Martin du Gard.

[17] René Char, Recherche de la base et du sommet, suivi de Pauvreté et privilège, Paris, Gallimard, collection « Espoir », 1955, pp. 17-18.

[18] René Char, Fureur et mystère, Paris, Gallimard, collection « Poésie », 1967, p. 104.

[19] René Char, Recherche de la base et du sommet, op. cit, p. 20.

[20] René Char, Fureur et mystère, op. cit, p. 122.

[21] Ibid., p. 130.

[22] Ibid., p. 127.

[23] Il y a trop de points personnels communs entre Olivier et Jean Gosset (mission d’espionnage, pianiste, campagne de Dunkerque, etc.) pour que l’écrivain de la nouvelle n’en soit pas aussi le principal narrateur.

[24] Autre indice permettant d’identifier Dorian, le fait que Jean Cavaillès pratiquait bien l’alpinisme.

[25] Jean Gosset, « Nuit blanche », Esprit, n°1, nouvelle série, décembre 1944, p. 97 et pp. 103-104.

[26] Garder sa véritable identité, exercer sa profession, avoir une façade sociale et publique commune, mener une vie ordinaire relevaient de la nécessité, car cela permettait de passer inaperçu.

[27] Jean Gosset, « Nuit blanche », nouvelle citée, p. 100.