La République Résistante

Rencontre prévu le 14/06/2003

Samedi 14 juin 2003, la Fondation de la Résistance et son association fille, M.E.R., organisaient, au Mémorial Leclerc ’ Musée Jean Moulin, un après-midi de réflexion sur le thème :  » La République résistante « , devant un nombreux public. La présence* : de Lucie et Raymond Aubrac, du général Alain de Boissieu, de Marie-José Chombart de Lauve, de Jean-François Martin, d’Hélène Viannay , et de Pierre Messmer qui depuis son bureau de l’Institut de France, répondait aux questions de François Archambault, Président de M.E.R., donnait à cet après-midi de réflexion une intensité toute particulière.

Soixante ans après la création du Conseil National de la Résistance, le 27 mai 1943, par Jean Moulin,  » les grands témoins  » de ces années, racontaient comment ils avaient perçu cet événement, qu’ils fussent, en France, en Angleterre où quelque part dans les sables du désert, et qu’elles avaient été les raisons de leur engagement.

L’engagement, de Lucie Aubrac, a été naturel,  » prof en Bretagne, je n’ai pas supporté l’arrivée des troupes nazies, des voitures blindées, qui venaient se garer dans la cour du lycée, dans un endroit qui représentait la culture ! On n’accepte pas qu’un Maréchal de France serre la main d’un voyou comme Hitler.  » Pour Alain de Boissieu, la seule voie possible, était de tenter  » l’aventure incertaine  » suivant les mots de Claude Bourdet en rallier le général de Gaulle.  » Comment ai-je appris l’appel du Général de Gaulle ? Par une brave femme belge qui s’est approchée de nous, nous raconter, qu’elle a entendu un général français dire que la France continuera la guerre (…) Certains d’entre nous, connaissaient le nom du général de Gaulle,(…) Oui nous nous sommes évadé par l’URSS, et après un long périple et nous sommes arrivés en Angleterre « . L’engagement de Marie-José Chombart de Lauwe, commence comme celui de Lucie Aubrac, en Bretagne dans les Côtes d’Armor :  » J’étais en première en juin 40 et le discours de Pétain, a semblé intolérable, aussi bien aux professeurs qu’aux élèves. La directrice passait dans les classes et je me rappelle que beaucoup pleuraient « . Jean-François Martin avait 17 ans quand il s’est engagé, en 1944, pour rejoindre la 2ème  D.B, » Nous avons fait tous les combats (…) au bout de 2 mois et demi j’avais une croix de guerre c’est donc que j’avais fait mon devoir « . Hélène Viannay, 23 ans, étudiante à la Sorbonne, d’origine Russe, de parents révolutionnaires chassés par le tsar,  » J’ai toujours entendu dire autour de moi, que la France est la terre de la Liberté. L’école communale m’avait amené à penser qu’il n’y avait aucun régime au monde plus beau que celui de la République Française. Liberté, Egalité Fraternité : pour moi c’était ma vie. Les Allemands arrivent et suppriment la Liberté, c’est le début de mon engagement « . L’histoire de Raymond Aubrac se confond est avec celle de Lucie « Je n’avais pas entendu l’appel du général de Gaulle, je n’avais pas non plus entendu le maréchal Pétain. Evadé et enfin rentré à Lyon, avec Lucie nous décidons de faire de l’opposition mais très franchement au début je n’y croyais pas trop. A Lyon un jour un garçon est arrivé Jacques Vernant, agrégé de philo en sonnant, il a crié :  » sous le pont Mirabeau « . Lucie a répondu  » coule la Seine… « . C’est ainsi que les deux complices ont commencé à échanger leur expérience du graffiti ! A ce moment, je partage leur motivation ! ». Pour Pierre Messmer, révolté par la défaite,  » par la défaillance du commandement « , la voix chevrotante du Maréchal Pétain, achève de le convaincre qu’il faut continuer à se battre,  » Le prestige du Maréchal n’a pas joué pour moi, j’ajoute que le prestige de grands chefs joue rarement sur la jeunesse…  » et avec le lieutenant Simon, il rejoindra Londres fin juillet 40, après une rocambolesque équipée. Avant d’apporter son témoignage sur le C.N.R. Raymond Aubrac, l’un des derniers témoins à avoir connu Jean Moulin, raconte avec force détails ses rencontres avec l’envoyé de de Gaulle, qu’il voit pour la première fois en janvier 42. Au fil des souvenirs qu’il égrène, il fait revivre  » le préfet de la Résistance « , et ses missions, parle du général Delestraint,  » Vidal « ,  » qui immédiatement saura conquérir notre confiance, en une séance, en présence de Jean Moulin « . Emotion, quand il évoque le tragique rendez-vous de Caluire. « Nous sommes arrivé chez le docteur Dugoujon avec beaucoup de retard, ce qui était, tout à fait inusuel dans la Résistance en général et en particulier avec Jean Moulin qui était extrêmement précis dans ces rendez-vous (…). Nous entrons dans la salle d’attente et c’est quelques minutes après que Barbie et ces sbires nous ont arrêté, Voilà la dernière rencontre avec Max, puis, je l’ai revu une dernière fois, depuis l’œilleton de ma cellule au fort Montluc, soutenu par 2 soldats allemands, il était déjà très blessé, des bandages sur tout le corps, (…) ». Evoquant la création du C.N.R. il confirme, qu’il. A contribué, à l’unité de la Résistance, à la création des comités départementaux et locaux de la Résistance, qui ont su donner l’image de la France résistante. Il ajoute  » nous n’avions pas très bien compris nous autres dans la Résistance intérieure que l’un des objectifs du C.N.R était aussi de montrer aux américains que la Résistance intérieure et la Résistance extérieure marchaient du même pas et allaient rétablir les libertés y compris les partis politiques  » Enfin futur commissaire de la République à Marseille, il affirme que le C.N.R. a permis à la France d’éviter l’A.M.G.O.T. Alain de Boissieu, ajoute  » Je vous assure que pour nous qui étions en Afrique du Nord, en Libye, en Sicile où ailleurs, quand on voyait cette A.M.G.O.T, on se disait tout de même, on va pas vivre ça en France, c’est pas possible ! « . Pour lui, grâce au C.N.R.  » les alliés ont compris qu’il y avait en France un véritable pouvoir et que de Gaulle avait gagné ! ».Et à ce moment-là ajoute-t-il  » Le général de Gaule a obtenu qu’une division française participe au débarquement de Normandie et que l’objectif de cette division soit Paris « . Marie-José Chambart de Lauwe arrêtée en mai 42 en Bretagne, a connu  » l’indicible : Buchenwald et Mauthausen « . Dans les camps les déportés avaient fait le serment qu’une fois libres ils œuvreraient pour un monde plus juste et ajoute :  » C’est donc une fois rentrés en France que nous avons découvert l’apport énorme du programme, qui était un espoir considérable « . Hélène Viannay qui dirigeait avec son mari Philippe le mouvement ainsi que le journal clandestin  » Défense de la France « , elle n’aime pas beaucoup parler du C.N.R., souvenir douloureux, incompréhension, son mouvement n’avait pas été inclus dans le C.N.R.,  » alors nous avons regardé ce que faisait le C.N.R. avec beaucoup d’intérêt mais en même temps avec un certain recul « . Pour Pierre Messmer, capitaine à la Légion, aux confins du désert ou Jean-François Martin, combattant dans la division Leclerc leur perception du C.N.R. est un peu différente, ils ne se sentent pas vraiment concernés  » on était tout simplement à la tâche, avec l’arme à la main, pour combattre et les constructions intellectuelles ou juridiques, nous les l’ignorions « , Alain de Boissieu ajoute  » Pierre Messmer à cette époque-là n’a pas vécu en France, cette transformation, je comprends ces propos car il n’était pas au courant  » Répondant à une question sur la présence des représentants des partis politiques aux C.N.R., Pour Raymond Aubrac  » ça a été en effet quelque chose d’assez difficile à avaler pour les jeunes résistants, et j’en étais « , et le général de Boissieu rapporte ce mot du général de Gaulle :  » Je préfèrerais avoir les partis politiques autour de la table, que sous la table « . Un grand merci Christine Lévisse-Touze, d’avoir animé cette table ronde et d’avoir avec  » ces grands témoins « , montré l’immense chemin parcouru, plein d’embûches et de sacrifices, au terme duquel, a pu renaître  » la République résistante  » qui n’avait pas abdiqué.

Jean Novosseloff

* Lucie Aubrac, Cofondatrice de Libération-sud – Raymond Aubrac, ancien chef de Libération-sud et ancien Commissaire de la République – Alain de Boissieu, général, Chancelier de l’Ordre de la Libération – Marie-José Chombart de Lauwe, Présidente de la Fondation pour le mémoire de la Déportation – Jean-François Martin, Président de la Fondation Maréchal Leclerc – Hélène Viannay, Cofondatrice de Défense de la France- Pierre Messmer Président de la Fondation de la France Libre.