La Brigade Alsace–Lorraine sur le front de l’Est en 1944-1945. par Madame Christine Lévisse-Touzé

Rencontre prévu le 10/12/2014

Introduction.

La résistance d’André Malraux,  à la différence de celle de ses deux frères, Roland et Claude est tardive. Claude Bourdet, adjoint d’Henri Frenay au mouvement Combat relate ainsi non sans déception, son entrevue avec l’écrivain en 1942 : Malraux : « Vous avez des Armes » Réponse de Claude Bourdet : « non », Malraux, « Vous avez de l’argent »,  Claude Bourdet « Non »,  Malraux : « Vous reviendrez quand vous aurez tout cela ». Il s’abstient faute de moyens.

Si  André Malraux est réservé à l’égard de la Résistance, ce n’est pas par mépris mais parce qu’il mesure mal l’aide qu’elle peut apporter. Il est distant notamment à l’égard des mouvements de résistance parce qu’ils se situent selon lui  dans une perspective d’occupation et non de  guerre. Il considère la Résistance comme « la vaine poussière des armées. » Il juge le rôle des maquis et l’action armée de la résistance plus importants que les actions de propagande et d’information. S’il est réservé pour s’engager, il est en revanche intransigeant à l’égard de la collaboration et ne fréquente pas les écrivains collaborateurs. Il refuse de publier sous l’occupation. Mais depuis son engagement aux côtés des Républicains espagnols, son antinazisme est intact.

Alors qu’il a consacré une grande œuvre à la guerre d’Espagne, L’Espoir, il n’a  pas écrit sur son engagement à la tête de la Brigade Alsace Lorraine. Il a rédigé de très beaux hommages concrétisés par ses discours à l’occasion des grandes célébrations à l’égard de la Résistance : Commémoration de la libération de Paris, 24 août 1958,  Inauguration du monument à la mémoire des martyrs de la Résistance, Plateau des Glières, 2 septembre 1973, Trentième anniversaire de la libération des camps de déportation, parvis de la cathédrale de Chartres, 10 mai 1975 ; son discours lors du transfert des Cendres de Jean Moulin au Panthéon le 19 décembre 1964, reste un morceau d’anthologie inégalée.

André Malraux donne un élément d’explication dans Les Antimémoires, « Puis, il y a eu la guerre, la vraie. Enfin, arrive la défaite et comme beaucoup d’autres, j’ai épousé la France. »  Plus tard, en 1958, il fait une mise au point : « Les sentiments qui me lient au général de Gaulle étaient déjà anciens, bien que le récit traditionnel de notre première rencontre soit inventé : le général n’a certainement pas dit de moi, en Alsace, la phrase que Napoléon prononça sur Goethe, car, en Alsace, le colonel Berger n’a jamais été présenté au général de Gaulle. Il m’a reçu pour la première fois au ministère de la Guerre, après mon discours au congrès du Mouvement de libération nationale ».

Dans son dernier roman, Les Noyers de l’Altenburg, écrit en 1943, il livre quelques clés. Son pseudonyme dans la Résistance, le colonel Berger ne l’emprunte-t-il pas à son héros, Vincent Berger, nom aussi communément employé en France qu’en Allemagne.

Les archives de la Brigade indépendante Alsace – Lorraine livrent peu d’informations sur Malraux, quant à la manière d’exercer son commandement, de suivre les opérations, enfin bref, à son action sur le terrain. Elles sont très utiles pour l’historique des différentes unités constituant la Brigade, les ordres de mouvements aux armées, les ordres de bataille, les re-complétements d’effectifs. Quant à l’historiographie, l’ouvrage de Léon Mercadet sur la Brigade est très utile car l’auteur a complété ses sources de recueils de témoignages auprès des survivants.

  • LA FORMATION DE LA BRIGADE ALSACE – LORRAINE

André Malraux ne crée pas la Brigade indépendante Alsace-Lorrain. Il lui donne un nom et la dote d’un chef, un commandant écrivain au nom prestigieux. Le militant se fait soldat. Il devient un écrivain combattant commandant des soldats unis dans la fraternité.

L’invasion puis l’annexion de l’Alsace par les Allemands entraînèrent de replier d’une partie de la population sur la Dordogne : près de 400 000 Alsaciens se réfugièrent dans le Périgord dans l’Agenais et les Charentes. Les services de la mairie Strasbourg s’installèrent à Périgueux tandis que l’Université prenait pied à Clermont-Ferrand.

La Brigade Indépendante Alsace Lorraine puise ses origines tant en Alsace que dans les groupements de résistants alsaciens – lorrains réfugiés en zone sud. En Alsace, la Septième Colonne, formée à l’instigation de Paul Dungler,  industriel de Thann, collecte des renseignements en Allemagne et les transmet à Vichy et  à Londres. Le réseau mettra deux ans à passer de ce stade à celui de Brigade commandée par Malraux sous l’égide de Bernard Metz étudiant en médecine, fils d’un médecin de Strasbourg et de Marcel Kubler dit Marceau. Certains, devenus scouts momentanément, profitent du pèlerinage de la Vierge au Puy – en -Velay le 15 août 1942 pour rejoindre la zone non occupée. L’enrôlement obligatoire, le 24 août 1942,  des jeunes  Alsaciens les Malgré Nous dans la Wehrmacht entraînent une hémorragie de jeunes Alsaciens en zone sud.

En zone « nono » où se sont regroupés de nombreux Alsaciens – Lorrains, des tentatives d’organisation en 1941 sont menées dans les régions de Clermont-Ferrand et de Lyon sous l’impulsion du général Cochet et du professeur Cavaillès, enseignant jusqu’à la défaite à l’université de Strasbourg et qui a fondé avec les époux Samuel – Aubrac et Emmanuel d’Astier de la Vigerie, le mouvement Libération – sud. A partir de 1942, avec l’afflux de jeunes Alsaciens, l’abbé Bockel lui aussi Alsacien et membre de Témoignage Chrétien,  Paul Dungler et Marcel Kubler, mettent sur pied sous l’égide du colonel d’Ornant, délégué de l’Organisation de résistance de l’Armée pour l’Alsace-Lorraine, pour chaque région militaire, une structure à hiérarchie pyramidale à Clermont, Limoges, Toulouse. Bernard Metz assurait la liaison inter – régionale sous l’autorité directe du commandant Marceau. Il dispose dans chaque région militaire, d’un chef sous les ordres duquel se réunifiait une organisation pyramidale en centuries, vingtaines et sixaines. Bernard Metz crée un réseau de renseignement pour le compte du colonel Pfister adjoint de Chevance-Bertin, chef de l’ORA pour la zone sud. Cette organisation devient opérationnelle dans la soirée du 6 juin 1944. La centurie du commandant Pleiss se transforme en maquis.

A tous ces maquisards réunis au sein du groupe mobile Alsace et répartis sur les départements du Lot et de Dordogne, il était urgent de trouver un chef. Bernard Metz se rendit le 27 juillet 1944 à Urval en Dordogne. L’un de ses camarades de combat, Antoine Diesner, alias Ancel, instituteur, avait pu rencontrer par une résistante le colonel Berger dont il savait seulement que c’était un grand écrivain. A leur première rencontre, il reconnaît Malraux, qui découvre avec étonnement le groupe des Alsaciens – Lorrains en R5 dont le centre nerveux est Limoges. L’un des résistants livre ses impressions : « Nous le considérions comme un homme sur lequel on pouvait compter, une espèce de spécialiste de la guérilla. Nous ne tenions absolument pas à le mettre dans le bain trop tôt, car il risquait de se faire prendre [..] Malraux pouvait être un contact incroyable à condition qu’il reste en vie ! Pas la peine de le griller dans la clandestinité en ville. On le réservait pour les choses sérieuses, à l’approche du débarquement, des sabotages généralisés et le déclenchement de l’insurrection ».

L’arrestation du colonel Berger à Gramat le 22 juillet par les Allemands bouleverse les plans du groupe mobile d’Alsace. Bernard Metz continue d’étudier avec Ancel le regroupement de ces Alsaciens – Lorrains du Lot, de la Corrèze, de la Dordogne pour les faire participer aux combats de la libération de leur province d’origine. La reddition des forces allemandes de Brive et de Tulle accélère le mouvement.

C’est finalement le lieutenant-colonel Edouard. De son vrai nom Pierre – Elie Jacquot, 42 ans, lorrain d’origine, Saint – Cyrien, a été affecté depuis l’armistice à l’état-major du 2e groupe de division militaire. Arrêté par les Allemands le 27 novembre 1942, il s’évade et rejoint l’Organisation de Résistance de l’Armée commandée par le général Revers. Il est l’artisan de la reconstitution clandestine du 41è régiment d’infanterie en Corrèze. Il coordonne les opérations des maquis de Corrèze devient chef d’état-major de la mission inter – régionale des FFI, pour la Corrèze, la Dordogne et le Lot. Son action est déterminante dans la libération de Brives en juillet 1944.

L’objectif est alors inchangé et il est décidé de demander l’appui de la 1ère Armée par l’entremise d’André Chamson qui a été l’officier de liaison du général de Lattre de Tassigny à l’Armée d’Alsace en 1940. André Chamson, conservateur des musées nationaux a dirigé les centres de repli d’oeuvres d’art dans le Lot et a des contacts avec les maquis. Bernard Metz lui expose l’entreprise du groupe mobile d’Alsace et les difficultés pour accomplir sa mission. André Chamson sera leur « avocat » auprès de De Lattre.

L’évasion du colonel Berger de la prison de Toulouse à la faveur de la libération de la ville, modifie les perspectives. Fin août, Bernard Metz, le colonel Jacquot, le commandant Pleiss se rendent à Toulouse pour demander au colonel Pfister, chef de l’ORA pour la zone sud d’intercéder auprès du général Chevance-Bertin -il est son adjoint » qui assure le commandement territorial de tout le sud-ouest, pour désigner officiellement le colonel Berger. Ils ont revu Malraux qui dit à Bernard Metz « on vous a chassés de chez vous, vous voulez rentrer, mais par les mains vides. En vous battant, c’est un symbole bien sûr ». Pour les Alsaciens, la difficulté est de faire accepter Malraux par ses camarades. La tâche est difficile. Certains d’entre eux voit mal l’écrivain « rouge », le combattant de la guerre d’Espagne à la tête de la Brigade.  Pour Bernard Metz, il faut que Malraux commande l’Armée d’Alsace. Il leur apporte un nom, un poids politique et militaire. « Avec lui écrira-t-il après la guerre, notre entreprise cessait d’être une petite affaire alsacienne, dans laquelle nous nous serions complus avec la gravité et la lourdeur qui nous caractérisent parfois, et rejoignait des causes plus universelles ».

Il faut donc l’aval des autorités. Bertin confie à Malraux la mission de superviser la liquidation de la pointe de Gravac, la pacification de Bordeaux et la reprise de Royan. Pendant un temps, les Alsaciens-Lorrains songent à confier le commandement à André Chamson. Ce dernier sert d’intermédiaire pour obtenir du général de Lattre une entrevue avec Malraux qui eut lieu le 8 septembre dans la nuit. Le commandant Chamson est chargé d’assurer la liaison entre les unités alsacienne et lorraine qui sont incorporées à la Brigade, finalement intégrée à la 1ère Armée. Elle était la première grande unité de Forces Françaises de l’Intérieur incorporée à la 1ère Armée. Elle obtenait un statut particulier du fait que l’Alsace et la Lorraine n’étaient pas encore libérées. En outre, elle était prioritaire pour son équipement.

C’est à ce moment que le nom est fixé : Brigade indépendante Alsace-Lorraine. Bernard Metz ne dit mot d’une quelconque intervention du colonel Berger pour donner un nom à l’unité. Depuis l’origine, on a parlé de Septième Colonne, de Groupe mobile d’Alsace ou Groupe mobile Alsacien, puis de Brigade indépendante d’Alsace-Lorraine à partir du 21 septembre 1944.

D’aucuns ont voulu y voir une référence à la guerre d’Espagne d’où le terme Brigade par analogie aux Brigades internationales. Rien n’est sûr. Le terme est couramment employé à l’époque : à titre d’exemple, la colonne du colonel Fabien levée en banlieue parisienne est affectée à la « Brigade de Paris » avant qu’elle ne prenne le nom de « groupement tactique de Lorraine ». Il y a aussi « la Brigade du Languedoc ». Le général de Lattre relate : « Il n’y manque évidemment les représentants du dernier coin du territoire qui reste à délivrer plus cher à nos coeurs. Evacués ou expulsés de leurs provinces, ou bien obligés de les fuir pour ne pas servir dans les rangs ennemis, Alsaciens et Lorrains se regroupent, partout où ils ont dû se réfugier, pour hâter l’instant de leur retour dans la petite patrie. André Malraux devenu le colonel Berger arrive à la tête de la « Brigade indépendante d’Alsace-Lorraine » avec l’aide du colonel Jacquot, il a levé dans la région de Périgueux et de Toulouse d’autres groupements d’Alsaciens-Lorrains ; le groupement Voulgre (dont un bataillon de fonctionnaires qui veulent reprendre leur fort), le bataillon Oziol ou bataillon alsacien de la 13e région militaire. Enfin les Alsaciens de Suisse composent le groupe Georges appelé aussi Groupe mobile d’Alsace-Lorraine ou encore 1er bataillon de chasseurs à pied ».

La brigade alsacienne comprend 1 712 hommes ainsi répartis :

Bataillon « Strasbourg », originaire des maquis de Dordogne dont le commandant est Antoine Diesner dit Ancel (766 hommes) ; elle a quatre compagnies : Verdun, Valmy, Bark (ancienne centurie Bir-Hakeim augmentée du groupe Ruffel-Kinder).

Bataillon Metz commandé par Bernard Metz, issu des maquis du Gers, de Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées, Landes, Lot, Pyrénées Atlantique, Tarn-et-Garonne ; l’adjoint au commandant est Pleiss (322 hommes) ; il comprend quatre compagnies, Iéna, Kléber, Ney, Rapp. Il a été créé officiellement le 3 septembre 1944 à Montauban sous l’appellation du groupement régional des Alsaciens-Lorrains. Il fait mouvement sur Wessel le 10 septembre, la Côte d’Or le 17 septembre, la Haute-Saône le 26 septembre 1944.

Bataillon Mulhouse, constitué par les Alsaciens-Lorrains des maquis de Savoie et Haute-Savoie sous le commandement du capitaine Dopff. Il est constitué de trois compagnies : Viel-Armand, Donon, Belfort. Elle a été constituée le 8 septembre 1944 à Annecy et compte 301 homme

L’ENGAGEMENT DANS LES VOSGES ET EN ALSACE           La Brigade, par son nom et sa constitution, illustre toute l’ardeur, le courage et la pugnacité de ces Alsaciens Lorrains à libérer leur province du joug nazi. Mais sans Malraux, quel que soit leur engagement, la Brigade serait sans doute restée dans l’anonymat comme tant d’autres. Leur chef, le colonel Berger par son expérience la transcende. Malraux est alors depuis la disparition de Saint-Exupéry fin juillet 1944, le plus connu des écrivains français combattants. Certes, il y a René Char, le capitaine Alexandre chef du maquis du Vaucluse, Albert Camus, le résistant, éditorialiste du journal Combat, André Chamson également, mais qui n’a pas la même notoriété. Les reporters de guerre s’intéressent beaucoup à lui. Pour Malraux, communiquer est aussi important que combattre. Il est un des rares écrivains à commander des soldats au combat. Grâce à la Brigade, il a épousé la France, il a redécouvert la France et la cause de la France. Il est fait Compagnon de la Libération le 17 novembre 1945.Christine Levisse-Touzé.

Les symboles sont importants pour Malraux. Accompagnés des Aumôniers, et de deux commandos, ils forment une haie d’honneur devant l’entrée du couvent du Mont Saint-Odile, patronne protectrice de l’Alsace pour accueillir Mgr Ruch, évêque de Strasbourg de retour au pays. C’était aussi l’accomplissement d’une promesse faite par Bernard Metz. Sans doute, Malraux retrouvait-il l’atmosphère de son dernier roman les Noyers de l’Altenburg. « L’Arrêt du destin était désormais rendu et pourvu des sceaux nécessaires. C’est en Alsace que la France y a apposé le sien ». Dans la cathédrale de Strasbourg le 16 décembre, il assiste à la grand’messe, célébrée symboliquement par le Révérend – Père Bockel, combattant de la Brigade.

André Malraux quitte le front du 23 au 28 janvier 1945 pour assister au congrès du Mouvement de Libération nationale au cours duquel il prend quelque distance avec l’idéologie. Ne déclare-t-il pas au journaliste Roger Stéphane, l’un des artisans de la prise de l’Hôtel de Ville de Paris lors de l’insurrection parisienne, : « Je veux bien m’allier, je veux pas être cambriolé » A la tribune de la Mutualité, après avoir fait l’éloge de la Résistance, de l’action des maquis, de l’aide anglaise, il affirme son soutien à l’homme du 18 juin : « Le gouvernement du général de Gaulle est non seulement le gouvernement de la France mais le gouvernement de la Libération et de la Résistance ». Le 20 janvier, de Lattre et les Américains se ruent sur la poche de Colmar et le 9 février, les derniers camions et les derniers motards de la Wehrmacht passent le Rhin sur le pont de Chalempé. La Brigade n’a plus de raison d’être même si dissolution officielle date du 16 mars 1945. Dans les six heures d’interview de Roger Stéphane avec Malraux que Olivier Todd analyse dans ses grands traits, Stéphane note : « Ce qui me frappe [..] c’est que Malraux admire ses hommes. Il les admire même plus qu’il ne les aime. On sent qu’ils l’ont épaté ».

L’armée allemande ne desserre pas son étau sur Haguenau pour atteindre Saverne, et au nord et au sud de Strasbourg. Les Américains arrêtent finalement l’ennemi près de Haguenau, autour de Gambsheim vers Erstein, la division Garbay et la brigade Malraux se rétablissant. Après d’après discussions avec les Alliés, Strasbourg reste entre les mains des Français. Vers le 20 janvier, l’ennemi est à bout d’élan y compris dans les Ardennes.

Le 6 décembre, la Brigade est détachée par de Lattre en avant garde de la 1ère Armée française à Strasbourg d’où la 2e DB devait se retirer selon le plan d’opérations de la 7ème armée américaine. Elle participe à la défense de la capitale de l’Alsace en résistant à une forte attaque ennemie venue du sud.

Du 18 octobre au 28 novembre, la Brigade est employée au nettoyage des bois entre la Largue et L’Ill, puis la prise de Dannemarie. Entre temps, elle est passée en réserve d’armée le 27 octobre. La reprise des opérations a lieu le 28 novembre aux alentours de la Fave. La Brigade est alors ramenée au sud de la trouée de Belfort, elle pénètre dans Altkirch et marche sur Dannemarie qu’elle libère le 28 novembre (cf carte n°2). Les pertes sont de 53 morts et plus de 100 blessés. Entre-temps la brigade indépendante Alsace – Lorrraine est rattachée au combat command n°1 de la 5e division blindée du général de Vernejoul et du 23 au 27 novembre 1944, la Brigade est affectée en appui de cette division pour consolider la percée de la 1ère Armée entre la Suisse et les Vosges. Elle contrôle la route Belfort – Mulhouse. Le bilan est de 18 morts. Entre temps, le 12 novembre, 600 hommes sont affectés en renfort à la Brigade. Le même jour, Malraux quitte le front à la suite d’un drame personnel pour se précipiter à Saint-Chamant au chevet de son amie Josette Clotis décédée. Elle a eu les jambes broyées par un train à la suite d’une chute accidentelle le 11 novembre et meurt dix heures après. Il reste un temps éloigné du front pour régler ses affaires de famille à Paris, et voir Albert Camus à la rédaction de Combat. Il est absent à la visite d’inspection du général de Gaulle avec Churchill sur le front le 12 novembre 1944.

La bataille des Vosges continuait et les Allemands s’accrochaient fortement à leur position. Malraux partage la vie de ses hommes au front ; il y a une seule paillasse pour lui et le docteur Jacob, médecin-chef de la Brigade. A Bois-le-Prince, le 7 octobre au matin, Malraux et Jacquot annoncent à leurs hommes qu’on livrera bataille et qu’ils marcheront en tête de la colonne d’assaut. « Malraux grimpait d’un pas leste et régulier sans effort, son petit béret sur l’oreille. Il jetait des coups d’oeil attentifs, nous on le sentait replié en même temps dans une rêverie profonde et c’était assez troublant ». Le lieutenant Picard, témoin, raconte « Le colonel était sur son nuage rose, il était là et il s’en foutait, il se foutait visiblement de la mort. Savait-il lui même qu’il était à la guerre. Puis il s’écria La Moselle ! » Les Allemands semblaient avoir dégagé la position. Les hommes de la Brigade prennent pied au sommet au moment ou Malraux leur donne l’ordre de se mettre à terre et plonge derrière un tronc. Jacquot fut blessé à la clavicule. Les exemples sont nombreux d’engagement personnel de Malraux. Il est courageux et s’expose au feu. Répondant à la question du général de Gaulle « la mort vous savez ce que c’est ? » Malraux répond : « la Déesse du sommeil. Le trépas ne m’a jamais intéressé ; vous non plus : nous faisons partie des gens auxquels il est indifférent d’être tués. Pourtant la relation avec la mort est loin d’être clair. Quand les Allemands m’ont collé au mur de Gramat, je ne croyais pas à mon exécution. Mais à l’attaque des Hauts de la Parère, les obus de mortier arrivent, avec leur miaulement qui a de vous chercher. Nous nous couchons et je continue à raconter des blagues. Un éclat coupe en deux mon ceinturon. Quand on est couché, ça veut dire : il s’en est fallu de beaucoup, là-dessus, je me tais, pourquoi ? Peut-être parce qu’on ne parle pas à la mort ? ».

Le 24 Septembre, Touzet du Vigier décide de mettre un bataillon de la Brigade indépendante Alsace – Lorraine à la disposition du Combat Command n°1 pour une opération de nettoyage. Le 26 septembre, un groupement tactique est constitué sous les ordres de Jacquot comprenant le bataillon Verdun et les compagnies Corrèse et Iéna poussées en direction de Froideconche puis du col de la Fourche. Le 27 septembre vers 21 h, Malraux est alors avec son état-major dans une salle de classe de Froideconche. Ils sont inquiets car la brigade n’est pas prête. D’après un témoin, Malraux aurait dit « Regardez la carte : le risque est évident. Un trou, ici entre les Américains et nous. La rupture de la ligne d’attaque. Pour l’éviter, de Lattre doit élargir son front au moment précis, notez-le où il devrait se concentrer pour percer. Il a donc besoin d’infanterie, il engage ses réserves et c’est pourquoi, Messieurs, vous montez au feu ce soir ». Malraux parlait à son habitude la voix saccadée, une cigarette entre les doigts. Pour l’explication tactique, pour la manoeuvre, il laisse la parole au colonel Jacquot. Ces premiers engagements entre les 27 septembre et 3 octobre ont fait 28 tués, 60 blessés et 13 malades évacués.

Le rôle du colonel Berger est de transmettre au général Touzet du Vigier commandant la 1ere DB, les sources de renseignement. Jacquot transmet les ordres d’opérations. A tous les niveaux de son état-major, les hommes sont compétents. Il s’est entouré de militaires professionnels. Pour Malraux, la guerre est une affaire sérieuse, et ne s’est pas faire qui veut. Est-il pour autant absent de la bataille ? Non !

Il met en place son état-major : le lieutenant colonel Jacquot officier de carrière, le commandant Brandstetter (chef d’état-major), le capitaine Schwartzentruber, d’état-major), le lieutenant Metz (liaisons), le commandant André Chamson assure la liaison entre les unités alsaciennes et lorraines incorporées à la 1ere armée française et l’état-major du général de Lattre.

C’est là que les divers bataillons sont engagés dans les combats du Thillot, Bois de Prince, col de la Fourche du 26 septembre au 16 octobre 1944 comme l’indique la carte n°1.

Le 17 septembre, Malraux et son commandant en second le colonel Jacquot, les bataillons Strasbourg et Metz se fixent dans la région de Vesoul. Le 25 septembre munis d’un matériel et d’un armement encore insuffisants, ils arrivent à Dijon au QG de De Lattre. Ils doivent compléter leur encadrement et recrutent d’autres officiers : les lieutenants Holl, Jessel et Landwerli

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En complément de ce exposé notre ami Roger Lefort  délégué de MER  en Alsace et en Lorraine,  qui fit partie de cette prestigieuse brigade « Alsace-Lorraine » apporte quelques précisions quant à sa composition, ses origines,  la motivation des hommes  et rappelle avec émotion le nom de ceux qui payèrent de leur vie ces combats.  

Les origines : Dès 1941 la septième colonne de Bernard METZ organise la septième colonne d’Alsace qui se présente en  en un véritable réseau structuré dès 1942.

Les pionniers : parmi les initiateurs l’on comptera l’abbé Pierre BOCKEL, Marcel KIBLER alias MARCEAU, Paul DUNGLER,  Paul WINTER, Albert LEONARD, Jean ESCHBACH alias RIVIERE, colonel d’ORNANT  alias MARCHAL, ARMBRUSTER, Gaston LAURENT, André BORD, Louis SCHMIEDER, Mlle LEDOUX, COURTOT, André  RIEDINGER, Ernest HUBER, abbé HELD, HANSELMANN, SCHNEIDER, Antoine DIENER-ANCEL, Paul DIENER, Gustave HOUVER, MAECHLING, Charles ZEZZOS, François MARZLOFF, FOMBONNE, DILLENSEGER, STREICHER, SIGRIST,André BORD alias LENOIR, SCHNEIKERT, MANGOLD Charles alias VERNOIS, VALDAN, capitaine MOULY, le colonel Charles PLEIS, KRAFT,  Edmond FISCHER, René DOPFF, ARGENCE, le lieutenant François LEHN, le lieutenant Marcel PICARD,  le médecin-chef JACOB,l’aspirant médecin WORINGER, ROUSSELOT, Annibal Pascal MOTTI, DUBOURG, le pasteur FRANTZ, CANIOU, LEYENBERGER,  CHAMSON, le commandant BRANDSTETTER alias SCHATZI, le capitaine HABERT,  CHAMPAGNE, capitaine Marc GERSCHEL, BENNETZ, colonel Jean-Louis GANDOUIN, DIRRINGER, NOETTINGER, LINDER , ENTZ, Guillaume THIELEN , PFISTER, DOPFF, LANDWERLIN, Michel HOLL, DEUTZ, DARRAGON, LUTTRINGER, HELL, ZUNDEL,  CHAMBAUT, WALGEWITZ, HEMMERLIN, Paul de GAULEJAC. (Liste  non exhaustive).

Et enfin la prise de commandement d’André MALRAUX assisté par le Lieutenant-colonel d’active Pierre –Elie  JACQUOT.

 Les motivations et les hommes: Les évacués non rentrés en Alsace-Moselle, les expulsés, les évadés et réfractaires à l’incorporation de force dans l’armée allemande, outre le fait d’avoir rejoint en nombre les maquis des régions d’accueil, – se feraient un point d’honneur de participer les armes à la main à la reconquête de nos trois départements annexés de fait et donc de la LIBERATION.

 Les maquis : le gros des troupes fut constitué par les centuries du sud-Ouest dont 216 maquisards du seul département du Gers, un gros contingent de la Dordogne et du Lot, rejoints  par ceux de Savoie et de Haute-Savoie.

Avec les Alsaciens et lorrains qui quittèrent leur maquis d’origine de même que ceux qui s’engagèrent uniquement dans la Brigade, l’on arriva à un total de près de 1200 combattants volontaires.

A noter que nombre d’Alsaciens et de Lorrains préférèrent continuer le combat avec leur maquis d’origine, jusqu’en Allemagne.

 Les difficultés : Les contacts étaient complexes et souvent périlleux .C’est ainsi que François MARZLOFF fut arrêté ,autorisé à se marier en prison alors qu’il était père d’un enfant …puis fusillé ; que HOUVER Gaston fut arrêté et déporté suite à une dénonciation en même temps que COURTOT, HUBER, DILLENSEGER et MOULY.

 La Brigade en ordre de marche pour la campagne d’Alsace

                                         Octobre 1944

 

Commandement :   Colonel MALRAUX,

                                             Lieutenant-colonel JACQUOT

         Commandant BRANDSTETTER : Chef d’état-major :

Bataillon  « METZ »,

 originaire des maquis d’Aquitaine (Gers, Haute-Garonne,    Hautes-Pyrénées, Landes, Lot, Pyrénées-Atlantiques, Tarn et Garonne) :

Commandant PLEIS

               -Compagnie Iéna     : Capitaine ARGENCE

               -Compagnie Kléber : Capitaine LINDER

               -Compagnie Ney    : Capitaine BIJON

               -Compagnie Rapp    : Capitaine Edmond FISCHER

Bataillon « MULHOUSE »

 Originaire des maquis de Savoie et de Haute-Savoie

Commandant DOPFF

   -Compagnie Vieil-Armand : Capitaine François LEHN

   -Compagnie DONON         : Capitaine SCHUHMACHER

   -Compagnie BELFORT      : Commandant DUFAY

Bataillon « STRASBOURG »

  Originaire des maquis de Dordogne

Commandant : DIENER-ANCEL

                 -Compagnie Verdun : Capitaine FIGUERES

                 -Compagnie  Valmy : Capitaine GANDOUIN

                 -Compagnie  Bark    : Capitaine GOSSOT

(BARK signifie centurie Bir-Hakeim et groupe Ruffel-Kinder)

Les campagnes :

BOIS LE PRINCE (Vosges) du 28/09/1944 au 07/10/1944

RAMONCHAMP  (Vosges) du 13/10/1944 au 17/10/1944

SEPPOIS-DANNEMARIE   du 23/11/1944 au 28/11/1944

Défense de STRASBOURG = patrouilles  sur le Rhin du 26/12/1944 au 26/02/1945 notamment lors de l’ultime offensive allemande Nordwind. Une plaque apposée au pont de KRAFT (67) près du canal indique ; « Ici fut arrêtée le 7 janvier 1945 par la 1ère D.F.L. et la Brigade Alsace-Lorraine l’offensive ennemie sur STRASBOURG »

 Pertes humaines :

Morts au combat : GIRARDIN, BUR, BERINTZKY, DRISS, ILTISS, Paul de GALEJAC, VIGNE, capitaine Adelphe PELTRE, ROCHE, caporal BRISEBOIS, sergent-chef GERBER, HEITZ, FIGUERES, MORGENTHALER, HELL, LEYENBERGER, Albert STREIFF, Jean-Marie HAUDOTBlessés : ARGENCE, MITOU, DONDELINGER, de CHATELLE-RESIE, Edmond FISCHER,  PFEIFFER, JACQUOT, GANDOUIN, ANCEL, HABERT,  Lucien HUMBERT.

 La Libération de STRASBOURG : La Brigade Alsace-Lorraine participa au défilé de la victoire et à la grand’messe d’action de grâce célébrée par Monseigneur RUCH en la cathédrale de STRASBOURG. Tous les soldats furent invités chez l’habitant pour un repas festif.

 La Brigade Alsace-Lorraine fut dissoute le  16/03/1945 alors que l’ensemble du territoire national était libéré.