Colloque du 8 juin 2015 : « 1945, La France occupe l’Allemagne »

Rencontre prévu le 08/06/2015

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Le lundi 8 Juin 2015, Mémoire et Espoirs de la Résistance à organisé dans l’Auditorium de l’Hôtel de Ville de la Mairie de Paris, un colloque autour du thème : « 1945 la France occupe l’Allemagne ».

Lors de cette rencontre, l’historienne Christine Lévisse-Touzé  s’est occupée de la mise en contexte à travers une une riche présentation sur les troupes françaises engagées dans la campagne d’Allemagne. Puis nous nous sommes ensuite concentré sur le visionnage du film de Tania Rakhmanova : « Quand la France occupait l’Allemange » (2015) (pour voir des extraits, cliquez ici.

Enfin, nous avons pu apprécier les témoignages précieux de Hans Schultz et de Marcel Jaurant-Singer. Le premier qui intervient déjà dans le film est revenus à plus forte raison sur ses souvenirs de jeune allemand témoin de la présence française en Allemagne. D’une façon assez touchante, il a également partagé avec nous quelques anecdotes concernant la vie de sa famille sous le régime de l’Allemagne Nazis. Le second témoins, Marcel Jaurant-Singer nous a parlé de son engagement dans divers services présents dans la zone française de l’Allemagne occupée et de son expérience en matière de dénazification. Nous avons ainsi conclu ce riche colloque, sur une note européenne. En se remémorant, notamment,  que les politiques de coopérations Franco-Allemande, furent initiées grâce à des volontés, autrefois Résistantes. Comment ne pas alors saluer la présence d’esprit de ces hommes, de ces femmes qui dans l’immédiateté de l’après guerre, ont su considérer l’ennemi d’hier comme un partenaire pour demain et que l’entente entre les deux nations ne serait que le pendant d’une paix durable en Europe.

Nous avons enregistré pour vous, l’intégralité de la conférence que vous pouvez écouter en cliquant ici.

Pour plus de détails encore, nous vous invitons à consulter la suite de cet article, où vous trouverez l’intervention initialement prévue à notre colloque de l’historienne Corinne de France, sous le titre : Les débuts du rapprochement franco-allemand : le poids des premières initiatives socio-culturelles.

Mais aussi, le dossier de presse sur le film de Tania Rakhamanova : « Quand la France occupait l’Allemagne » produit par Quark Productions.

Les débuts du rapprochement franco-allemand : le poids des premières initiatives socio-culturelles

 

En janvier 2003, à l’occasion du 40e anniversaire de la signature du traité de l’Elysée, le président Chirac a affirmé : « L’initiative que prirent le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer fut un acte courageux et visionnaire. Ces deux hommes d’État remarquables permirent à nos deux pays de sortir du cercle infernal des conflits, de la haine et de la soif de vengeance, en exhortant les deux peuples à prendre clairement conscience de leur communauté de destin. Dans le sillon qu’ils tracèrent, l’Allemagne et la France apprirent peu à peu à se comprendre, à travailler ensemble et à fonder une solidarité véritable. »[1]

Et pourtant …, sans nier l’importance du traité, ce rapprochement ne date pas du 22 janvier 1963, et il ne peut être considéré comme le seul fait des gouvernements. Le processus a été amorcé dès l’immédiat après-guerre, du temps même de l’occupation (sans parler des racines antérieures, dans l’entre deux guerres, mais largement balayées par la violence du conflit). Certes, dans la seconde moitié des années 1940, ce processus a été lent, difficile et n’a concerné qu’un petit nombre de Français et d’Allemands. Il ne faut pas perdre de vue que la haine de l’Autre dans les relations bilatérales a atteint son point culminant en 1945. Plus que jamais Français et Allemands se considéraient dans leur immense majorité comme des « ennemis héréditaires ». Les Allemands avaient été intoxiqués par la propagande antifrançaise de Goebbels ; côté français, c’était après Oradour ; quelques mois plus tard, on découvrait l’horreur des camps. L’Allemand fut identifié à la barbarie. La haine et le désir de revanche étaient aiguisés. Il faut toujours garder à l’esprit la réalité de la situation pour bien évaluer l’audace de ce que représentaient alors les premières initiatives de rapprochement…

Il n’y a pas eu une succession de la période d’occupation, puis d’une phase de rapprochement, mais les deux courants sont allés de pair. Je ne reviendrais pas sur l’action culturelle du Gouvernement militaire que le film a largement développée. Elle se caractérise à la fois par une action nécessairement répressive de dénazification et de démilitarisation – des structures, des objectifs, des hommes – et par une action constructive d’éducation à la démocratie, de libéralisation, d’ouverture au reste du monde après 12 années d’isolement national-socialiste. Bien sûr, elle n’a pas été exempte de conflits, notamment en ce qui concerne la réforme de l’enseignement…

Le responsable des services éducatifs et culturels français en Allemagne, le résistant Raymond Schmittlein, a compris qu’on ne pouvait pas imposer la démocratie, que c’était une contradiction dans les termes, et que pour parvenir à ses objectifs, il lui fallait jouer sur deux leviers : d’une part s’entourer dans ses services d’hommes et de femmes engagés dans le rapprochement au sein du monde associatif afin de profiter de leurs expériences (c’est le cas en particulier du recrutement de Joseph Rovan – un émigré allemand en France, jeune résistant et survivant de Dachau, cheville ouvrière de l’association Peuple et Culture – pour diriger le bureau de la culture populaire du Gouvernement militaire à Baden-Baden) ; d’autre part de s’appuyer constamment, sur des associations françaises et allemandes (reconstituées) pour organiser des rencontres et manifestations, parce qu’il fallait préparer l’après occupation…Et je voudrais ici d’examiner les premières actions de rapprochement franco-allemand sous deux angles. Quels sont les milieux qui ont porté ce rapprochement et quelles sont les principales formes qu’il a prises.

  1. 1. Quels furent les acteurs du rapprochement :

Incontestablement, les chefs d’État et de gouvernement ont un rôle fondamental dans la détermination des relations avec l’étranger. Il n’est pas besoin d’y insister. Dès son voyage en zone française, en octobre 1945, le général De Gaulle avait indiqué que les Français n’étaient pas là pour prendre, mais pour aider à reconstruire (discours de Trèves) ; Robert Schuman s’engagea dans la voie de la coopération et le plan portant son nom (mai 1950) représente un tournant historique majeur. Konrad Adenauer fut un infatigable ouvrier de l’ancrage à l’Ouest et du rapprochement bilatéral. Les étapes du rapprochement politique et diplomatique, de 1949 à 1963 sont aujourd’hui bien connues. A l’automne 1950, lors de la conclusion du premier jumelage franco-allemand, le maire de Montbéliard, le résistant Lucien Tharradin fit référence à la voie que venaient d’ouvrir Schuman et Adenauer. Inversement, de graves revers politiques, comme l’échec du projet de Communauté européenne de Défense devant le parlement français en août 1954, ne suffirent pas à « faire naufrager » le processus de rapprochement. Si l’on établit la comparaison avec l’entre-deux-guerres et la période de rapprochement entre Briand-Stresemann (1925–1929), il apparaît qu’un rapprochement politique décidé par en haut ne peut s’enraciner sur la durée, s’il ne s’accompagne d’un rapprochement entre les peuples. Cet ancrage sociétal a largement manqué dans l’entre-deux-guerres. Le rapprochement par la base est une spécificité de l’après Seconde Guerre mondiale. C’est au sein même de la société qu’il faut rechercher les facteurs profonds du rapprochement, car la réconciliation (qui est un processus plus qu’un état)  ne se « décrète » pas « par en haut ».

Dans la seconde moitié des années 1940 et au début des années 1950, les partisans du rapprochement franco-allemand ne se trouvent pas spécifiquement dans certains partis politiques – même si les milieux fédéralistes en général, en comptent un plus grand nombre. C’est pourquoi je propose non pas de sonder les partis politiques, mais d’analyser des milieux – caractérisés par des sensibilités religieuses ou bien par des expériences partagées – pour saisir des pionniers du rapprochement.

Les résistants ont été un des premiers groupes (aussi divers soit-il) duquel sont issus ceux qui ont voulu tendre la main à l’Allemagne. Cette attitude est liée aux expériences faites par plusieurs d’entre eux dans les camps de concentration, où ils firent la connaissance de démocrates allemands, eux aussi victimes de la barbarie nazie : Le Père (jésuite) Jean du Rivau fut interné en tant que résistant à partir de 1944 à Mauthausen et à Dachau ; le jeune Joseph Rovan à Dachau depuis juillet 1944 ; Lucien Tharradin combinait même trois expériences: prisonnier de guerre en Allemagne (1940), résistant (depuis 1942) puis interné au camp de Buchenwald depuis octobre 1943. Ces résistants disposaient bien évidemment de la plus grande légitimité politique pour « tendre la main » aux démocrates allemands.

L’expérience partagée de la Résistance et de la lutte antifasciste constitua aussi le terreau des relations entre Français et Est-Allemands. Que l’on pense à Franz Dahlem ou à Gerhard Leo, communistes allemands engagés dans la résistance française, qui furent parfois mis en avant par le régime de Berlin-Est –surtout à partir de la 2e moitié des années 1950 – comme personnalités médiatrices entre la France et la RDA pour utiliser « l’antifascisme » comme pont entre les deux pays. En revanche les communistes français, en raison de l’attitude initialement réticente du PCF à œuvrer au rapprochement franco-allemand, y compris avec la RDA, ont eu besoin de plus de temps pour s’engager à quelques exceptions près (comme Edgar Morin, mais qui rompt vite avec le PCF)…

Un autre milieu porteur du rapprochement a été celui des Églises et des associations confessionnelles. Mentionnons ici le rôle de l’aumônier militaire français Jean du Rivau, et celui de l’abbé Franz Stock qui a fondé le premier séminaire catholique pour prisonniers de guerre allemands à Chartres, mais aussi l’engagement de Marcel Sturm, aumônier protestant de l’Armée française. Au niveau local, les Eglises ont apporté une contribution importante et très symbolique au rapprochement. Signalons l’engagement du mouvement Pax Christi, fondé en 1945 par l’évêque de Montauban Pierre-Marie Théas, victime de la Gestapo mais apôtre du rapprochement. On peut signaler encore les rencontres bilatérales de prêtres, l’édification de « croix de la paix » (Bühl, 1952), ou d’une Église de la paix à Spire, sur initiative de l’évêque de la ville.

Les anciens prisonniers de guerre ont joué un rôle longtemps méconnu dans le processus de rapprochement bilatéral – ancien PG français en Allemagne et PG allemands en France. Leur rôle a été variable en fonction des expériences vécues : mais des contacts humains ont été tissés ; parfois des familles fondées, des liens ont parfois perduré par delà la guerre.

Par leur poids numérique et leur influence morale, les anciens combattants, représentaient un groupe social important dans leurs sociétés respectives. Après une période de rancœur et de méfiance mutuelles dans l’immédiat après-guerre, la Fédération mondiale des Anciens Combattants accepta le contact avec les organisations allemandes et des rencontres régulières eurent lieu à partir de 1954. Cette phase culmina entre 1957 et 1963 et se traduisit par l’engagement d’anciens combattants dans les jumelages. L’attitude des anciens combattants fut aussi déterminée par le contexte de la guerre froide et l’impact de la mémoire locale de la guerre.

Ainsi, en 1960, le projet de jumelage entre la ville communiste de Drancy et la commune est-allemande de Stalinstadt – devenue Eisenhüttenstadt en novembre 1961 –, provoqua-t-il un tollé national en raison du symbole que représentait Drancy. La quasi totalité des associations d’anciens combattants et de déportés réagirent avec indignation. Maurice Nilès, député maire de Drancy, persista toutefois dans son projet en reprenant l’argumentation du régime est-allemand : « Chacun sait qu’aujourd’hui en RDA, contrairement à l’Allemagne fédérale de l’Ouest, les racines du nazisme et du militarisme ont été extirpées ». Le jumelage fut conclu en 1963.

 

  1. Quelles formes prirent ce rapprochement

Elles sont variées, concrètes ou symboliques: rencontres de jeunes ou de professionnels (journalistes, historiens etc…), jumelages, actions d’entre-aides, églises de la paix et croix de la réconciliation, révision des manuels scolaires,  etc. Je voudrais m’arrêter ici sur deux formes : les rencontres de jeunes et les jumelages

 

Les rencontres

Les premières rencontres de jeunesse franco-allemandes eurent lieu dès l’été 1946, à l’initiative du Gouvernement militaire. Globalement, ces rencontres visaient à remettre la jeunesse allemande en liaison avec les grands courants mondiaux et à favoriser la démocratisation de l’Allemagne et le rapprochement avec les jeunesses étrangères. L’année 1946 est généralement considérée comme une étape expérimentale. A partir de 1948, l’objectif était de rallier les jeunes Allemands à la construction de l’Europe. Depuis 1949, un début de réciprocité s’instaura, avec des rencontres sur le sol français aussi. Je voudrais évoquer ici un événement en particulier : la grande rencontre européenne de la Loreley, sur les bords du Rhin, à l’été 1951, à laquelle participèrent 35 000 jeunes Européens. Ce fut aussi une rencontre de la Guerre froide : il s’agissait à la fois d’adhérer à l’idée européenne et de rejeter le communisme. Le responsable de la jeunesse du gouvernement militaire souligna que c’est dans ce dialogue de l’immédiat après guerre que se trouve l’origine de l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse, fondé en 1963. Les deux gouvernements avaient pleinement conscience de l’importance de la jeunesse pour construire l’avenir. C’est pourquoi lors de son voyage officiel en Allemagne, le 9 septembre 1962, de Gaulle décida d’adresser en allemand un discours à la jeunesse allemande à Ludwigsburg.

 

Les jumelages

Le 1er jumelage franco-allemand fut signé en 1950 entre Montbéliard et Ludwigsburg (près de Stuttgart), deux villes qui avaient fait partie jadis du Saint-Empire romain germanique. Il lança un mouvement extrêmement symbolique, emblèmatique de la réconciliation franco-allemande par la base. Au cours des deux ou trois premières années, on pratiqua surtout des échanges d’adultes : entre agents municipaux pour parler ensemble de questions concrètes comme la gestion municipale, d’employés du secteur de l’automobile, très présents dans les deux villes. Ce n’est que dans un 2e stade, que des échanges scolaires furent organisés. Car avant d’élargir le jumelage aux enfants, il fallait établir la confiance entre les adultes.  La difficulté de ces premiers jumelages se reflète dans le fait que, jusqu’en 1958, seuls 25 jumelages purent être conclus. Beaucoup de tentatives échouèrent alors. En 1950, le sénateur-maire Tharradin rappela : « Les plaies de l’horrible guerre ne sont pas encore effacées (…) Trop de crimes séparent les deux grands peuples. (…) On ne construit rien sur la haine, et ceux qui se montrent maintenant les plus intransigeants sont peut-être ceux qui rampaient le mieux devant les oppresseurs »[2].  C’est une allusion au fait qu’un certain nombre de ceux qui s’étaient facilement accommodés de Vichy  tentaient désormais de faire oublier leur passé par un regain de germanophobie. Malgré les difficultés, en 1963, au moment de la signature du traité de l’Elysée, on comptait déjà une centaine de jumelages entre villes françaises et ouest-allemandes et plus d’une dizaine aussi avec des villes est-allemandes, alors qu’il n’y avait pas de relations officielles entre les deux pays.

 

Conclusion

Les acteurs officiels et sociétaux ont eu pleinement conscience de leur interdépendance et de leur complémentarité, ainsi que du fait que le processus de rapprochement devait partir à la fois de la base et du sommet. Ils l’ont appris de la tentative avortée de rapprochement de l’entre-deux-guerres. Ils ont également appris que la relation franco-allemande ne pouvait pas être confinée aux élites, mais devait être le fait de tous, qu’il fallait donner une définition plus large de la culture, englobant la jeunesse et toutes les formes de culture populaire.

Si nous voulons déconstruire le mythe du « tout a commencé en 1963 dans les relations franco-allemandes », il faut cependant veiller à ne pas en reconstruire un autre. Contrairement à l’affirmation d’un ancien président de la Fondation des Associations franco-allemandes (FAFA), évoquant « la volonté de réconciliation et d’amitié exprimée dès 1945 du plus profond des deux populations, qui se reconnaissaient l’une et l’autre comme les victimes de la même folie criminelle »[3], il était impossible en 1945 de parler de « réconciliation ».  Les plus optimistes osaient entrevoir un rapprochement, et les plus audacieux y travailler, mais les sociétés avaient encore un long chemin à parcourir. Mais ce mouvement, par la base, a conforté les dirigeants politiques dans leur nouvelle politique. Alain Poher devait déclarer : « …le traité de 1963 a été, pour partie, la suite logique des premières initiatives de rapprochement tentées dans le cadre des jumelages »[4].

[1] Jacques Chirac, « Mit gebündelter Kraft. 40 Jahre Freundschaft können den Zusammenhalt und die Handlungsfähigkeit der EU stärken », in : Rheinischer Merkur, 3/15 janvier 2003.

[2] Allemagne [bulletin du Comité français d’échanges avec l’Allemagne nouvelle], n° 8, août–septembre 1950, article de Lucien Tharradin, „rencontre de maires français et allemands à Stuttgart“.

[3] Bernard Lallement, « Vous avez-dit : société civile ? », in : Documents, 54 (1999) 5, p. 96-102.

[4] Cité in: André Santini, « Les jumelages franco-allemands », in : Henri Ménudier (éd.), Le couple franco-allemand en Europe, Asnières, 1993, p. 334.

QUAND LA FRANCE OCCUPAIT L’ALLEMAGNE

Un film de Tania Rakhmanova

1945, la guerre est finie. L’Allemagne en ruines est occupée par les armées alliées.

De Gaulle a demandé que la France fasse partie des puissances d’occupation et Churchill – qui sait que les Américains partiront un jour et craint de se retrouver seul face aux Soviétiques – a accepté. Les Français ont obtenu « leur » zone, une partie de l’Allemagne plutôt rurale qui compte six millions d’habitants, et ils sont désormais confrontés à la question qui se pose à tous les Alliés : que faut-il faire de l’Allemagne vaincue?

Plusieurs milliers de fonctionnaires français chargés d’organiser l’occupation s’installent. Parmi eux, Edgar Morin, jeune résistant démobilisé qui a repris du service, chargé du service d’information. Dans le livre qu’il écrit à ce moment, « Allemagne année zéro » (Il cèdera plus tard le titre à Rossellini !) il décrit une Allemagne détruite et une population hébétée, en proie au froid et à la faim, qui a perdu tous repères. D’où naîtra la nouvelle Allemagne ?

Il faut bien sûr commencer par épurer le pays des huit millions de membres qu’a compté le parti nazi et qu’on trouve dans toutes les couches de la société. La tâche est difficile dans un pays où des centaines de milliers d’Allemands sont déplacés et où tous les documents d’archive ont disparus. Juges, maires, médecins, cadres de la société, beaucoup sont indispensables pour faire redémarrer le pays. Mais comment faire le tri entre les militants convaincus et ceux qui ont adhéré au parti par opportunisme ? Faut-il se contenter du questionnaire de cent trente et une questions – dont les réponses sont invérifiables – mis au point par les Américains ? Les Français plus pragmatiques choisiront de s’en remettre aux témoignages des résistants allemands…

Il faut aussi que les Allemands réintègrent la communauté des nations en regardant en face la barbarie nazie. L’une des premières initiatives d’Edgar Morin sera d’organiser une exposition itinérante qui montre les horreurs des camps d’extermination. Finalement, l’exposition ne s’appellera pas « crimes allemands » mais « crimes nazis »…

Mais très vite, les alliances changent. Il faut désormais faire face aux Soviétiques, et pour les Français, se préserver pour l’avenir des ambitions dominatrices de l’Allemagne. Pour de Gaulle il n’y a qu’une seule solution : insérer l’Allemagne reconstruite dans un nouvel ensemble européen.

Alors on bâcle la dénazification. Quelques procès pour l’exemple masquent le fonctionnement d’une gigantesque « machine à blanchir » qui délivre des certificats de bonne conduite à la majorité de ceux qui en font la demande. Y compris Leni Riefenstahl, cinéaste personnelle d’Hitler, qui échappe à toute peine…

Faute de moyens, les Français entreprennent de reconstruire l’Allemagne à leur façon, par l’éducation et la culture. On met en place de nouveaux livres scolaires qui remplacent ceux qui célébraient la supériorité de la race aryenne, on organise des tournées théâtrales, on ouvre à Mayence la première université de l’après-guerre, et on construit la première radio libre qui émet en allemand et en français.

Sans oublier les symboles. Lors d’un discours, de Gaulle s’adresse à un public allemand. «Bonjour Messieurs,.. », dit-il en commençant son allocution. Un Allemand présent dans la salle se souvient de l’émotion qu’il a ressentie : « A ce moment » dit-il « j’ai compris que la guerre était finie. »

***

Le film de Tania Rakhmanova, riche en archives, dont de nombreuses images personnelles inédites, raconte une période dont on parle peu, bien qu’elle ait été une étape déterminante du monde dans lequel nous vivons.

Les entretiens avec les témoins permettent de restituer l’atmosphère de cette période grise. Et le témoignage d’Edgar Morin qui n’a rien perdu de sa pertinence, éclaire le film de sa lucidité.