Colloque à l’Assemblée Nationale le 10 octobre 2011 : « L’ après déportation »

Rencontre prévu le 11/10/2011

Colloque à l’Assemblée Nationale le 10 octobre 2011 :  « L’ après déportation »

Comment les survivants des camps de la mort lente ont-ils pu se réadapter à la vie normale, entourés d’une population ne pensant elle-même qu’à revivre au sein d’un monde fermé à la psychologie Bien que rarement abordée depuis les retours de Déportation, la réadaptation fut pour les rescapés concentrationnaires une rude épreuve, épreuve bien entendu sans commune mesure avec ce qu’ils avaient vécu.

Qu’avaient-ils vécu, qu’avons nous vécu ?

Pour ma part, âgé de 15 ans en décembre 1941 j’avais été enrôlé par la lO° section parisienne du Mouvement Libération Nord. Ma vie de jeune résistant a été surtout marquée d’incidents, deux d’entre eux, suite à de violents accrochages avec la Milice, m’avaient obligé à fuir Paris pour tenter de rejoindre les Français Libres du général de Gaulle.

La première tentative tourna         court dans la zone interdite espagnole. Ramené à la frontière par les carabiniers,  je fausse compagnie aux  gendarmes français et revient à mes activités non sans avoir quelque peu modifié l’aspect de ma physionomie. Quelques mois plus tard je n’ai d’autre issue qu’une nouvelle tentative qui échoue aux abords de la frontière espagnole et s’achève le 10 janvier 1944 au secret dans une cellule de la citadelle de Perpignan.

Après trois interrogatoires musclés et un simulacre de pré-exécution, je me retrouve trois semaines plus tard au camp de Royallieu à Compiègne, d’où je pars en convoi pour la déportation le 27 avril 1944.

Quatre jours et trois nuits hallucinantes à 100 par wagons à bestiaux, debout sans pouvoir dormir, ni manger ni presque boire, déchirés par les hurlements des fous et à respirer l’odeur des morts avant de débarquer dans l’univers démentiel d’Auschwitz Birkenau. Nous y sommes tatoués d’un matricule sur l’avant-bras gauche.

J’y porte le  numéro 185.074.

Viendront ensuite les camps de Buchenwald,  Flossenbürg,  puis le Kommando de Floha en Saxe où je serais le voisin de paillasse du poète surréaliste Robert Desnos.

Le 13 avril 1945 le branle-bas de combat nous jette sur les routes de l’exode allemand. En instance de jugement pour sabotage, ce départ précipité me sauve d’une pendaison certaine. Au final, des 750 détenus au départ de cette marche de la mort de trois longues semaines, ponctuées à longueur de journées du crépitement des mitraillettes abattant les traînards en queue de colonne, nous ne sommes qu’une centaine à atteindre le ghetto de Térezine occupé dès le lendemain 9 mai par les Russes. Ce jour là un impératif de survie me fait intégrer  comme supplétif  un détachement de l’ armée soviétique  basé sur place.

Un mois plus tard, atteint par l’épidémie de typhus qui décime nos rangs, je me retrouve sans connaissance à l’hôpital militaire russe de Térezine.

 J’y serais récupéré par une mission sanitaire française et ramené à l’intérieur des lignes  américaines à l’hôpital  de Mehran.le 21 juin 1945 Rapatrié lé lendemain, les honneurs militaires  me seront rendus au   Bourget, à ma descente d’avion, en civière.  Le soir même, à l’hôpital de la Salpêtrière, mes parents passent devant mon lit sans me reconnaître : ils gardaient le souvenir vivace d’un jeune homme de 66 kilos, ils avaient sous les yeux un revenant de 36 kilos. Ma mère retenait ses larmes, incapable de parler, quant à mon père, j’entends encore sa voix triste: « C’est fini mon petit, n’y pense plus, maintenant nous sommes là. » Les médecins estimaient mes jours comptés. Ma mère s’est accrochée et m’a sauvé, venant chaque jour à l »hôpital m’apporter midi et soir de petits plats qui avaient fait les délices de mon enfance. Six mois de repos à tenter de gommer de mon esprit d’obsédantes images qui hantaient mes nuits du même cauchemar avant que sonne l’heure du retour à la vie normale. Je ressentais de plus en plus la Déportation comme une humiliation que seule pouvait effacer une carrière militaire, sorte de revanche sur moi même qui n’avait pu combattre sous l’uniforme. Mon certificat de chef de groupe dans la Résistance me permettant d’accéder à Coëtquidan en passant par l’Armée. Je m’engage en janvier 1946.  Ma carrière tournera court lorsque mon régiment, cantonné en zone d’occupation française en Allemagne sera appelé en Indochine. Le médecin major, estimant non blanchies  les séquelles de ma déportation, s’opposera à mon départ. Après quelques mois d’un repos obligé en Forêt Noire je rentre en France, réformé, en août 1947.

Que faire de ma vie ? Quelles possibilités d’avenir . Fort heureusement la France est en pleine reconstruction, j’opte pour l’Ecole Eyrolle des Travaux Publics qui permet, à partir de la deuxième année, de poursuivre ses études d’ingénieur par cours du soir et correspondance. Mes débuts dans la vie professionnelle s’enclenchent mal ! Mon premier patron un ex collaborateur  venant   d’achever  une peine  d’indignité  nationale, quant à mon dernier poste  mon diplôme obtenu, de directeur technique adjoint, un leurre pour porter le chapeau d’une faillite annoncée !

Echaudé par les entreprises des autres, en 1954 j’ai donc créé et développé la mienne co- participant entre autres de 1958 à  1962,  d’importants travaux dans le cadre du fameux plan de Constantine.

Ce qui me fera vivre le drame algérien jusqu’à son terme.

C’est aux approches de la retraite, sans doute la perspective du vide de n’avoir plus de responsabilités, que ressurgirent dans ma tête les années noires de, mon passé. Ce  passé, le mien. , celui de mes camarades, devint une .obsession qu’il me fallut l’écrire. Ainsi naquit en1985 l’idée de ma fresque historique en forme de  triptyque :

L’engrenage :      La Résistance,  D’un enfer à l’autre, :   La Déportation. Revivre après, :                              La Réinsertion, sujet qui nous rassemble ici aujourd’hui.

Depuis je me consacre à l’écriture, à mes responsabilités associatives, et à mon devoir  de          témoigner, quand cela est nécessaire c’est le cas aujourd’hui. Je viens de relater assez facilement mon parcours et ma réinsertion disons sociale, il m’est plus difficile d’aborder ma réadaptation psychologique mais je répondrais volontiers aux questions qui me seraient posées..

André Bessière

Résistant Déporté

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