« 1943 l’Année du basculement » Par Charles Louis Foulon, Christine Levisse-Touzé, J.L. Crémieux-Brilhac et Thomas Fontaine

Rencontre prévu le 18/11/2013

Compte-rendu du Colloque du 18 novembre 2013 à l’auditorium de l’’Hôtel de Ville de Paris

 

Michel Ambault, Président de l’Association Mémoire et Espoirs de la Résistance a ouvert le colloque en remerciant Madame Vieu-Charier, Adjointe au Maire de Paris, chargée de la Mémoire et du monde combattant : « … grâce à elle et à ses collaborateurs nous avons pu vous convier à l’auditorium de l’Hôtel de Ville. Je suis sensible, au nom de Mémoire et Espoirs de la Résistance, à son accueil et aux paroles très aimables qu’elle a eu pour notre association. Les mots ne sont que des mots mais certains pèsent davantage que les autres….Permettez-moi aussi d’adresser un salut à Pierre Aidenbaum, maire du III ème arrondissement, qui honore notre colloque de sa présence. ».

Puis il a rappelé les différents « basculements » tant militaires que politiques  de cette année charnière que fut : l’année 1943.

  • Basculements au plan militaire :
  • 2 février défaite des armées allemandes à Stalingrad dont le retentissement sera très important dans les pays sous le joug Nazi.
  • 13 mai capitulation des armées allemandes et italienne à Tunis.
  • 4 octobre le drapeau français flotte sur l’Hôtel de ville de Bastia. Après un mois de combat la Corse est le premier département métropolitain français libéré.
  • Basculements au plan politique :
  • 11 janvier arrivée à Londres d’un délégué Comité central du Parti communiste français : Objet de l’intervention de Charles-Louis Foulon. (Lauréat de l’Académie Française qui vient de publier aux éditions Ouest-France : Jean Moulin la passion de la République. Ce livre a reçu le prix littéraire de la Résistance – 2013).
  • 27 mai réunion du Conseil National de la Résistance présidée par Jean Moulin : A cette date la Résistance est réunie autour du général de Gaulle. Cet événement et sa genèse seront l’objet de l’intervention de Christine Levisse-Touze. (qui vient de publier avec Dominique Veillon aux éditions Tallendier : « Jean Moulin Artiste, Préfet, Résistant, » ouvrage qui révèle au travers d’une riche iconographie et d’archives privées, derrière un Préfet rigoureux un peintre, à côté de l’amoureux de la vie et de ses plaisirs, un républicain sacrifiant sa vie à sa mission).
  • 3 juin à Alger réunion du Comité Français de Libération Nationale sous la double présidence du général Giraud et du général de Gaulle………. 3 novembre réunion de l’assemblée consultative à Alger «  un petit parfum de parlementarisme bien, français ». Les différentes phases qui conduiront à ces réunions seront l’objet de l’intervention de Jean-Louis Crémieux Brilhac.(Historien de la France Libre)
  • 31 janvier amplification de la répression par l’occupant et date de la création de la Milice de Vichy. Cette amplification de la répression : objet de l’intervention de Thomas Fontaine. Docteur en Histoire, spécialiste des déportations et de la répression en France occupée).-°-°-°-°-°-°-°-Charles Rist, administrateur de multiple et prestigieux Conseils d’Admistrations, rapporte les paroles prononcées au cours d’un déjeuner le 18 février 1943 avec François de Wendel «  Si les Allemands gagent nous les avons pour au moins cinquante ans, si ce sont les Russes …eh bien cela fera quelques électeurs un peu plus à gauche !…. ». (C. Rist « Une saison gâtée »).Plus surprenant…dans une lettre non datée, mais vraisemblablement du mois d’Août de Robert Brasillac qui vient de quitter ses fonctions de Rédacteur en chef de Je Suis Partout : « Déat se moquait de ceux qui voulait mourir pour Dantzig. Faudrait-il aujourd’hui mourir, nous, pour que Dantzig reste allemand. Je réponds non » ….(Lettre de Lucien Rebatet cité par Pierre-Marie Dioudonnat Je suis Partout 1940-1944 page 366.)
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  • Quant à Drieu la Rochelle le 5 mars 1943 il écrit : « …J’ai dîné à l’ambassade. Je n’ai pas voulu refusé pour le pas avoir l’air de les lâcher dans le malheur. Mon corps seul est engagé pas mon esprit…. ».
  • Edouard Daladier, incarcéré à Bourassol depuis l’interruption du procès de Rion, dans son « Journal de captivité » écrit le 23 février 1943 après la visite de son collaborateur Jean Daridan : « …Daridan me narre sa rencontre avec Mgr Suhard et Mgr Chapoulié qui, avec toute l’onction ecclésiastique, se dégagent de Pétain. Ils se préoccupent de l’après-guerre. Ce qu’ils ont obtenu pour l’Eglise sera-t-il maintenu ?… Ne serait-ce pas même de son intérêt d’abandonner certaines faveurs trop spectaculaires. Le Vatican ne croit plus à la victoire de l’Allemagne, mais est assez préoccupé par une victoire soviétique… ».
  • Après cette introduction Michel Ambault a lu quelques citations issues de journaux intimes de quelques célébrités littéraires et politiques de l’époque qui soulignent avec « pertinence voir désenchantement ! » l’importance de cette année charnière que fut cette année 1943.

1 – Intervention de Charles-Louis Foulon.

« Ce que je pense du « pacte franco-russe » ? Ma réponse sera très simple….Il s’agit de survivre, tout le reste est littérature….nous n’avons pas les moyens de refuser le concours de Russes, quelque horreur que nous ayons pour leur régime ? C’est l’histoire de François 1er allié aux Musulmans contre Charles Quint… tout ce qui peut nous aider contre l’Allemagne est bon à prendre, même les forces militaires russes …. Tout doit être en ce moment subordonné à un seul plan : grouper contre l’Allemagne tous ceux qui lui sont opposés pour quelques raisons que ce soit. » : Ces mots d’un fils très affectionné et respectueux adressés à sa bien chère Maman le 20 décembre 1936, ce sont les mots du colonel de Gaulle. Nul doute qu’ils ne reflètent toujours sa pensée six ans plus tard.

Général condamné à mort et déchu de la nationalité française en 1940, le chef des Français Libres s’est réjoui de la rupture du pacte germano-soviétique. En février 1942, il a fait radiodiffuser son télégramme au Maréchal Staline où il salue le 24ème anniversaire de l’Armée Rouge, « un des principaux instruments de libération des peuples asservis ». A l’automne 192, il s’est senti fortifié quand l’URSS a reconnu la France Combattante comme l’ensemble des citoyens et des territoires contribuant à la libération de la France. Lorsque quelques semaines plus tard les USA ont pactisé avec l’amiral Darlan, dauphin du Maréchal Pétain, il a eu plus que jamais besoin d’apparaître comme l’incarnation de la Résistance Française toute entière. Or au moins depuis l’été 41, les communistes y combattent avec une extrême énergie et ont cessé de voir dans les Français Libres, des supplétifs de l’Angleterre capitaliste. Leur chef a assurément obtenu, de ses services, des informations sur la littérature communiste des débuts de l’occupation mais il sait que le Kominterm peut imposer des tournants utiles.

En avril 1941, une publication clandestine du PCF énonçait encore : « Être Gaulliste, c’est avoir les pieds au chaud, le ventre plein et planter des petits drapeaux marquant les points de débarquement des Anglais en France. C’est aussi pousser de jeunes gars à embarquer sur de mauvaises barques, les faire s’engager dans les rangs anglais pour se faire tuer. C’est encore pousser de pauvres folles à déchirer des affiches allemandes, de non moins pauvres gars à couper un câble électrique pour se faire fusiller après par les Allemands. C’est surtout vouloir que les peuples s’entre-tuent pour le plus grand plaisir des anglais ».

Mais à partir de l’été 1941, les militants communistes se sont lancés dans des actions armées qui, si elles ont provoqué l’assassinat de centaine d’otages, ont « fertilisé » de nouveaux dévouements. Cette tactique, discutée au sein même des groupes communistes et aux effets contrastés a été condamnée par le général de Gaulle après le drame de Châteaubriant. Sr les ondes de la BBC, il a donné consigne de ne pas tuer d’Allemands pour tenir compte de la tactique de la guerre. Après la victoire, le texte de son allocution fut modifié, sa consigne devenant « ne pas tuer OUVERTEMENT d’Allemands. Au-delà de ce qu’on peut considérer comme une quasi-validation a posteriori les choix du PC, il est certain que la France Combattante n’a pas dédaigné l’apport militaire des forces du PC. Des aides financières aux FTPF avaient été les premières marques de cette reconnaissance. Le temps vient en 1943 de s’adapter une fois encore aux circonstances. Contre Darlan, contre Giraud, contre les américains, de Gaulle joue la carte de l’unité de la Résistance. Il y est encouragé par l’arrivée à Londres de Fernand Grenier, élu communiste qui fera à la radio des plaidoyers unitaires sans équivoque. Entendons sa première intervention sur les ondes de la BBC : « Un seul combat pour une seule patrie ; voilà qui convient aux gaullistes » et Maurice Schumann parle déjà d’un « lumineux avenir de fraternité nationale ». Après le courrier des FTPF qui avait réclamé, le 23 novembre 1942, le droit de se battre « avec honneur et discipline » le temps vient pour le général de Gaulle d’écrire au comité central du PC.

Dans le projet que lui présentent tous ses collaborateurs, il va rejeter toute pointe critique ou ironique qui pourrait heurter ses interlocuteurs.

Sur les ondes de BBC, l’épouvantail bolchevique a été dénoncé comme une création de l’ennemi et de ses collaborateurs et il n’est pas jusqu’à la tragédie de Katyn dont les véritables instigateurs criminels n’ont pas été dénoncés comme ils auraient pu l’être. En dépit des fortes préventions américaines, l’intransigeance gaullienne finira par payer à la fin du premier semestre 1943. Adoucie par l’intelligence conciliatrice du général Catroux et de Jean Monnet, elle lui permettra de gagner Alger et d’y démontrer la pertinence du slogan des résistants métropolitain : Giraud c’est l’erreur qu’on excuse, de Gaulle c’est la foi qu’on salue.

Au cours de l’été 1943, Charles de Gaulle agira en politique et se félicitera que l’ambassadeur Bogomolov signifie que le CFLN représente les intérêts d’Etat de la République Française. Il n’est pas jusqu’au soutien giraudiste aux communistes corses dont il ne tira pas le meilleur profit ainsi qu’une leçon sur ce qu’il devra faire en métropole. Ce ne fut pas une coïncidence que, dans Paris la fonction préfectorale soit confié à l’ancien préfet de la Corse libérée. Traitant avec les élus communistes libérés par Giraud en février 1943 ; il n’a pas cédé à leurs exigences lors de la constitution du comité qu’il préside seul à partir de novembre 1943. Pendant ce même second semestre de 1943, ses envoyés en France occupée auront commencé à tisser l’armature d’une administration souveraine de la France libérée. .

Comme je l’ai dit déjà en 1974, pendant le colloque international du CNRS sur la Libération de la France, ces chargés de mission sont les hommes sûrs. Ils n’ont pas besoin d’instructions particulières pour ne pas se laisser impressionner par le dynamisme revendicateur de leurs interlocuteurs communistes. Jean Moulin, le Carnot de la Résistance, n’a pas été ce « sous-marin » du communisme que dénonça Henry Frenay. Monsieur X comme Francis Closon et Emile Laffon puis Claude Bouchinet-Serreulles et Jacques Bingen ont tous agi en réunificateurs des diverses mouvements de la Résistance. Ils pressentaient que tous ceux qui rejoignaient le Front National et les FTP n’adhéraient pas, de ce fait, à une idéologie bolchévique. On a su depuis que même Maurice Thorez le savait. S’il demanda à Georgette Elgey de modifier un élément de son témoignage en évoquant les sympathisants communistes qui n’auraient pas suivi le secrétariat du Parti dans une tentative de prise de pouvoir. En 1970, les mémoires de Jacques Duclos ont confirmé cette analyse. Duclos et Thorez respectaient de toute façon les intérêts prioritaires de la « patrie du socialisme ». Ce n’est d’ailleurs qu’après la conférence de Téhéran – de facto, le partage du monde en zones d’influence – que Thorez avait fait au délégué du CFLN des promesses qui furent tenues.

Le commandant-en-chef des FTPF me l’a confié, il y a eu 40 ans au printemps : « Nous n’avions qu’à laisser courir le partage était déjà fait ». La lucidité gaullienne en la matière lui permit d’énoncer, dès le mois de mai 1944, qu’il comptait avoir comme alliée permanente la chère et puissante Russie. Le mois précédent Maurice Schumann lançait avec son éloquence coutumière : « Libre à vous de croire au péril rouge comme naguère vous croyez au chemises noires. La France elle, préfère en elle-même ».

Sur le seul nom de son détendeur, le gouvernement peut tout : cette affirmation tranquille de Serreulles dans un rapport au début septembre 1944 se justifiait par le travail des gaulliste pendant toute l’année 1943 comme en 1944. Même si Claude Bourdet a pu écrire qu’il ne pensait pas que les communistes approchaient du Rubicon pour ne pas le franchir, il a reconnu qu’un esprit d’union traversait toutes les mouvances de la Résistance. Aussi est-ce probablement pour majorer son rôle personnel que, dans ses Mémoires de Guerre, Charles de Gaulle n’annexa qu’une partie du rapport Serreulles en supprimant la phrase que je viens de rappeler et en masquant le nom de son rédacteur.

En janvier 1945, le premier comité central réuni après le retour de Thorez amnistié avait reconnu les rapports de force. On y affirma que les comités de libération devaient aider ceux qui administraient sous l’autorité du GPRF. Si en 1964 le manuel d’histoire du PC a supprimé des éléments de cette déclaration, c’est un dirigeant notoire – Etienne Fajon – qui, en 1945 avait énoncé «  la question n’est pas démocratie bourgeoise ou démocratie socialiste, c’est la démocratie bourgeoise ou fascisme ». De Gaulle, mémorialiste, s’en souvenait quand il écrivit : «  dès lors qu’au lieu de la révolution, les communistes prennent pour but la prépondérance dans un régime parlementaire, la société cours moins de risque (…) Est-ce simplement par tactique politique, je n’ai pas à le démêler. Il me suffit que la France soit servie ».

Pour conclure, avant de vous rappeler les pertinentes analyses du professeur Maurice Agulhon qui reflètent la vérité historique et alimenteront nos débats, permettez-moi un saut dans l’histoire de la 4ème République. C’est au début de la guerre froide que le général de Gaulle a fait du RPF le fer de lance de l’anticommunisme. C’est à Rennes, le 27 juillet 1947, qu’il a vigoureusement dénoncé « …le risque d’un régime de servitude totalitaire au bénéfice d’une grande puissance slave et de ses satellites séparés du sol de la Patrie par à peine deux étapes du Tour de France cycliste… ». Après ces affrontements verbaux qui, côté Moscou et même au siège du PCF, déguisaient alors de Gaulle en Hitler dont Malraux devenait Goebbels, l’apaisement est venu après le laminage des députés du PCF et du RPF par le système des apparentements. En janvier 1956, Vercors a été destinataires d’une analyse distanciée remarquable sur l’engagement des communistes dans les années 40 : « Ils n’ont pas servi la France d’abord ! Que ce soit un grand malheur national, j’en suis bien d’accord avec vous. Combien la France serait en meilleur point si toute la force d’ardeur et d’action qu’ils constituent ne se dévouait qu’à la chose nationale quel que soit leur idéal social ».

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2 – Intervention de Christine Levisse-Touze.

Jean Moulin a très tôt fait le choix de la Résistance et le choix de De Gaulle

De sa révocation (2 novembre 1940) à son entrevue à Londres avec de Gaulle le 25 octobre 1941, son action illustre le chemin parcouru par un préfet en rupture de ban qui a choisi le chef de la France libre. Jean Moulin, « Mercier pour la France libre » a été reçu à Londres par de Gaulle le 24 octobre 1941 : « Ils se sont compris plus qu’ils ne se sont séduits », dira André Manuel.

En octobre 1942, à la veille du débarquement anglo-américain au Maroc et en Afrique du nord, Jean Moulin devenu Rex, a rempli les missions dont l’a chargé de Gaulle : l’union des trois grands mouvements de zone sud Combat, Libération, Franc-Tireur est en bonne voie. Il y a un accord de raison.

Rebelles l’un comme l’autre, Moulin a reconnu en de Gaulle l’autorité d’un chef de guerre et d’un homme d’Etat, il se met sous ses ordres, il n’en déviera pas. De Gaulle reconnaît en lui ce qu’ont saisi de leur côté les Anglais : « C’est la 1ère personne que je rencontre, écrit un dirigeant du SOE, qui ait non seulement qualité pour négocier au nom des trois mouvements, mais qui ait l’espèce d’autorité naturelle et l’expérience que lui confère son passé. »

De Gaulle et Moulin se sont rencontrés sur une stratégie. Ce que Moulin apporte à de Gaulle et qui est capital, c’est un plan d’action militaire : « Des dizaines et même des centaines de milliers de Français ont aspiré à rejoindre les FFL. Il serait fou et criminel de ne pas utiliser, en cas d’action de grande envergure des alliés sur le continent, ces troupes prêtes aux sacrifices les plus grands pouvant constituer demain une armée cohérente de parachutistes déjà en place. Si aucune organisation ne leur impose une discipline, on jettera dans les bras des communistes des milliers de Français qui ne demandent qu’à servir. »

Moulin se verra investi d’un mandat plus général et plus éminent, celui  de représentant du général de Gaulle et délégué du Comité national français en sone non occupée.

Outre son ralliement individuel qui n’est pas rien, c’est le premier préfet rejoignant la France libre ; il place son action à l’interface de la Résistance intérieure et de la Résistance extérieure. La mission Rex instaure une jonction durable et en quelque sorte institutionnelle entre la Résistance intérieure et le mouvement du général de Gaulle. Rex  en est bien l’artisan.

Jean Moulin fort des missions confiées par le chef de la France libre se fait haut serviteur de cet Etat clandestin provisoire. Il fait appliquer les directives de Londres. Certes il doit surmonter la méfiance des chefs de mouvements à l’égard de cette centralisation londonienne, certains même doutant du sens républicain du général de Gaulle.

La déclaration aux mouvements sera un des actes fondateurs.au printemps 1942 : la France libre devient France Combattante.

C’est l’objet de la Déclaration que de Gaulle remet à la fin d’avril 1942 à Christian Pineau, à la veille du retour de ce dernier dans la clandestinité.

Ce texte est un des plus importants de l’histoire de la France Libre : « une fois l’ennemi chassé, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous [devront élire] l’Assemblée Nationale qui décidera des destinées du pays ». De Gaulle a tenu en même temps à condamner le régime d’avant 1940 : « un régime moral, social, politique, économique, a abdiqué dans la défaite après s’être lui-même paralysé dans la licence ».

Cette déclaration dote la Résistance d’un programme commun. C’est sur cette base que Jean moulin obtient en juin 1942, le ralliement à l’autorité du général de Gaulle des principaux  mouvements de zone non occupée et du parti socialiste clandestin. Leurs journaux clandestins en publient le texte. La « Déclaration » est rendue publique à Londres le 24 juin. Le porte-parole de la France Libre Maurice Schumann en définit le sens le 24 au soir dans les termes suivants : « Voici qu’entre la France combattante du dedans et la France combattante du dehors un grand pacte vient d’être conclu : un pacte d’avenir. »

Fort de ces ralliements, de Gaulle peut se proclamer Chef de la France Combattante, une dénomination aujourd’hui oubliée, qui englobe la France Libre de l’extérieur et la Résistance intérieure.

A la veille du 14 juillet 1942, les Etats-Unis et l’Angleterre reconnaissent, en termes il est vrai très différents, l’élargissement de la France Libre en France Combattante. Le gouvernement Churchill  reconnaît de Gaulle comme le représentant « des ressortissants français, où qu’ils soient  qui s’unissent pour collaborer avec les Nations Unies dans la lutte contre l’ennemi commun », c’est-à-dire le représentant des résistants de l’Intérieur qui s’associent aux Français Libres.

L’unité matérielle et morale de la Résistance passait par la création d’une armature administrative. Jean Moulin devenu « le patron de la Résistance » met en place des outils puissants :

  • le Bureau d’Information et de Presse confié à Georges Bidault (28 avril 1942) agrégé d’histoire, éditorialiste de l’Aube, qui fonctionne comme une agence de presse clandestine.
  • Le Comité Général d’Etudes (juillet 1942) est confié à François de Menthon afin de préparer l’après libération « pour faire tourner le pays après l’effondrement du régime, organisme destiné à servir de conseil au gouvernement ».
  • La création d’un secrétariat intervient en août avec l’arrivée de Daniel Cordier détourné de sa tâche par Moulin pour le faire fonctionner urgemment du fait du développement des liaisons et de la nécessité de la rapidité. A l’automne 1942 Moulin est parvenu à faire accepter aux Mouvements le cloisonnement exigé de Londres et il a obtenu leur ralliement à la France libre. Rex est l’artisan pour la zone sud de la mutation qui s’opère vers la France combattante et la création de l’Armée secrète sous l’égide du général Delestraint. Tout s’accélère avec le débarquement anglo-américain au Maroc et en Algérie le 8 novembre 1942. Après ce débarquement la France Libre et son chef sont marginalisés car une autre France au combat apparaît avec Darlan puis avec le général Giraud, poulain des Américains. Par Le câble envoyé du 18 novembre, il fit connaître le point de vue des résistants de l’intérieur « message à gouvernement américain et britannique : « Combat, Franc-Tireur, Libération, CGT et syndicats chrétiens, parti démocrate populaire, fédération républicaine, parti radical, parti socialiste SFIO adressent leurs chaleureuses félicitations aux gouvernements américain et britanniques pour libération en AFN ; ils demandent instamment que destinée nouvelle Afrique du nord libérée soit remise au plus tôt au général de Gaulle » C’est la première fois que les signatures des trois mouvements voisinent avec celles des syndicats et des partis politiques de la IIIème RépubliqueLa position de Jean Moulin est très tranchée dans les négociations de Gaulle – Giraud début 1943 : son câble du 13 février « Tous groupes politiques et résistants me chargent féliciter général de Gaulle pour attitude ferme à Casablanca.. » Entre temps, une étape supplémentaire a été franchie avec la mise sur pied des Mouvements Unis de la Résistance – les MUR – le 26 janvier 1943.De plusieurs côtés, en France maintenant totalement occupée, mais principalement sur la recommandation de Léon Blum, du parti socialiste clandestin et de l’équipe de résistants socialistes marseillais Gaston Defferre-André Boyer, l’idée a pris corps de constituer dans la clandestinité un organe politique représentatif de l’ensemble de toutes les tendances résistantes, y compris des anciens partis politiques.Il évolue lorsqu’il se rendit compte que ces formations pourraient et devraient servir les intérêts de la France combattante.A Londres un coup de théâtre se produit dans les semaines suivantes : l’arrivée de France, le 11 janvier 1943, de Fernand Grenier, député communiste de St Denis, mandaté par le PCF pour annoncer son ralliement à la France Combattante, mais dont il apparaît presque aussitôt qu’il vise à rassembler la résistance active sous son égide.
  • Le 10 février 1943, de Gaulle, rallié à son tour à l’idée d’un Conseil de la Résistance, à son retour de la conférence d’Anfa, signe des instructions
  • Le 14 décembre, il se rallie à l’idée d’un conseil rassemblant les forces résistantes, y compris les mouvements, les centrales syndicales clandestines et les forces politiques traditionnelles, légitimées dont il sait que les gouvernements de Londres et de Washington les tiennent pour représentatives : car issues de l’élection. Ce 14 décembre, alors qu’à Alger le règne de Darlan semble devoir se pérenniser, Moulin adresse à de Gaulle un rapport appuyant le projet de création d’un Conseil de la Résistance.
  • Moulin est d’abord réservé ; il sait combien les anciens politiques de la IIIe République sont déconsidérés ; le parti radical suscite une hostilité viscérale ; de surcroît, deux partis seulement ont encore une réalité, le PCF et le Comité d’action socialiste clandestins ; la masse de l’opinion n’a pas pardonné au PCF son soutien au pacte germano-soviétique en 1939 et sa neutralité à l’égard des nazis jusqu’à juin 1942.
  • Jean Moulin a compris que la caution de la Résistance unie était le meilleur soutien de De Gaulle face à Darlan, Giraud et aux proconsuls vichystes
  • Il déploie une activité de rassemblement dans toutes les directions et celle du monde du travail : dans un télégramme   arrivé le 25 novembre il écrit « Ai profité grèves et résistance ouvrière pour négocier avec ex-CGT pour sa reconstitution clandestine sur bases solides – ouverture faite dans ce sens à Jouhaux- ai promis mensualités 200 000 ZNO et 300 000 ZO sous réserve primo de reconnaissance général de Gaulle secundo de bonne entente avec syndicats chrétiens. » Ainsi déboucheront les accords du Perreux du 17 avril 1943 : accord verbal entre Louis Saillant et Robert Bothereau d’une part et avec Henri Raynaud et André Tollet.
  • Jean Moulin en mesure les conséquences catastrophiques pour l’unité résistante et l’avenir du pays. A son instigation, les « mouvements de résistance et le parti communiste dénoncent « l’expédient temporaire » qui, sous protectorat américain maintient le régime de Vichy en Afrique du Nord, et y compris les mesures d’exclusion des Français juifs d’Algérie réduits au statut indigène.
  • Il a aussi eu un autre satisfecit plus personnel : le 17 octobre 1942, il est fait Compagnon de la libération.
  • Un satisfecit du général de Gaulle le gratifia pour son action le 22 octobre 1942 « J’ai vivement regretté votre absence pendant cette mise au point. Vous aurez à assurer la présidence d’un Comité de coordination au sein duquel seront représentés les trois principaux mouvements…. Vous continuerez comme représentant du comité national en zone occupée à prendre tous les contacts que vous jugerez opportuns…. Je tiens à vous redire que vous avez toute ma confiance et je vous adresse toutes mes amitiés. » L’arrivée de André Philip a aussi conforté le rôle de Rex : « Vous êtes et resterez le représentant du Comité National Français dans la zone non occupée….président du comité de coordination, vous avez à assurer les contacts avec les hommes politiques désireux de collaborer avec nous à la Libération. Nous avons placé, il y a quelques semaines et nous placerons sous votre autorité directe tous les agents envoyés de Londres avec des missions de contact ou de projection politique de façon à vous permettre d’assurer dans de bonnes conditions la direction de leur travail et d’éviter certaines situations délicates. »
  • La création de l’armée secrète si elle rencontre l’approbation des mouvements, est en butte à Henri Frenay qui veut la contrôler. Un chef est trouvé Le général Charles Delestraint, fidèle défenseur de De Gaulle avant-guerre pour l’emploi des chars.
  • qui font de Moulin le représentant du général de Gaulle pour les deux zones, avec monopole de l’action politique.
  • ordonnant la création d’un organe politique fédérateur de 8 membres comprenant représentants des mouvements et de 4 partis politiques et coiffant deux comités de coordination un pour la zone nord et un pour la zone sud, composés eux-mêmes de 4 membres et de 2 représentants des mouvements : un des partis politiques et un des syndicats.C’est lui qui définit les principes sur la base desquels devra se faire le rassemblement :-contre toutes les dictatures et notamment celle de Vichy, quel que soit le visage dont elle se pare. -pour de Gaulle dans le combat qu’il mène pour libérer le territoire et redonner la parole au peuple français ».Moulin invente pour ce « rassemblement » le nom de Conseil de la Résistance. Les instructions stipulent qu’il le présidera en tant que délégué du général de Gaulle et du CNR pour la France entière.De Londres, Moulin a communiqué aux mouvements les quatre principes essentiels « sur lesquels le rassemblement doit être opéré contre les Allemands, les dictatures, Vichy pour la liberté avec de Gaulle dans le combat qu’il mène pour libérer le territoire et redonner la parole au peuple français » Eviter la désunion (il a été marqué par l’échec des Républicains espagnols) est l’obsession de Moulin. Moulin le 7 mai 1943 dénonce « le danger qu’il y a à faire régler par une mission (Arquebuse-Brumaire) d’un mois ou deux des problèmes complexes demandant une longue habitude du milieu. Je suis sûr que de très bonne foi, qu’Arquebuse et Brumaire ont cru avoir définitivement réglé les questions qui se présentaient à eux ? Or il est de fait que les premières difficultés sont apparues au lendemain de leur départ ». Moulin rend compte de la réunion inaugurale du Conseil de la Résistance dans un rapport du 4 juin à André Philip, selon un plan rigoureusement fixé à l’avance.Moulin était conscient des dangers, et se savait traquer. Il a lutté jusqu’au bout lui qui aimait passionnément la France, passionnément la République et je terminerai par ce discours quelque sorte prémonitoire du 8 mai 1939 qu’il faisait à la session général d’Eure et Loire :-°-°-°-°-°-°-°-
  • « Il est des heures au service de son pays à quelques poste que ce soit … c’est tout naturellement et avec enthousiasme que les hommes de bonnes volonté trouve les forces nécessaire à l’accomplissement de leurs tâches ».
  • Auparavant le 8 mai Moulin adresse un télégramme au général de Gaulle prenant sur lui d’annoncer la création du Conseil National de la Résistance. « Conseil de la Résistance constitué…. essaie d’organiser réunion prochaine… », Avec l’affirmation d’un soutien au général de Gaulle alors que les futurs membres n’avaient pas tous donné leur approbation à la subordination de Giraud à De Gaulle. Ce tél fut publié et fut utilisé dans la crise algéroise, le 17 mai Giraud invitant de Gaulle à Alger.
  • Jean Moulin est l’architecte du Conseil de la Résistance : de sa mise en œuvre difficile continuant ainsi de servir le chef de la France libre. Il dut surmonter des difficultés multiples dues aux différends que suscite la résurgence des partis politiques et aux conséquences de la mission Brossolette-Passy mais et aussi de l’attitude du chef de Combat Henri Frenay qui traite avec les Américains par la Suisse au nom de la Résistance. Moulin met en garde de Gaulle contre ces dangers. Dans un télégramme le 7 mai il écrit : «  De quoi s’agit-il en dehors de la libération du territoire ? Il s’agit pour vous de prendre le pouvoir contre les Allemands, contre Vichy, contre Giraud et peut-être contre les Alliés ».
  • C’est le cœur de son différend avec Pierre Brossolette Brumaire, puis Passy hostile au retour des partis politiques. Ainsi qu’on l’a dit, Jean Moulin partageait ce point de vue : il a évolué dès lors qu’il s’est rendu compte que ces formations syndicales et politiques devaient servir les intérêts du chef de la France combattante. Brossolette est parvenu à des résultats : liaisons entre mouvements de zone nord, installation de nouveaux réseaux de renseignements, création des centrales de transmissions et d’un état-major de l’armée secrète. Brossolette n’a cependant pas respecté les ordres londoniens :
  • Deux jours plus tard, le Comité national adressait au général Giraud un mémorandum définissant les bases sur lesquelles devait se faire l’union des Forces Françaises Libres et des Forces du général Giraud : dénonciation de l’armistice, rétablissement de la légalité républicaine, exclusion des proconsuls collaborateurs et constitution d’un vrai gouvernement de guerre à Alger unissant toutes les terres françaises hors de de France et toutes les forces toutes forces françaises pour libérer la métropole et restaurer la souveraineté nationale
  •  
  • Pour la liberté
  • « Contre les Allemands, leurs alliés et leurs complices, par tous les moyens, et particulièrement les armes à la main 
  • Séjour à Londres de Moulin et du général Delestraint Maurice Vidal (14 février-20 mars 1943), il Moulin bouscule le projet. On mesure ici son intelligence politique. Il rédige et obtient la signature de De Gaulle à de nouvelles instructions en date du 21 février qui prévoient un organisme de seize membres, c’est-à-dire donnant une large place -8 sièges- aux mouvements de résistance des deux zones- 2 sièges aux deux centrales syndicales clandestine et six membres aux anciens partis politiques.

3 – Intervention de Jean-Louis Crémieux Brilhac

L’année 1943 est pour les Alliés l’année du grand basculement militaire. Si en 1942 Ils n’avaient subi que des défaites : en 1943 ils ne connaissent que des victoires.

Sur le plan Français, à l’aube de l’année 1943 l’occupation totale par les Allemands de la France métropolitaine (en novembre 1942) a signifié l’asservissement de l’Etat Français. Jusqu’en novembre 1942 l’Etat Français est au plan international reconnu par toutes les puissances du monde libre comme par exemple les USA et le Canada…, qui avaient une représentation diplomatique à Vichy. Novembre 1942 c’est la fin de l’illusion : l’Etat Français s’effondre, comme s’effondre cette image du maréchal Pétain « bouclier protecteur » face aux Allemands. Fin 1942 c’est aussi l’extension de la répression rendu plus rigoureuse par le passage de la police française sous l’autorité allemande de fait : la France de Pétain n’est plus qu’un protectorat asservi.

Dans le même temps la France d’Alger affirme son existence. De Gaulle avait dit en 1941 : « La France libre c’était la France ». A Alger c’est un véritable pouvoir français qui s’installe avec toutes les caractéristiques qui en font un gouvernement. En septembre 1943 il est reconnu par 37 nations.

Le 30 mai 1943 de Gaulle arrive à Alger pour consolider le Comité français et imposer un gouvernement de guerre qui deviendra « La République française d’Alger ». De juin à novembre au cours de ces cinq mois on assiste d’abord à la difficile naissance du Comité Français de Libération National (C.F.L.N.) dont la première direction est bicéphale avec d’une part de Gaulle assisté de René Massigli et d’André Philip et d’autre part le général Giraud flanqué de Monnet assisté du général Georges.

La « querelle des généraux » sera au cours de ces cinq mois très violente. Pour de Gaulle il s’agit de faire de « cette République d’Alger » un vrai gouvernement de guerre qui rejette : les armistices, qui évincent « les amiraux et généraux qui ont en novembre 1942 canonné les américains », et qui rétablit de façon systématique la légalité républicaine et enfin abolit le décret Crémieux qui faisait des 130 000 juifs algériens des indigènes.

De juin à novembre une série de crises oppose de Gaulle et Giraud que tout sépare. Crises qui sont d’une violence extrême allant de « claquements de portes » aux insultes.

A l’issue d’une première crise Le 3 juin au matin le C.F.L.N. voit le jour et s’engage à rétablir les libertés françaises et à faire appliquer les lois de la République jusqu’à ce qu’il ait pu remettre ses pouvoirs au futur gouvernement de la nation. Sept commissaires se répartissent les tâches, rejoint le lendemain par sept autres commissaires. L’équipe est compétente et la répartition aux postes principaux d’hommes comme André Philip à l’intérieur, de René Pleven aux Colonies, d’André Diethelm à l’économie assure à de Gaulle un avantage considérable.

Très vite une seconde crise surgit lorsque de Gaulle réclame la subordination du pouvoir militaire au pouvoir politique et civil. En effet, à cette date, Giraud cumule à la fois la fonction de Co-président du comité et celle de Commandant en chef des armées. Mais la tradition républicaine exige la subordination du pouvoir civil au pouvoir militaire. A nouveau la crise est violente ; de Gaulle écrit aux membres du C.F.L.N «  …qu’il refuse de s’associer plus longtemps aux travaux du Comité….et les prie de ne plus le considérer : ni membre, ni comme président… »   Fin juin un compromis est trouvé : la majorité des commissaires nationaux soutiennent de Gaulle sur ce point de doctrine fondamentale. Si Giraud garde ses deux fonctions, de Gaulle obtient la création d’un comité militaire permanent qui exercera le contrôle de la politique militaire et assurera les décisions majeures quant à l’organisation de l’armée et la conduite de la guerre. La sortie de cette seconde crise voit le rôle et la position du Chef de la France Libre conforté.

A partir de juillet 1943 de Gaulle gouverne, il s’est installé, a imposé son autorité et ses méthodes de travail qui contraste avec les improvisations antérieures pendant que Giraud est parti tout le mois de juillet aux Etats-Unis, au Canada puis à Londres.

En septembre une nouvelle et quatrième crise s’ouvre entre les deux généraux. En effet début septembre le général Giraud prend seul – sans en avertir de Gaulle –  la décision de lancer l’opération « Vésuve » de débarquement pour libérer la Corse. L’opération militaire est un succès. Mais au plan politique et local c’est une majorité de Corses, issus du Front national – Front d’inspiration communiste – qui ce sont soulevés et qui a pour effet l’élection, « à main levé » d’un grand nombre de municipalités qui passent sous son contrôle. De Gaulle n’accepte pas « ce laxisme politique pour lui intolérable ». Il demande alors l’exclusion de Giraud, dans un premier temps il ne sera pas suivi et c’est finalement le 9 novembre qu’un remaniement du CFLN consacre l’exclusion des généraux Giraud et Georges. Giraud restant commandant en chef mais avec des attributions réduites à une portion de plus en plus congrue.

Ces quelque mois qui furent d’une brutalité incroyables aboutissent à la création d’un gouvernement de guerre, d’un gouvernement d‘union nationale et représentatif sous la présidence du général de Gaulle dans lequel vont figurer :

  • Deux radicaux Henri Queuille – vétéran de la 3ème république – et Pierre Mendès-France qui était jusque-là Capitaine aviateur observateur dans les Forces Françaises Libres Aériennes.
  • Trois socialistes André Philip, Jean Pierre-Bloch, André Le Troquer
  • Un modéré Louis Jacquinot et d’excellents techniciens comme André Diethelm, Mayer et deux hommes « hors-série » qui sont le Général Catroux, l’un des premiers compagnons de Gaulle et Jean Monnet. Il n’y pas de communistes de Gaulle ayant exigé de les désigner lui-même mais les communistes ne l’ont pas accepté. Cette absence de représentants communistes faisant partit d’une « coexistence proclamée », qui ne va pas sans harcèlement ni contournement aussi bien de la part de Gaulle qui tiens à garder et laisse entendre qu’il tient les communistes à sa main et des communiste qui veulent se faire reconnaître.
  • Quatre représentants de la Résistance choisis parmi les plus anciens ralliés : Emmanuel d’Astier (Libération-Sud), Henry Frenay, François de Menthon et René Capitant tous les trois du mouvement Combat. Chacun dans leur domaine les ministres sont remarquablement efficaces. Mendès-France qui pour la première fois établit un budget pour l’année 1944 et prépare l’échange des billets « afin de faire rendre gorges aux profiteurs » et de prélever les billets qui pourront être envoyés en France pour financer la Résistance. De son côté Monnet fort de ses relations Outre Atlantique se fait nommer Commissaire délégué aux Etats Unis et obtient la confirmation d’un prêt bail et d’un plan de ravitaillement immédiat. C’est grâce au blé américain que se nourrira la population algérienne au cours de l’hiver 1943-1944. Jean Monnet négocie aussi un plan de ravitaillement pour la France libérée. C’est De Menthon, Le Troquer et Jacquinot qui assurent l’épuration en demandant la démission et la mise la retraite du général Barré …  « coupable d’avoir livré Bizerte aux Allemands … » et les amiraux Michelier, Derrien … « … coupables d’avoir canonné les américains..  » et aussi les gouverneurs et ministres très vichystes comme Boisson, Flandin, Peyrouton. Ils préparent aussi le procès Pucheu et la prochaine épuration qui doit répondre à une volonté politique très clairement défini à savoir pour les « grands coupables » : sanctions exemplaires et pour « les petits » : mansuétude. Pour de Gaulle l’épuration est une affaire d’Etat et refuse une justice populaire. Une ère nouvelle qui s’ouvre avec la mise en place d’un fonctionnement démocratique d’un Etat de droit et qui prépare son retour en France sous la présidence de Charles de Gaulle.La création à Alger d’une assemblée consultative provisoire dote ce gouvernement d’un « outil républicain ». Cette assemblée comprends une majorité de Résistants 49 sur 103 et marque la continuité de l‘assemblée française en faisant place à 20 parlementaire, de l’ancienne assemblée nationale de juin 1940, qui n’avaient pas voté la délégation de pouvoir à Pétain. S’y ajoutent 12 délégués généraux élus des pays d’Outremer libérés et 12 représentants de la Résistante extra métropolitaine. Cette assemblée des pouvoirs limités elle est consultative et provisoire, ses modalités de fonctionnement et le cérémonial sont empreints de la même celle mécanique le même de la pompe républicaine d’avant-guerre. Elle est présidée par le socialiste Félix Gouin.A côté de cette assemblée un Comité Juridique voulu par René Cassin est créé. Il exerce les fonctions qui sont aujourd’hui celle du conseil d’Etat en matière juridique : droit de regard et de mise en forme sur tous les projets gouvernementaux en termes de lois ou de décrets. Comité réalisera un gigantesque travail, il est à l’origine de 139 ordonnances et élaborera les futurs ordonnances qui seront promulgués à la libération de la France
  • C’est bien à partir de 1943 qu’à Alger « capitale provisoire » de l’Empire français : On assiste à la reconstruction de la France et à la préparation de sa libération.
  • Cette assemblée va se faire reconnaître un certain nombre d’attributions, les débats y sont ouverts éloquents souvent aussi grandiloquents et témoignent d’une France qui est et se veut républicaine : qui a rétablit ses institutions. Au cours des débats s’imposeront quelques personnalités marquantes comme Vincent Auriol, Henri Queuille….et quelques autres. Les journalistes anglais et américain sont nombreux à assister aux séances et la renaissance de la France.
  • Deux institutions symboliques se mettent en place : d’une part l’assemblée consultative et d’autre part le comité juridique de René Cassin.
  • Pour ce « gouvernement de guerre » qu’est le Comité français de la libération nationale se tâche première est le rétablissement de la légalité républicaine que symbolise, sous le signe de la continuité le premier numéro du journal officiel d’Alger qui pour en-tête : « Journal officiel de la République française, soixante-quinzième année » et daté du 10 juin 1943. La numérotation nouvelle : N°1 marque cependant lé début d’une nouvelle époque.
  • C’est donc un gouvernement de guerre qui est mis place et qui se consolide dans ce contexte à Alger : ville pauvre en services techniques, en locaux, sans infrastructure moderne où y règne de surcroit une pénurie alimentaire qui touche outre la capitale maghrébine, le pays dans son ensemble. Le gouvernement siège dans un lycée, les commissions dans les salles de classes, tandis que de gaulle prend les décisions à partir d’une villa « encombrée et lointaine ». Pourtant c’est une machinerie bien huilée, inspirée d’un état-major militaire, qui se met en place. Un Secrétariat du Gouvernement est créé et dirigé par Louis Joxe qui assiste au conseil des ministres et prépare les ordres du jour et les relevés des décisions.
  • En préparant la libération grâce la création d’une nouvelle armée. Roosevelt avait promis à Giraud de lui équiper 11 divisions dont trois blindés. En septembre 43 le matériel de 4 divisions dont 2 blindés est arrivé en Afrique du Nord. Il faut mobiliser (22 classes de Pieds noirs le seront) entraîner et équiper les femmes et hommes qui vont servir dans cette armée qui comptera 250 000 hommes. Qui se battra brillamment en Italie, débarquera en Normandie avec Leclerc et en Provence avec de Lattre de Tassigny.
  • En préparant la Libération de la France par l’aide humaine et matérielle à apporter à la Résistance intérieure et en renforçant les structures clandestines qui accueilleront les armées libératrices françaises et alliées.
  • En fin en affirmant la souveraineté nationale de la France et de son empire et en faisant valoir son droit à prendre en charge la France libérée. -°-°-°-°-°-°-°-Cette surprenante phrase de Jacques Chardonne, réputé comme écrivain souple et nuancé, qui écrit en 1943 dans Le ciel de NieflheimHeureusement pour lui le censeur Allemand le Lieutenant Heller lui fait cette remarque : « ….il ne faudrait pas ….etc. »-°-°-°-°-°-°-°-
  • Les 25 premiers exemplaires publiés par Gallimard sont détruits…..Ça arrangera bien ses affaires à la libération !!!
  • « ….les SS usent convenablement de leur pouvoir absolu et la population ne s’en plaint pas, après une certaine accoutumance… »
  • Avant l’intervention de Thomas Fontaine.
  • Dans le combat pour la souveraineté de Gaulle a pour lui l’appui des opinions publiques anglaise et américaine, malgré l’opposition de Roosevelt pour des raisons de personnalité et de doctrine. Il a aussi pour lui la majorité du cabinet britannique et surtout l’appui de Churchill et du général Eisenhower qui, Commandant en chef du débarquement a pu mesurer la capacité de Charles de Gaulle a dirigé la France.

4 – Intervention de Thomas Fontaine

La répression en 1943 connait une accélération importante. Si entre 1940 – 1942 on compte 3 000 déportations pour fait de résistance au cours de l’année 1943 12 000 résistants sont déportés. Cette accélération de la répression correspond au rôle accru de la Gestapo et de tous les services allemands liés à la répression.

Tournant aussi dans la perception qu’ont les services allemands de la lecture qu’ils font de la Résistance allant vers une criminalisation de la Résistance, c’est le début de l’axiome que fera florès dans la propagande de vichy en 1944 : « Résistance = terrorisme »

Tournant aussi suite à l’occupation totale du territoire à partie de novembre 1942 : Il n’y a plus de zone sud : la répression s’abat sur la totalité du pays.

Les fameux accords Bousquet – Oberg sont étendus à la zone sud en avril 1943 et l’invasion de la zone sud va beaucoup occuper les services de police allemands. À partir de 1943, la lutte de la police contre les résistants est complétée et surpassée par l’action de la Milice de Vichy

Par ailleurs deux grandes décisions expliquent l’accélération de la répression

1°) Par l’entrée du Reich dans la guerre totale à partir de fin 1942 ; qui ajoute une dimension essentielle dans les politiques répressive allemandes : une dimension économique. Le Reich a besoin de main d’œuvre donc le chef de la SS Himmler et les dirigeants nazis vont proposer au ministère de l’économie du Reich que les déportés des camps de concentration travaillent à la réalisation  des programmes d’économiques de guerre. Ce qui signifie qu’à partir de ce moment-là le visage du système concentrationnaire nazi est profondément modifié et des déportations sont motivés également pour des raisons économiques. On va déporter des résistants pour les faire travailler dans les commandos au service de la guerre totale.

2°) Par la progression de la Résistance en France occupée et de son soutien dans l’opinion publique. Les services de la police allemande en France avaient une perception très claire de la Résistance et de son importance en 1943. C’est la raison pour laquelle à cette date, la répression pour l’occupant devient prioritaire.

En juillet 1943 les services de police allemande écrivent : « ….80% de la population française nous oppose une inimitié ouverte ou cachée….. » décrivant une situation catastrophique expliquant « …qu’un vent de folie est tombé sur la France avec le risque une explosion de furie collective comme dans les temps de la Saint-Barthélemy et de la révolution… ». Si d’autres rapports semblent parfois moins alarmiste mettent en avant « …les réussites policières des services de répression allemande et de vichy contre la Résistance… ». D’autres encore soulignent : « …. L’inquiétude des forces armées allemandes stationnées dans la zone sud….la sécurité des biens et des personnes n’est plus sûre en zone sud » et font part de « à partir du printemps 1943 Leur méfiance grandissante vis-à-vis de la police de Vichy … mais reconnaissent son efficacité dans la lutte contre communistes …. ».

Dès le printemps 1943 la police allemande engage une lutte radicale et sans merci contre le Résistance à la fois pour répondre au besoin de main d’œuvre du Reich et pour l’éradiquer. En septembre 1942 Himmler demande que 35 000 femmes et hommes soient déportés pour aller travailler en Allemagne. Dès janvier les premiers convois massifs, dans des conditions innommables partent vers le camp de concentration de Sachsenhausen près de Berlin, d’autres convois suivront tout au long du semestre. Au second semestre 10 000 femmes et hommes arrêtés pour fait de résistance prennent la direction du camp de Buchenwald toujours dans des wagons à bestiaux et toujours dans des conditions inhumaines. Très vite ces déportés dans des conditions terribles rejoindront le camp de Dora où sont fabriquées les armes secrètes d’Hitler (les fusées V1 et V2).

L’autre arme à la disposition des polices allemandes dans la radicalisation de la répression est le transfert des résistants arrêtés devant les tribunaux de justice militaires allemands. Sont déférés devant ces cours militaires en règle général les femmes et hommes considérés  comme les plus dangereux c’est-à-dire les cadres des réseaux de renseignements, les FTP communistes et les maquisards. Au cours du premier semestre 1943 90% des Résistants jugés par ces cours de justice militaires sont condamnés à mort et exécutés. Mais très la Gestapo voit dans cette procédure judicaire beaucoup de lenteur : en un mot « du temps perdu » pour l’efficacité et la rapidité de la répression.

Elle imagine et met au point un outil plus rapide dans, le cadre de sa lutte contre la Résistance, de discrets convois de déportation composés de 2 ou 3 wagons de voyageurs, rattachés à des trains réguliers au départ de la gare de l’Est à Paris. Les déportés rejoignent ces « discrets convois » sans jugement certes ils voyagent dans de meilleures conditions – menottés et surveillés – la discrétion de ces convois évitant toute évasion. C’est dans un tel convoi qu’en août 1944 Stéphane Hessel et quelques agents britanniques arrêtés rejoindront leur camp de concentration.

La Gestapo va aussi s’intéresser à quelques personnalités civiles de la 3ème République dont elles percent l’hostilité et surveiller les anciens cadres de l’armée d’armistice dissoute en novembre 1942. Les Allemands se méfient de ces colonels et généraux « retraités forcés ». La chancellerie à Berlin et en particulier Hitler avaient été furieux d’une part de l’évasion du général Giraud et d’autre part de la fuite vers Alger via les services secrets britannique du général Georges.

Une importante réunion des services de police allemands se tient le 5 juin 1943 à Paris et élabore deux listes « Attention 1 et Attention 2 ». – (Le général de Gaulle dans ses mémoires les évoquent) – Concernant la première liste les personnalités inscrites sont à surveiller ; dans l’immédiat elles ne seront pas arrêtés ; le document émis par les Allemands précisant toutefois qu’à leur éventuelle arrestation il conviendra de prévenir les autorités de Vichy. La seconde liste vise en priorité les militaires dont une centaine seront arrêtés dès aout 1943 et déportés dans un petit convoi vers des camps spéciaux du Reich. L’une des grandes craintes de la police allemande et le passage à la dissidence de ces milieux civils et militaires qui seraient d’un apport très substantiel à la Résistance. En 1943 « les noms inscrits » sur ces deux listes » sont une préoccupation majeure qui ne va pas cesser d’occuper les services de répression Allemand.

Il est indéniable, malheureusement pour la Résistance, qu’au cours de l’année 1943 le bilan des services policiers allemands est impressionnant : à telle enseigne que l’un de ses principaux responsables, en France, Hans Kieffer est décoré de la Croix de guerre de 1ère classe. En décembre 1943 Himmler dans un rapport à Hitler écrit : « ….on compte 29 300 arrestations pour l’année 43, les trois quarts de ces arrestations ont été opérés par mes services. (….) 9 700 arrestations de résistants nationaux dont 3 500 membres de l’armée secrète, 6 800 communistes, dont plus de la moitié arrêté par la police française de Vichy (….)près de 12 800 pour des activités dites hostile au Reich… »

Face à la progression de la Résistance en France la police allemande ne cachait pas les risques à terme d’un véritable second front installé en France occupée. Elle estimait à environ 10 000 le nombre de réfractaires au STO susceptibles les armes dans les différents maquis de Savoie, de l’Isère,  du Jura et de Corrèze.

Dans les grandes lignes le bilan de l’année 1943 se traduit par :

  • L’arrestation en juin du général Delestraint à Paris et les arrestations à Caluire de Jean Moulin, Aubrac,…etc.
  • Les arrestations dans l’armée des généraux Frère, Verneau…etc.
  • Les arrestations dans le réseau Alliance très lié aux services britanniques….le Cdt Faye à l’automne 43, dans les réseaux de la France libre,….l’anéantissement en zone Nord du réseau Cohors qui transmettait à Londres des informations sur les armes secrètes allemandes…Jean Cavaillès en août 1943…..la chute des réseaux du SOE…comme le réseau Prosper….décapité en juillet 43.
  • Les hécatombes terribles que subissent au cours de l’année les groupes FTP Moï et communistes dans les grandes métropoles et en province – (groupe Manouchian).Le succès indéniable de cette répression à la fois sauvage dans les actes mais réfléchie est dû à une structuration souvent faible de la Résistance et aussi à cause des défauts dans les procédures sécuritaires – défauts souvent pointés par le BCRA.  -°-°-°-°-°-°-°-
  • « L’union de toutes les organisations de la Résistance exigée par de Gaulle et portée par certains dirigeants de la Résistance a belle et bien abouti. »
  • En final si cette répression a été efficace 30 000 résistants arrêtés au cours de l’année 1943. Malgré des coups, qui lui sont portés, elle continue de croître, de se renforcer, de renseigner les Alliés, de se préparer à accueillir les anglo-américains et la nouvelle armée française ……Knochem le véritable artisan de la répression qu’il mène en France depuis l’été 1940 écrit en janvier 1944 : «  … malgré les coups portés à la résistance (…) il faut toutefois concéder que les milieux de la résistance se sont renforcés dans toute la France et que leur organisation est de nouveau complétée… ».

5 – Conclusion du colloque Jacques Vistel

Jacques Vistel, Président de la Fondation de la Résistance, après avoir remercié Mémoire et Espoirs de la Résistance et tous les participants a souligné « les basculements » tant militaires que politiques qui ont marqués cette année 1943.

Après le débarquement en Afrique du Nord en novembre 1942 des Anglo-américains, l’année 1943 commence par la capitulation allemande à Stalingrad, le 2 février le débarquement en Sicile, le 3 septembre l’armistice en Italie des armées italiennes et le 8 septembre débarquement de l’armée française en Corse dont la libération sera achevée à la fin du mois.

Enfin du 28 novembre au 1er décembre première rencontre à Téhéran de Roosevelt Churchill et Staline qui impose à l’Allemagne nazie la capitulation sans condition et esquisse les premiers pas vers le monde de l’après-guerre avec la création et le principe de l’Organisation des Nations Unies.

Pour la France occupée : 1943 c’est le déclin de Vichy avec la montée des extrémistes de la collaboration avec Laval, la Milice, la répression et la déportation….  Le temps aussi où les « …vichysto-résistants deviennent de moins en moins vichystes et de plus en plus résistants… ».

Pour la France Libre : 1943 c’est enfin la renaissance à Alger d’une France nouvelle qui se reconstruit avec des hommes nouveaux nés de l’unité de la Résistance voulue et réalisée par Charles de Gaulle.

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