Un juif à l’école polytechnique. Mémoires 1939-1945

Par Bernard LÉVI   Auteur : Bernard LÉVI    Éditions : Edition Calmann-Lévy (2005)

Deux mots : « élève juif », écrits sur des papiers administratifs, jaunis par le temps, et se sont tous les « relents d’une triste époque » qui reviennent à la mémoire de Bernard Lévi « X » – promo 41 – devenu par les ordonnances de septembre 1940 du gouvernement de Pétain un « élève bis », c’est à dire l’ombre d’un vrai élève, en marge des classements «  nous comptions pour du beurre … » écrit-il. Dans le livre qu’il vient de signer aux Editions Calmann-Lévy « X bis, un juif à l’école polytechnique », il raconte sa jeunesse, celle d’un jeune Israélite favorisé, pas vraiment conscient de l’être, descendant d’une longue lignée de Juifs alsaciens comprenant à la fois des Rabbins et des polytechniciens. Poussé par ses parents vers des études plus scientifiques que littéraires il grandit dans le Paris des années trente où l’antisémitisme rôde, tandis qu’outre-Rhin « un petit caporal aigri aux folles obsessions devient Chancelier ». Relisant la correspondance échangée avec sa famille et les carnets de son ami, Jean Bruley, condisciple au lycée Condorcet et à l’école Polytechnique, avec humour et émotion, il fait le récit de sa vie d’adolescent, de potache puis de résistant. Juin 40, son exode passe par Bordeaux où il aperçoit « la haute silhouette d’un général songeur et solitaire une sacoche à la main », par Biarritz où ses nombreuses tentatives pour rejoindre l’Angleterre échoueront, par Toulouse, Lyon, Marseille en « zone non occupée » où l’Etat français pratique une agressive politique antisémite d’ou l’angoisse qu’il ressent envers sa famille, éclatée par les événements, dont plusieurs membres connaîtront les camps de la mort. « Elève bis » dans la prestigieuse école Polytechnique repliée à Lyon, son traitement laisse relativement indifférent nombre de ces camarades de promotion, indulgent il écrit « la propagande antisémite, bien orchestrée par l’Etat français y fut sans doute pour beaucoup… ». Bernard Lévi démontre comment, grâce à une hiérarchie aux ordres, le régime du Maréchal Pétain tentait d’infuser aux élèves ses doctrines et ses orientations politiques notamment par la célébration des mérites de la Révolution nationale « qui prenait des formes de plus en plus grandioses à mesure que le nombre de galons de l’orateur augmentait ». Au gré de ses souvenirs, il livre le portrait de quelques « X » célèbres, celui d’un Bichelonne brillant mais qui devint l’homme du S.T.O. et sombra dans la collaboration, d’André Trocmé, officier de l’école, qui fut lui un bel exemple de désobéissance à Vichy proclamant haut et fort « Nous ignorons ce qu’est un juif. Nous ne connaissons que des hommes. », de Serge Ravanel au légendaire parcours de résistant. Emouvant le portrait qu’il trace de son professeur et futur physicien Louis Leprince-Ringuet accueillant, humain et proche de ses élèves, dont la famille avait offert l’hospitalité à des amis juifs traqués. Pas mécontent d’avoir été exclu des Chantiers de la jeunesse «Les israélites sont peu sensibles à l’œuvre d’éducation morale » avait avancé leur créateur !, le 12 août 1943 c’est la fin de sa scolarité à l’X, celui dont le général dirigeant l’école avait écrit  : « Type sémite caractérisé au physique comme sans doute au moral. Ne peut être considéré comme une recrue de classe pour les services de l’Etat… » obtient très honorablement son diplôme d’ingénieur à l’école polytechnique. C’est sous le nom de « Bernard Lemoine », qu’il passe dans la clandestinité « Il s’agissait alors non d’un choix, mais d’une obligation évidente » et entre dans le réseau Gallia l’un des plus importants réseaux français de renseignements. Avec le même humour et le même regard il raconte en quelques phrases son parcours dans la Résistance, son retour dans la vie parisienne, la joie de retrouver sa famille, son père et ses camarades et aussi ses quelques déceptions surtout après la Libération, puis en janvier 1945 il part traquer les sous-marins, comme enseigne de vaisseau, à bord d’une frégate de la marine nationale.

Après la lecture de ce livre on ne peut être qu’admiratif pour cet anti-héros, c’est ainsi que Bernard Lévi se qualifie, qui traversa ces années noires un peu à la manière d’un « somnambule » qui cachait sans aucun une force de caractère exemplaire pour ignorer toutes les vexations réservées à « l’élève juif », enfin c’est un livre édifiant sur la manière dont Vichy concevait l’éducation des élites futures.