La Campagne de 1940

Par Christine Lévisse-Touzé   Auteur : Christine Lévisse-Touzé    Éditions : Éditions Taillandier

S’il faut lire « l’étrange défaite », l’impérissable et rude témoignage de Marc Bloch, Pour bien comprendre la défaite française de 1940, il faut aussi, maintenant et sûrement, lire « La campagne de 1940 », qui vient de paraître, sous la direction de Christine Levisse-Touze. Cet ouvrage est le fruit des actes d’un colloque qui a réuni, à la fin de l’année 2000, les plus grands spécialistes de cette période au musée de l’Armée.

Stratégie franco-britannique, plans opérationnels, renseignements, rôle de l’armée belge, bien sûr la « surprise allemande » et la défense française, mais aussi les batailles des plaines belges, de la Somme, de Dunkerque et des Alpes, comme celle de Narvick, tout est analysé, des intentions aux actes. Le rôle de la marine et de l’aviation, les arrières du front, le moral et son évolution parmi la population et les armées, mais aussi les pertes des deux côtés ainsi que les massacres perpétrés par les armées allemandes, sont minutieusement relatés. Enfin le portrait de deux grands témoins de ce désastre est remarquablement tracé, celui du capitaine de Hautecloque et celui de Jean Moulin, préfet de Chartres. En « six semaines haletantes et tragiques », la campagne de mai 40, « foudroyante et stupéfiante », va entraîner une véritable commotion mentale de la nation, nul n’a anticipé l’événement ; « le monde est frappé de stupeur » par la victoire allemande. Ce sont les rapports du monde avec la France qui sont bouleversés. De ce « trauma » va naître la France Libre – le refus – mais aussi Vichy, on voudra de chaque côté, à sa façon, effacer ce traumatisme : « plus jamais ça ! » Echec fondamental de la stratégie défensive et d’attente adoptée par le gouvernement français et par le haut-commandement et son chef, le général Gamelin, « pour se mettre sur le pied de guerre. Echec de la mobilisation industrielle face à une Allemagne dont la montée en puissance sur tous les plans, est supérieure malgré le blocus des Britanniques et des Français.

Enfin échec aussi d’une stratégie marquée « par l’incertitude fondamentale, entre, d’une part, la priorité accordée à la sécurité du front du Nord-Est et, d’autre part, la volonté de lancer des opérations périphériques vers les Balkans, le Caucase et en Scandinavie.

C’est aussi et surtout l’échec pour ces dirigeants, valeureux anciens combattants de la Grande-Guerre qui ne comprendront pas la réalité « de ce qu’était la guerre allemande qui était de mener les divisions blindées et motorisées représentant 250 000 jeunes gens fanatisés et entraînés physiquement et moralement depuis 1933 », et dont les réflexes sont ceux de 1914-1918 – comme en 1917 on attend les Américains !!! –

10 mai 1940, la « drôle de guerre disparaît derrière des chars ferraillant et des sirènes des Stukas », et les phases successives de la bataille de France sont marquées du « sceau de l’initiative allemande. C’est deux armées différentes qui s’affrontent, l’une Allemande qui progresse de 50 à 60km par nuit, l’autre Française qui se déplace au pas de ses hommes et de ses chevaux. Tout est dit sur la « surprise » de Sedan et des Ardennes, de l’erreur de Gamelin d’envoyer la 7e armée – l’armée de réserve – en Hollande « manœuvre Bréda », de la doctrine à contresens d’emploi des blindés, de la montée du corps de cavalerie français en Belgique, dans la région de Hannut, où se déroulera la première bataille de chars de l’histoire moderne. Des combats d’infanterie et d’artillerie à Gembloux où les Français feront belle figure, ainsi que des héroïques et derniers combats menés par les tirailleurs et les zouaves dans les faubourgs de Lille encerclée par les Allemands. Tout est dit aussi des batailles de la Somme, où « le rapport de forces » est défavorable aux Français, surtout en blindés.

Dans les Alpes face aux Italiens et aux Allemands, l’armée française fera preuve d’une belle détermination, d’un moral élevé, avec ses soldats originaires de la région, commandés par des chefs charismatiques et énergiques « Là où il y a une volonté il y a un chemin ».

Dans les combats de juin 40, les soldats français se reprennent ; du 5 au 22 juin les pertes allemandes doublent. Décrites, la campagne de Norvège avec le débarquement de la fameuse 13ème DBLE à Narvik et sa victoire « acquise malgré d’énormes déficiences », l’évacuation du camp retranché de Dunkerque et l’opération « Dynamo » qui ravive les tensions qui existent entre les deux puissances alliées depuis Narvik, que les marins « qui accepteront des responsabilités militaires et politiques dans le régime de Vichy, ne pourront oublier.

Plusieurs interventions concernent, le rôle de l’aviation paralysé par une désastreuse organisation du commandement, qui perdra « la bataille du matériel », les craintes bien exagérées du haut-commandement sur « l’ennemi de l’intérieur et la peur du complot communiste. Aussi de l’arrière du front, de ses fragilités « dont les dirigeants manquent trop souvent de convictions, peut-être d’imagination, parfois de courage. La campagne de France verra es premières exactions des armées allemandes contre des soldats coloniaux « indigènes », exécutés à l’issue des combats de juin 40 notamment dans la région lyonnaise, prémices de la guerre raciale engendrée par le régime nazi et que mènera la Wehrmacht sur le front de l’Est. Certes le renseignement, avant le 10 mai est de qualité, son exploitation plus défaillante, et l’un des intervenants se demande : « et si l’on avait eu toutes les informations possibles, les aurait-on admises ? » Soulignant ainsi à la fois la paresse intellectuelle des chefs – de Gamelin surtout – et le fait qu’« il faille s’en tenir au plan. « Les militaires ont-ils failli en 1940 ? » : J-L Crémieux-Brilhac souligne qu’à coup sûr le moral des soldats de 39/40 n’était pas celui des soldats de 14, mais « Etait-ce leur faute si leur pays était en retard d’une guerre ? .« Voulait-on gagner la guerre sans la faire » demande J.J. Becker ?

Insouciance, incompétence, tout est dit, sur cette défaite des élites et de l’intelligence, de mai 40, au prix de 90 000 morts « combattants de l’honneur » c’est la guerre des idées qui a été perdue et qui fut pour l’Allemagne une « étrange victoire »

Il faut lire ce livre de près de 600 pages dense en exposés, de réflexions sur les causes profondes de ce désastre, d’analyses sur la stratégie militaire et politique suivie, fourmillant de détails sur les opérations militaires.