40 à Londres L’espion qui venait du Jazz

Par Franck Bauer   Auteur : Franck Bauer    Éditions : Éditions Bayard 2004

Prémonitoires les propos que tient, en 1933, un jeune garçon de 14 ans, à ses parents venus l’attendre à son retour d’un bref séjour linguistique en Allemagne : «  Nous allons avoir la guerre, nous la perdrons et moi je m’en irai » !. Sept ans plus, tard, le jeune homme a vingt ans, il s’appelle Franck Bauer, c’est un « fou de Jazz » et fidèle à sa prédiction, accompagné de sa jeune sœur, à vélo ils traversent la France, à la recherche d’un port pour fuir les Allemands. Obligé de quitter sa jeune sœur blessée, il embarque seul au Verdon-sur-mer à bord d’un bateau chargé de soldats polonais. Parce que septique sur ses capacités militaires, aux hasards des couloirs de Stephen House, il est engagé dans le service de propagande des F.F.L. Envoyé d’abord auprès des nouveaux arrivants Français en Grande-Bretagne, il participe à deux missions de renseignements sur les côtes françaises occupées dont l’une à l’île de Sein. Puis « l’espion amateur » est chargé aux Etats-Unis d’étudier et de contrer les menées de Vichy contre la marine marchande fidèle à la France Libre.

En mars 1941, de retour à Londres, il rencontre dans un club français londonien Jean Oberlé qui l’engage à B.B.C., grâce à « sa voix jeune, bien timbrée, capable de franchir la barrière du brouillage ». Ainsi pendant deux ans « le jeune amateur de jazz », chaque soir prononce-t-il, au micro de la B.B.C. cette phrase devenue légendaire : « Ici Londres, les Français parlent aux Français ». Jusqu’en mars 1943, il fait partie de la brillante équipe française de la radio de Londres qui réunit autour de Pierre Bourdan et Jean Marin, Jacques Borel, Jacques Duchesne, Jean Oberlé, Maurice Van Moppès,…d’autres encore, et bien sûr Maurice Schuman le personnage le plus écouté : porte-parole du général de Gaulle à la B.B.C.

Dans son livre de souvenirs Franck Bauer s’attache à faire revivre l’atmosphère de cette section française de la B.B.C., l’émotion de ces hommes pour qui « parler à la France nous remuait tous au plus profond » et trace de tous des portraits chaleureux, vivants et anecdotiques. Juillet 43 il quitte Londres, pour rejoindre Madagascar où il est nommé attaché d’information auprès du gouverneur général, une escale de rêve d’un an. De retour en Grande Bretagne, quelques jours avant le débarquement des alliés, il est incorporé à la Mission militaire de liaison administrative chargé du secteur radio des armées. « Gaulliste involontaire au départ (…) devenu au fil des années un ardent partisan du général » il retrouve à Paris sa famille en septembre 44. Quel régal quand le « jeune batteur » raconte comment, entre deux missions, et quelques amourettes, il se laisse gagner dans les bars par « les vapeurs du Jazz  », quand il part à la rencontre de Stéphane Grappelli à Londres, ou sur les traces de Louis Armstrong à la Nouvelle Orléans ou bien encore quand il « crapahute dans les catacombes musicales » de la 52° rue à New York.

De son séjour londonien il fait une émouvante et tragique description de la capitale anglaise, sous le Blitz, où les bombardements font des dizaines de milliers morts, de blessés et de sans abri, mais où les anglais n’en perdent pas pour autant leur légendaire flegme et humour

Le récit est alerte, fourmille d’anecdotes, on y croise presque toute la communauté des Français libres de Londres, avec ses petites et grandes histoires, et nombre de ses légendaires héros.

Un grand merci Monsieur Bauer d’avoir répondu oui, à ceux qui vous sollicitaient d’écrire vos années 40 à Londres, et d’avoir rassemblé « tous les fragments épars de votre mémoire et les documents stockés en pièces détachées dans trois boîtes à chaussures ».