Nous, nous ne verrons pas la fin Un enfant dans la guerre (1939-1945)

Par Louis Mexandeau   Auteur : Louis Mexandeau    Éditions : Éditions Le Cherche-Midi 2003

Ce livre est un témoignage sur l’occupation brutale et impitoyable des départements du Nord et du Pas-de-Calais qui faisaient partie de la zone dite interdite. C’est dans une petite commune rurale de l’Artois, sur une terre instruite par le souvenir de la Grande Guerre, à Wanquetin que Louis Mexandeau, huit ans en septembre 1939, rencontre la guerre et la peur au quotidien pendant quatre longues années. Avec les yeux d’un enfant de huit ans, de petit gars du Nord, il raconte dans ce livre, ces années noires, et témoigne pour rappeler combien de résistants anonymes peuplèrent ce pays viscéralement « anti-boches », qui résista dès la première heure. Septembre 39, pour le petit Louis, la guerre est presque drôle grâce à la cuisine roulante des soldats français qui fait la joie des enfants, surtout quand les braves fantassins partagent leur « rata », quel régal alors !. A l’hiver les anglais vont les remplacer et dans les poches des gars du village, le beau et « bon tabac blond à l’odeur de miel » a pris la place du rugueux petit gris. Mai 40, la guerre cesse d’être drôle, annonciateur du désastre un fleuve sans fin de « tous les spécimens que l’industrie automobile avait fabriqués depuis vingt ans » traverse la commune. Les « Mexandeau » ne partiront pas, dans l’affreuse pagaille, ils font face, aident et soulagent car chez eux on n’abandonnent pas sa terre et ses bêtes et le petit patriote de huit ans, confie alors à une « pierre tendre », au moyen d’un clou, en quelques lignes son humiliation, c’est là son appel d’un certain 28 mai 40. Avec l’arrivée des soldats Allemands, vient le temps du sang et des larmes, quand dans les premiers jours de juin la soldatesque occupante commet d’atroces massacres, prélude sans doute à ceux auxquels elle se livrera en Russie. Les petits villages d’Aubigny-en-Artois, Beuvry, Courrière Carvin, et bien d’autres en garderont longtemps les traces et le souvenir. Sous la botte allemande qui s’alourdit chaque jour, l’auteur décrit l’action de tous ces héros anonymes comme Marcel le chef de famille, qui sera déporté, et sa mère Jeanne, « indomptable professeur d’énergie » recueillant et cachant, les proscrits, les fugitifs, les aviateurs abattus en leur procurant le gîte, le couvert et « ein caïelle », la chaise : pour les « Mexandeau », comme pour tous « ces gens du Nord », que l’histoire a habitué aux malheurs des invasions, l’hospitalité est traditionnelle. Bien vite dans le climat des interdictions, des réquisitions, des privations et des arrestations, le petit Louis et sa petite bande de garnements chapardent les objets convoités par l’occupant et braconnent au nez et à sa barbe. A l’ombre de la croix gammée, le temps des «  Ducasse » et des fêtes de village est finit et dans la longue nuit qui s’est abattue il faut apprendre à survivre, à espérer, le combat que les anglais poursuivent met du baume au cœur, à résister : « ici » c’est naturel témoigne Louis Mexandeau. Dans ce pays minier, nous rappelle l’auteur, se déroulèrent les premières grèves, où les mineurs et leurs femmes se conduisirent de façon admirable face à une répression impitoyable dans « la pure tradition de Germinal », la maison familiale du petit Louis, abrita alors plus d’un mineur poursuivi ! C’est une semaine après l’arrestation de son père en février 1942, que «  l’Enjolras du Valenciennois » Eusebio Ferrari est abattu par un gendarme français. Quelques mois plus tard, en septembre c’est un autre héros du Nord « le Robin des corons » Charles Debarge qui à son tour : ne verra pas la fin de cette lutte. L’autre héros vers lequel Louis Mexandeau dirige son souvenir est celui d’un officier britannique du S.O.E. Michael Trotobas « capitaine Michel » qui à la tête du réseau Sylvestre Farmer, tout au long de l’année 1943 sèmera la terreur chez les occupants, « il valait à lui seul trois divisions reconnaîtrons les Allemands », lui non plus ne verra pas la fin…comme tous les femmes et les hommes de cette région fusillés dans les fossés des forteresses d’Arras ou de Lille au cours de ces années. On sent dans ce livre combien l’auteur à la nostalgie de la vie rurale de son enfance d’avant ces années noires, tendrement attaché à sa région natale, qui suivant ses propres mots est : «  terre de malheur, de courage, de résistance, de dignité et de solidarité ». Ce livre est une ode à tous les oubliés, gens du Nord, paysans, mineurs, qui vécurent ces exactions, ces réquisitions, ces destructions, ces brimades sans jamais courber le dos. Ce livre est aussi le cri d’un homme, qui regrette que la mémoire de cette occupation brutale et impitoyable n’est pas dépassée les limites de la région et qu’au Panthéon de l’histoire nationale le nom de tous les « Oradour » du Nord, et de tous les héros dont il trace le portrait n’y figurent, qu’en trop petits caractères, quand ils y figurent !