Engilbert de Franssu

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Engilbert de Franssu

Témoignage d’Engilbert de Franssu

 

Etant invité à évoquer ici en quelques minutes certains événements particuliers du passé qui, nous dit-on doivent entrer dans le cadre de la Résistance,

Je me limiterai donc à rappeler certains faits personnels vécus au cours de l’épisode 1940 à 1941.

Dès mai 1940, alors que mon père ancien combattant de la guerre 14 -18, officier de réserve père de famille de 7 enfants, engagé volontaire en 1939 et blessé à la défense d’AMIENS était emmené prisonnier en Allemagne, toute ma famille fut contrainte d’évacuer.

 

Nous nous sommes trouvés seuls, mon jeune frère de 15 ans et moi-même de 18 ans dans la propriété familiale.

Du fait de cette circonstance particulière, j’ai été promu tout d’un coup responsable de l’exploitation familiale agricole dans notre petit village entre AMIENS et ABBEVILLE, région ou la guerre sévit. En effet durant une dizaine de jours la bataille fit rage dans la vallée de la Somme.

Cette bourgade de FRANSU, non loin de la côte de la MANCHE, occupée en permanence par les troupes allemandes se succédant sur place, devint en même temps un repaire de résistants français, anglais et écossais, tenus de se cacher de l’occupant afin d’échapper aux redoutables représailles de la captivité. Or il existait à l’époque, sur la commune voisine de DOMART en PONTHIEU, un gigantesque camp de transit de soldats anglais et français prisonniers des Allemands. Il fallait impérativement s’organiser pour les soutenir.

 

C’est pourquoi nous avions convenu de venir chaque soir avec le maximum d’amis et de voisins leur apporter vivres et vêtements civils dès que les sentinelles avaient le dos tournés afin que de nombreux prisonniers puissent s’évader.

Ceux-ci par la suite cherchaient à se cacher un peu partout dans les maisons accueillantes du village, les granges, les greniers, les meules de paille etc. Ce qui leur permettait, pendant la journée de s’occuper des travaux des champs rendant ainsi de grands services à ceux qui les hébergeaient (les fermiers étant partis à la guerre).

 

A l’exception des britanniques, tous parlaient notre langue et de ce fait rendus en civil, pouvaient aisément se faire passer pour des réfugiés aux yeux des Allemands

C’est donc à ce moment-là que je pris l’initiative d’héberger tour à tour dans les communs de notre propriété, de cacher à la barbe des Allemands, de nourrir et de pourvoir en vêtements civils ceux des soldats ou aviateurs anglais évadés qui m’étaient acheminés clandestinement.

Ceux qui vinrent ainsi se succéder dans une cache aménagée dans la soupente d’un grand grenier à foin, étaient tenus de se dissimuler en permanence au regard de l’ennemi, et vivant de la sorte une situation très délicate, ils étaient des sans-papiers !

 

Je pris alors le risque de me faire attribuer, à chaque changement de Kommandantur, au village de FRANSU, ou dans les communes avoisinantes, soit tous les 3 ou 4 jours un nouvel AUSWEISS, établi personnellement au nom d’Angilbert de FRANSSU

Ces AUSWEISS successifs étaient, l’un après l’autre remis à chacun des soldats britanniques à titre de sécurité .Partant ainsi sous mon identité pour fuir la botte allemande

Un tel laissez-passer était indispensable pour pouvoir circuler librement dans le département

On pouvait en redemander sans difficultés auprès des autorités

Grace à la coopération efficace des maires des communes à proximité .Chacun des partants quittait ainsi l’Abri en possession du dit AUSWEISS et, pour éviter les soupçons ,muni d’un instrument aratoire, tel une fourche à l’épaule ou une brouette de fumier entre les mains .Suivant un accord convenu, ils devaient déposer l’instrument en question au pied d’une meule de paille précisée à l’extérieur du village.

De la sorte, prirent aussi pension dans cette cache de la ferme des aviateurs récupérés après de violents combats aériens

Combien furent-ils, en tout, à se succéder dans cette cache durant ces longs mois, une trentaine environ

Combien de temps séjournaient-ils ainsi : les uns une semaine, les autres un mois et même jusqu’à trois mois (DAVID l’Ecossais et ses trois copains) Les habitants du village finissaient par être au courant de nos manœuvres clandestines qui se prolongeaient depuis de nombreux mois. Des perquisitions avaient lieu régulièrement, mais avec la malice et la ruse on pouvait défier la méfiance pourtant pointilleuse de l’occupant allemand. Cependant au fil des jours, la situation se confirmait dangereuse.

 

Le Stratagème des AUSWEISS ayant été éventé, la multiplicité de demande de ces documents nominatifs devenant suspecte, je pris le parti d’utiliser le dernier AUSWEISS à mon profit en juin 1941 et gagner la zone libre, par les mêmes filières suivies par mes prisonniers évadés (Abbeville, Bourges St Amand Monrond avec les mêmes passeurs : Marlière, Le Bret, et Ruech )

 

Recherché en effet par les Allemands, et ayant restitué l’exploitation agricole à mon père revenu de captivité à titre d’ancien combattant 14-18, je décide de rejoindre en Tunisie, les forces alliées se préparant au débarquement en Afrique du Nord.

 

Je m’engage dans l’armée d’Afrique et reçois le baptême du feu à la reprise des combats contre les forces de l’Axe, le 19 Novembre 1942 dans l’Enfer de Medjez el Bab en TUNISIE et débarquais sur un char de la 1ère D.B. de l’armée de Lattre de Tassigny allant de la Provence au Rhin du Rhin au Danube, et du Danube à l’Autriche*

On peut ajouter ici qu’une grande partie de mes camarades de combat étaient comme moi des évadés de France ayant par atavisme une certaine idée de la France épris d’un esprit de revanche et d’une détermination farouche de braver tous les dangers

 

Hélas un très grand nombre d’entre eux sont tombés en route. « Ne les oublions pas ».

 

C’est à ce prix, il y a soixante ans que la France fut libérée