Berthie Claude

Éclaireurs Israélites de France

Auteur de la fiche : Témoignage de l'auteur

Claude Berthie


Ici Claude Berthie dans ce texte explique à la fois le création du Scoutisme en France  et revient sur son parcours dans la Résistance en complétant ainsi son témoignage oral

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La création du Scoutisme Français, incluant les Éclaireurs Israélites, était due à l’impulsion du général Lafont qui avait connu Pétain à l’École de Guerre. L’acceptation sans critique de cet état de fait représentait une certaine caution du régime en place, et, quand il y a des milliers de jeunes, l’on se doit de leur ouvrir les yeux sur ce régime inféodé à l’occupant, sans le claironner, bien entendu.

Dans le milieu E.D.F., et surtout au local départemental, règne à Laon une atmosphère d’hostilité au nouveau régime, allant jusqu’à l’imprudence – nous n’avons, à lépoque, aucune formation de ce qu’est un mouvement clandestin. Tout naturellement, en 1941, j’adhère à l’Armée Secrète naissante, pour mettre sur pied des « dizaines «, chacun ne connaissant que son supérieur direct. J’y suis employé, principalement, à des recherches de renseignements tant sur le plan militaire (sur des informations stratégiques alleman­des) que sur le plan économique des moyens de ravitaillement allemand et de leurs com­munications (fer, air, route). C’est une pério­de d’intense activité : travail de secrétaire chez un avocat, deux soirées par semaine de répétition de la chorale, les réunions avec mes Éclaireurs… et le travail du réseau avec ses contacts discrets et fréquents.

Mon activité de collecte de renseignements me conduit à de fréquents déplacements en province, principalement à Chambéry, Annecy, Périgueux et à Paris. le profite de mes sorties avec les Eclaireurs pour faire du repérage de terrains propices à des para­chutages ou atterrissages, personne ne trou­vant curieux que des adolescents en unifor­me se promènent de jour comme de nuit dans les bois et les champs. En 1943, le 1er juillet, mon groupe est rattaché au réseau Gallia. Je n’ai su que plus tard que j’y étais inscrit comme chargé de mission de 3ème classe – P2 – et j’avais un travail de renseignements destiné à Londres pour un recoupement final. Le 23 février 1943, le commissaire de police de la Croix-Rousse, sympathisant de nos réseaux, fait faire par un inspecteur de Police, assisté de deux gardiens de police, un acte de notoriété par-devant le juge de Paix, à la suite d’une perte supposée de mes papiers, en zone interdite, me permettant de faire éta­blir par la mairie des papiers d’identité irré­prochables, ainsi que des cartes d’alimentation.

En octobre 1943, le climat à Lyon devenait oppressant du fait de l’arrestation de plusieurs résistants et du noyautage des réseaux. Je vois circuler une voiture de la Gestapo devant mon hôtel, à la Croix-Rousse, ce qui me décide à prendre du recul. Je passe en Suisse où je suis hébergé à la Prison de Lausanne où j’ai la chance d’y rencontrer Luigi Einaudi, recteur de l’Université de Turin, qui deviendra le premier président de la république italienne libérée du fas­cisme. Au bout de deux semaines à Lausanne, je suis envoyé aux Avants, au-dessus de Montreux dans un grand hôtel réquisitionné pour recevoir les Italiens anti-fascistes réfugiés en Suisse. Faisant la connaissance de Séverin Cavéri d’Aoste, tout heureux de rencontrer un francophone, sa langue mater­nelle, il me conseille d’apprendre l’italien. Ce qui est facile, avec le latin du lycée et le fran­çais et douze heures de leçon par jour. II deviendra, à la Libération, président de la Junte de la Région autonome d’Aoste et, plus tard, député à Rome.

Dès la Libération de la Haute-Savoie, je ren­tre en France pour me faire arrêter par les FTP, mais après un coup de fil au Commissaire de la République de la région, je suis relâché avec les félicitations de mes geôliers ! Je retrouve Lyon rapidement pour assister au défoulement unanime de nos amis, tant des réseaux français qu’anglais que des armées venant du Midi. Ce n’est vraiment qu’à ce moment-là que j’apprends à quel réseau j’appartenais. Un de mes amis m’indique qu’un réseau américain est en formation sous la direction

de Jean Alziary de Roquefort (dit Jacques) assisté par Jacques Locquin, ce qui fera appeler ce groupe celui des deux Jacques. Roquefort avait été en Algérie pour le compte du gouvernement ; il prend contact avec les américains et leur explique qu’ils auraient plus de facilité pour libérer la France en obtenant des renseigne­ments stratégiques relevés par des résistants sur place. Le succès de cette aide, lors du débarquement dans le Sud, fut tel que les Américains décidèrent de faire de même en Allemagne et d’y installer des réseaux de renseignement

J’accompagne mes deux Jacques à Paris où se trouve le bureau de la DGER, bou­levard Suchet et où nous avons nos quartiers dans un hôtel de passe près de l’ave­nue Mozart, ce qui nous permet d’entrer et de sortir sans déranger qui que ce soit et de téléphoner à toute heure. Nous en profitons pour recruter quelques éléments nécessaires à nos missions, à la prison de la Santé, où des spécialistes de coup de main accompagne­ront certaines de nos missions en échange d’un allègement de leurs peines. L’un de ceux que nous engageons était un contrebandier en brillants entre Amsterdam et Paris, qui cachait les pierres dans une tablette de Toblerone dont il cassait une extrémité et laissait le reste sur la banquette.

Je suis donc versé au Strategic Service Section deviendra OSS (Office of Strategic Services), la future C.I.A., auprès de la 7ème armée américaine et notre antenne s’installe à Collonges-sous-Salève où nous recevons les instructions nécessaires à notre mission par des envoyés des services secrets anglais. Nous apprenons sur le bout du doigt tout ce qui concerne l’armée allemande qui a l’avantage pour nous,

d’indiquer sur les insi­gnes, fanions de voitures et panneaux de voi­rie, toutes ces informations dont nous avons besoin et qui nous serviront plus tard quand nous ferons de lauto-stop auprès des mili­taires, en profitant pour leur demander ce qu’ils font, où ils vont etc…, tout ceci en por­tant à la main un poste de radio émetteur… Le service nous donne également un messa­ge personnel codé qui pourra nous servir éventuellement d’identification quand il sera lu à la radio de Londres.

Je rencontre ces Américains qui se lancent dans le renseignement avec beaucoup de romantisme. Notre objectif est d’informer les armées américaines, qui devront franchir le Rhin, de la situation générale du plan de bataille en Bavière. La future région dévolue à l’armée américaine est subdivisée en triangles, le nôtre est Rosenheim — Weilheim – Munich et chaque équipe, envoyée sur place, aura à communiquer par radio leurs infor­mations.

Il nous faut des papiers « en règle » de travailleur volontaire. Un service du Docteur Locard, s’en charge à merveille.

Le problème est aussi de trouver des opéra­teurs radios et des informations sur le sec­teur où nous allons. Il faut que nous soyons au courant de tous les événements récents. Nous sommes convenus que la Direction de la Sûreté du Territoire (D.S.T.), installée à Annemasse m’avertira dès que quelqu’un reviendra de cette zone, de manière à ce que je puisse l’interroger, obtenir ses cartes d’alimentation, ses Reich Mark et tous papiers ou journaux récents prouvant notre installa­tion dans cette région. J’obtiens de cette manière une véritable identité d’un Berthier qui avait été employé à l’aéroport de Berlin-Staaken, replié à Nuremberg puis en Bavière.

En novembre, je fais un saut à Strasbourg (offensive dans les Ardennes), d’une part pour voir s’il me reste quelque chose depuis 1939 et d’autre part pour acquérir tout ce qu’un travailleur français en Allemagne aurait pu avoir sur lui : cigarettes alleman­des, rasoir (un sabre), ne pouvant emmener quoi que ce soit qui aurait été suspect.

Pendant notre séjour à Collonges, il m’est demandé de faire quelques missions : la pre­mière, rencontrer Otto de Habsbourg à Lugano pour recruter éventuellement des autrichiens anti-nazis qui voudraient se join­dre à nos missions… Echec. La deuxième consiste à convoyer une autre mission qui a choisi la voie terrestre pour aller en Allemagne. Au retour, en voulant repasser sous les barbelés, je donne l’éveil à un garde frontalier. Il a plus peur que moi en me voyant à ses pieds, il me tire dessus, effleu­rant ma cuisse qui en a gardé une cicatrice longtemps. Il est 23 h et il veut me garder jusqu’au matin pour me convoyer jusqu’à Genève et, bien que nous ayons un ami, le directeur de la prison St. Nicolas, je préfère lui fausser compagnie en un saut rapide par-dessus le fossé entre les deux pays.

Un ordre m’est donné ensuite de permettre à une douzaine d’aviateurs américains atter­ris en Suisse à la suite d’avaries de retour de bombardements sur l’Allemagne de rejoin­dre leurs bases en France. Rendez-vous est pris près de Nyons vers minuit. Je les rends à leurs représentants à Divonne et dans le silence que je demande de respecter, car la joie de rentrer leur a fait faire moult libations.

Pour exécuter notre mission de renseigne­ments, il m’est donné le choix d’aller en Allemagne, soit par voie aérienne, parachu­té, soit par voie terrestre. Je choisis le parachute pour son coté pratique et pour ce faire nous sommes emmenés en Bourgogne dans un camp américain de la 101ème Airborn américaine, dans un des châteaux de la région. Notre instructeur nous donne nos combinaisons, nous montre le parachute dorsal, nous indiquant que le ventral à l’altitude où nous sauterons (200 à 300 m) ne sera pas utilisable. Un soir, un Liberator nous emmène (avec deux autres équipes d’un autre sec­teur) au-dessus de Diessen où nous sautons vers 2 heures du matin dans une clairière éclairée par une belle lune, sans réveiller qui que ce soit. Enterrement de nos parachutes, de la pelle et de la hache destinée à couper les racines, ainsi que nos poignards de botte, seule arme utilisable sans bruit, ainsi que nos combinaisons de saut.

Après le saut, en route pour Munich avec des pilules destinées selon la couleur à nous tenir éveillés, soit à nous endormir. Nous nous rendons à la gare de Diessen dès 6 heures du matin et nous y sommes accueillis par une affiche « Feind hôrt mit » (l’ennemi nous écoute). Nous avons quelques noms et adres­ses de membres d’un réseau anti-nazi auxquels nous rendons visite. La première personne est une comtesse qui nous reçoit les bras ouverts dans son château romantique au bord du lac de Starnberg. Quand nous lui apprenons que ses deux fils, dont elle était sans nouvelles, sont aux Etats-unis dans un centre d’instruction d’aviation, viatique irré­futable de notre qualité, sa joie est intense. Notre deuxième visite est pour Von Godin à Munich qui nous fait part de son espérance qu’un mois prochain les armées alliées devront franchir le Rhin. Von Godin a été nommé dès le début de l’occupation, chef de la Landwehr (gendarmerie du Land de Bavière). Notre troisième contact est un Français travaillant dans un Lebens Born au-dessus de l’Isar.

Notre dernier point de chute était un autre français travaillant à lArbeit Dienst (Service du Travail) de Munich. Le soir venant, il faut trouver de quoi se loger. Après deux jours et 60 km à pied, il ne faut pas nous bercer, malgré un bombardement des environs de cette même gare. Le logement est facile, car la ville est en ruines, et il suffit de trouver une maison dont le premier étage reste, ce qui fait un abri suffisant. Notre choix se porte sur un immeuble de la Ludwigstrasse.

Nous commençons donc notre prospection en visitant les lieux visés par les bombarde­ments, puis nous sillonnons la zone prescri­te et pendant plusieurs jours, nous relevons tous les éléments susceptibles d’intéresser la 7ème Armée, à Ulm, Stuttgart, Pforzheim (nous avons pu constater que pour avoir une vue sur générale d’une ville il suffisait de monter sur une brique) et avec installation de notre antenne quart d’onde dans les champs pour communiquer notre message après cryptage.

Nous assistons pendant notre prospection à la débâcle, qui nous rappelle celle de France avec, en plus, tous les blessés et amputés, des hôpitaux que l’on vide devant l’avance alliée, surtout des Russes qui font, à juste titre, peur aux Allemands. Au cours d’un déplacement, nous assistons au cortège lamentable de déportés en costume rayé que l’on change de camp probablement, vers Dachau, banlieue de Munich. Nous sommes témoins du côté de Sigmaringen, dont nous n’avons pas visité le château des Hohenzollern (résidence du gouvernement de Vichy exilé); de la mission de hauts dignitaires nazis transportant ce que l’on peut imaginer.

Notre rôle ne doit s’arrêter que quand les armées nous rejoindront, ce qui est fait vers le 28 avril. J’arrête le premier char et, m’en­tretenant avec son chef, il communique notre présence (three individuals !) qui l’étonne beaucoup, car notre accoutrement d’ouvrier ne le porte pas à nous croire. Nous sommes accompagnés rapidement au Quartier Général où nous sommes reçus par un offi­cier français détaché auprès de la 36ème divi­sion qui établit à chacun de nous un laissez-passer sans trop nous poser de questions, notre qualité d’Intelligence Officers n’étant pas de son ressort. Coucher avec les troupes américaines et le lendemain matin, petit-déjeuner pendant lequel les bombes tombent a proximité, en compagnie de militaires fleg­matiques. Nous faisons la queue devant la roulante et le cuisinier nous demande si nous voulons les oeufs au plat cuits d’un côté ou des deux cotés.

La région n’étant pas encore complètement occupée, des troupes alle­mandes en débandade infestant la Forêt-Noire, nous recevons quelque armement, tel que mitraillette et grenades. Je recherche à Diessen une voiture et utilisant comme argument nos armes, j’y trouve une Opel toute neuve chez un officier retenu en Russie. Au détour d’un chemin, nous rencontrons un détachement d’au moins 500 militaires conduits par des officiers qui nous viennent vers nous. Leur allure n’est plus tellement agressive, ils me demandent de les condui­re dans un camp de prisonniers de quelque nationalité que ce soit, mais pas russe. Nous amenons donc nos  prisonniers vers Munich et les confions à la sentinelle du camp de Dachau, éberluée par le nombre de sol­dats qui nous suivaient. C’était le 2 mai.

Nous rejoignons le QG de la première Armée française à Lindau sur le bord du Lac de Constance où nous sommes logés, nourris et chaleureusement accueillis, et recevons une invitation à la table (au bout de la table, car en civil !) du Général de Lattre de Tassigny. Nous prenons contact avec notre antenne à Collonges, leur disant que nous arriverons sous peu. En faisant le tour du lac, nous apprenons que l’armée suisse rapatrie des ouvriers français du service du travail obli­gatoire en direction d’Annemasse. Nous leur déclarons que c’est bien notre cas, et ils ont l’obligeance de mettre notre Opel sur un pla­teau jusqu’à Geneviève

Arrivée le 8 Mai (date de la reddition) à Annemasse où un gendarme veut s’assurer de nos personnes, car nous n’avons pas les papiers requis ; mais devant les bras ouverts du capitaine de la Défense de la Surveillance du Territoire, les gendarmes sont confus, n’avant fait que leur devoir. Retour à Collonges, verres d’amitié, décora­tions, etc. A Paris, l’on me demande de continuer et de faire partie d’une mission iden­tique en Chine…